Marchés américains : Le spectre du protectionnisme plane sur des marchés nerveux

par Patrick Vignal

PARIS, 6 avril (Reuters) – Les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine représentent clairement une menace pour la croissance mondiale comme pour l’équilibre désormais précaire de marchés de plus en plus nerveux, avertissent plusieurs analystes.

Identifié depuis un moment par de nombreux observateurs comme le danger numéro un pour la planète finance, le risque protectionniste est devenu bien réel en ce début de trimestre.

Tout a commencé mardi avec l’annonce par Washington de sanctions douanières portant sur 50 milliards de dollars (40,7 milliards d’euros) d’importations chinoises.

La riposte immédiate de Pékin a conduit jeudi Donald Trump à cibler pour 100 milliards de dollars d’échanges commerciaux supplémentaires, s’attirant aussitôt de nouvelles menaces de représailles de la part de Chine.

Les marchés d’actions se sont montrés très réactifs à chaque nouvelle sur la question commerciale, accusant le coup face aux échanges de menaces entre Pékin et Washington, tout en conservant l’espoir de négociations. Le Stoxx 600 se dirige vers une hausse hebdomadaire de plus de 1% et le S&P 500 progresse d’environ 0,5% sur la semaine.

Les valeurs refuges, obligations en tête, ont justifié leur appellation avec la poursuite du repli des rendements des emprunts d’Etat qui a ramené le 10 ans américain jusqu’à 2,717%, un plus bas de deux mois, avant un retour autour du seuil de 2,8%.

ESCALADE OU NÉGOCIATIONS ?

« Les investisseurs sont en train de s’habituer à des marchés agités avec une forte volatilité », commente l’analyste David Madden (CMC Markets). « Pour l’instant, ils paraissent heureux de profiter des opportunités d’achat quand elles se présentent mais ils savent très bien que l’atmosphère pourrait changer très rapidement ».

D’autres analystes, comme ceux de BNY Mellon, tentent d’élever le débat en se demandant si l’isolationnisme et le populisme prônés par Donald Trump ne marquent pas la fin d’un ordre mondial dominé par les Etats-Unis et soutenu par ses valeurs de libre-échange et de démocratie libérale.

« Un changement significatif de l’orientation du pendule de la globalisation serait dommageable pour la croissance mondiale et pour les marchés financiers », prolongent, dans le même esprit, les stratèges de BNP Paribas Asset Management.

La préoccupation immédiate des investisseurs est de savoir si l’escalade entre Washington et Pékin va se poursuivre ou si elle va laisser la place à des négociations leur permettant de se concentrer à nouveau sur la santé de l’économie et des entreprises.

Esther M. Baroudy, gérante chez State Street Global Advisors, doute d’un prochain retour au calme : « Contrairement aux périodes de tensions commerciales précédentes, nous pensons que celle-ci est plus importante et pourrait avoir des implications significatives et durables pour les entreprises chinoises, certains secteurs aux Etats-Unis et les portefeuilles d’investisseurs mondiaux », analyse-t-elle.

La décision de Donald Trump d’ériger des barrières douanières n’est qu’un élément, certes prépondérant, du nouveau paysage des marchés, devenu plus accidenté ces dernières semaines avec des remous sur les actions et le recul des taux longs sur fond de poussée de la volatilité, élargit pour sa part le duo de stratèges de La Banque postale Asset Management.

Hervé Goulletquer et Stéphane Déo opposent dans leur lettre hebdomadaire les interrogations politiques du moment aux conditions de l’économie réelle, qu’ils jugent toujours satisfaisantes.

DES SIGNAUX INQUIÉTANTS

Des signes de stress apparaissent toutefois du côté de la sphère financière, reconnaissent-ils en citant notamment le secteur technologique, avec là encore Donald Trump dans le rôle d’agitateur par ses critiques répétées à l’encontre du géant du commerce en ligne Amazon, qui vient de perdre plus de 8% en trois séances avant de se redresser un peu.

Ils conseillent également de garder un oeil sur l’écart (« spread ») entre le taux Libor sur les prêts interbancaires à trois mois et le swap de taux OIS (« overnight indexed swap ») de même échéance en dollar, ce dernier représentant une mesure des anticipations de la politique de taux de la Réserve fédérale.

Ce « spread », considéré comme un bon baromètre de la santé du système financier, s’écarte en effet depuis la fin de l’année dernière avec l’accélération du taux Libor en dollar, s’ajoutant à d’autres indices signalant une météo moins clémente sur les marchés, en particulier pour les actifs risqués.

Une détérioration des conditions du crédit se profilerait donc avec la normalisation monétaire en cours, les frictions commerciales entre les deux géants de l’économie mondiale ne faisant rien pour arranger les choses.

Le retour de l’aversion au risque est cependant loin d’être une fatalité, tempèrent les stratèges de Citigroup, qui invitent les investisseurs à profiter des opportunités offertes par le repli récent des Bourses et disent s’attendre à une hausse de 8% des marchés actions mondiaux d’ici à la fin de l’année.

Les turbulences des dernières semaines ont relégué au second plan la crainte d’une accélération de l’inflation entraînant un durcissement monétaire, qui avait été à l’origine de la correction observée début février sur les obligations puis sur les actions.

LES BÉNÉFICES DES ENTREPRISES DANS LE VISEUR

L’annonce, vendredi, d’un ralentissement des créations d’emploi aux Etats-Unis au mois de mars et de la stabilité de la croissance du salaire horaire moyen en rythme annuel n’a pas provoqué de séisme sur les marchés.

La thématique de l’inflation pourrait cependant refaire très vite surface avec l’annonce aux Etats-Unis des prix à la production, mardi, et à la consommation, le lendemain.

La politique des banques centrales, étroitement liée à la trajectoire de l’inflation, s’invitera également à nouveau dans l’actualité avec la publication, mercredi, du compte-rendu de la réunion monétaire de mars de la Réserve fédérale, à l’issue de laquelle la banque centrale américaine avait annoncé qu’elle relevait ses taux et signalé son intention de poursuivre sur la voie du resserrement.

Dans ce contexte troublé, qu’en est-il des bénéfices des entreprises ? Cette question, cruciale pour l’avenir des marchés actions, va connaître un début de réponse avec l’amorce d’une nouvelle saison de résultats trimestriels, trois banques de Wall Street (JPMorgan, Citigroup et Wells Fargo ) ouvrant le bal dès vendredi prochain.

Bank of America Merrill Lynch prédit une croissance moyenne des bénéfices par action des entreprises du S&P 500 de 17% sur un an au premier trimestre 2018, soit 1% de mieux que le consensus. La progression des chiffres d’affaires devrait ralentir légèrement mais demeurer robuste (7% sur un an), toujours selon BAML. (édité par Blandine Hénault)

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