Malgré le déconfinement, La Défense reste vide

Rémi tente de garder le moral. Pas facile. « Je m’attendais quand même à ce qu’il y ait plus de monde pour notre journée de réouverture », explique ce gérant d’une petite échoppe de restauration rapide, implantée en bas de l’esplanade de La Défense. Autour de lui, les grandes tours restent vides. A peine quelques lumières dans les étages. Personne dans le nouvel immeuble de Saint-Gobain, qui ne prévoit d’accueillir ses salariés que la semaine prochaine. Pas davantage de monde chez Allianz, où seuls travaillent une poignée d’informaticiens.

Ce matin du 11 mai, jour du déconfinement, écrasée par un ciel gris et battue par des vents glacés, l’esplanade du quartier d’affaires francilien n’a pas retrouvé, tant s’en faut, son air d’agitation habituel. Pour la colonie de cols blancs qui cavalent d’ordinaire dans ces lieux, la fin du télétravail n’a pas encore sonné. « C’est vrai qu’il y a bien moins de monde qu’attendu, relève un adjudant du commissariat implanté sur la dalle. Finalement, on compte plus de policiers et d’agents de sécurité que de civils. »

Le casse-tête du casse-croûte

« On se croirait un samedi, quand il faut revenir au travail pour une urgence », complète Quentin, qui fait un passage par sa société d’architecture d’intérieur pour les commerces, afin de profiter des imprimantes. « J’ai aussi besoin de retrouver une forme de séquençage plus rigoureux des journées, explique-t-il. Car dans le flou généralisé, à domicile, on finit par ne plus trop savoir quand il faut commencer le travail le matin et quand l’arrêter le soir. »

La pause déjeuner promet toutefois d’être un casse-tête sur place, puisque les cantines d’entreprises comme les restaurants sont fermés. Quentin a repéré un Monoprix ouvert. « Pour moi, ce sera journée continue : pas de repas ce midi », explique Pierre, cadre et délégué syndical dans une société de services, qui vient vérifier que les mesures de sécurité sont bien mises en œuvre dans ses bureaux. « Ce n’est pas plus mal, de revenir ici pour faire un peu d’exercice, en limitant les repas, car le confinement, ça pèse dans tous les sens du terme », rigole-t-il en pointant son ventre.

Retour au shopping

Pour un peu, il semblerait que ce soient moins des travailleurs que des chalands qui sillonnent de loin en loin la vaste dalle. Le centre Westfield – Les 4 temps est fermé, à l’exception du Auchan qui y loge. On se replie donc sur le petit frère du Cnit. Le Décathlon draine quelques dizaines de personnes. Un grand gaillard en manque de fonte à soulever se voit refuser l’entrée, car il ne porte pas de masque. Mais les agents de sécurité, empathiques, s’organisent pour lui trouver le précieux sésame.

Un autre client attend, lui, un conseiller : « J’ai vu que le magasin ouvrait à 9h30, explique Mathieu, consultant dans un groupe de La Défense. Je suis venu dès l’ouverture des portes pour m’acheter un vélo. Autant éviter le métro pour les prochaines semaines, quand mon travail reprendra. Car pour l’instant, c’est chômage technique à 100%. » A 10h30, la Fnac bénéficie, elle, d’une queue qui déborde hors de la bulle du Cnit, avec un mètre réglementaire de distance oublié dans le froid extérieur.

La gare, silencieuse et sinistre

Un peu plus loin, en suivant scrupuleusement le sens de circulation sous le regard sévère des vigiles, le coiffeur Jean-Louis David fait salle comble : « Aujourd’hui, demain, ce n’est pas la peine, plus de place », explique l’un des coiffeurs, masque et lunettes de protection sur le nez, en montrant un carnet de réservations où les rendez-vous se chevauchent. Seule la pharmacienne voisine est parvenue, à l’instant, à obtenir discrètement un créneau : « Par solidarité, glisse le coiffeur. Et puis, on ne s’est pas vu depuis longtemps. »

Ces commerçants-là ont plus de chance que leurs confrères implantés dans la gare souterraine. « On attend le client », explique le responsable d’une petite boutique de mode féminine perdue dans cette grande cathédrale suburbaine, silencieuse et sinistre. « Demain, ce sera mieux », espère-t-il. « On est là depuis 5h30 du matin, et franchement, c’est calme – bien plus calme que prévu », confirme un agent RATP chargé d’orienter les voyageurs. Heureusement que l’afflux est évité, car avec de nombreuses sorties fermées, ce nœud de communication des bus, RER et métro s’est transformé en labyrinthe. Daniel, avec son masque de style Mad Max collé au visage, s’est lui-même égaré. « Je dois rejoindre EDF, pour tenir l’accueil, explique-t-il. J’ai plutôt de la chance : ma société de prestation de services continue à avoir du travail. Même si aujourd’hui, ça va être calme. »