Monnaie hélicoptère

Le concept de monnaie hélicoptère a été défini pour la première fois par l’économiste américain  Milton Friedmann en 1969 dans son livre « The optimum quantity of money ». Il y développait une métaphore : en situation de déflation, lorsque la demande est insuffisante et que les prix baissent, les autorités monétaires impriment des billets et les jettent d’un hélicoptère dans les rues. Les gens les ramassent et les dépensent, ce qui permet de combler l’écart entre la production et la demande et de faire repartir l’inflation en territoire positif.

Ce concept de « monnaie hélicoptère », longtemps considéré comme purement théorique, est toutefois aujourd’hui évoqué comme une possibilité par de nombreux économistes mais aussi par la banque centrale européenne (BCE) elle-même dans le cadre de sa politique de lutte contre le risque déflationniste en zone euro.

Si le recours à un tel instrument est évoqué aujourd’hui, cela tient à la persistance d’une inflation basse en zone euro malgré la politique monétaire non conventionnelle mise en œuvre par la BCE depuis mars 2015.

Toutefois, les inconvénients ainsi que les difficultés de mise en place de cette mesure laissent supposer qu’elle ne sera probablement pas appliquée en zone euro.

La politique monétaire de la BCE peine à montrer son efficacité

Depuis le dernier trimestre 2011, le taux d’ inflation   Définition Hausse continue du niveau général des prix. Pour mesurer le taux d’inflation on utilise, la plupart du temps, l’indice des prix à la consommation.
 en zone euro s’inscrit sur une tendance baissière. L’indice des prix à la consommation harmonisé calculé par Eurostat est ainsi passé en rythme annualisé de + 3,05 % en octobre 2011 à – 0,2 % en février 2016. Depuis février 2013, l’IPCH a par ailleurs constamment progressé à un rythme annualisé inférieur à 2 % -qui constitue pourtant la cible de moyen terme affichée par la BCE- et le taux d’inflation annuelle en zone euro ne dépasse même plus 1 % depuis le dernier trimestre 2013.

évolution de l’IPCH en zone euro

Si cette évolution apparaît positive pour le pouvoir d’achat des ménages, elle suscite les inquiétudes de la BCE de voir la zone euro basculer dans une spirale déflationniste   Définition La déflation peut être définie comme le contraire de l’inflation, à savoir une situation de baisse générale et durable des prix.
 qui serait particulièrement néfaste pour l’économie européenne.

Or, cette situation perdure en zone euro malgré toutes les mesures de politique monétaire conventionnelles (baisse des taux d’intérêt, désormais fixés en territoire négatif pour certains) et non conventionnelles (programme de rachats d’actifs financiers) décidées par la BCE depuis la nomination de Mario Draghi à sa présidence en novembre 2011.

Pourquoi les mesures prises par la BCE n’ont-elles pas fait repartir l’inflation en zone euro ?

L’inflation est faible en zone euro pour deux raisons complémentaires :

  • d’une part, parce que la croissance économique reste faible et le chômage élevé. Dans ce contexte, les entreprises se font concurrence entre elles pour écouler leur production, ce qui  contraint les prix. Par ailleurs, les salariés ne peuvent exiger des augmentations de salaires car leur pouvoir de négociation est affaibli ;
  • d’autre part, parce que la zone euro est insérée dans une économie de plus en plus mondialisée. La mondialisation pousse les entreprises à délocaliser leur production vers les économies à bas coûts de production, ou à importer des produits semi-finis en provenance de ces pays. La baisse des prix des matières premières en 2015 a renforcé ce phénomène.

Dans un tel environnement, la politique monétaire peut donc difficilement agir efficacement car la baisse des taux d’intérêt de la BCE a vocation à relancer la demande de crédit de la part des entreprises et des ménages. Mais puisque les entreprises ne souhaitent pas investir faute de débouchés suffisants, et que la crainte du chômage pousse les ménages à davantage épargner, le principal canal de transmission de la politique monétaire conventionnelle se trouve affaibli.

C’est pourquoi la BCE a mis en place une politique non conventionnelle destinée à racheter des titres obligataires   Définition Une entreprise (une collectivité publique ou l’Etat) peut solliciter un emprunt en émettant des obligations. L’obligation représente une fraction de cet emprunt. En contrepartie, de son investissement, le détenteur de l’obligation percevra des intérêts, que l’on nomme « coupons ». Il s’agit en tant que tel d’un titre de créance cessible, pouvant même faire l’objet d’une cotation en Bourse. Mais elle ne confère ni de droit de vote ni de droit aux dividendes au sein de la société émettrice, contrairement à l’action.
sur les marchés financiers, à l’instar de ce que la banque centrale des Etats-Unis (la Fed) a fait entre 2009 et 2014.

Différence entre les Etats-Unis et l’Europe

Aux Etats-Unis, la politique de la Fed a été efficace parce que cette dernière avait la possibilité d’acheter les obligations du Trésor américain directement sur le marché primaire   Définition Le marché primaire est le marché sur lequel les titres financiers sont émis, notamment lors d’introductions en Bourse, ou d’augmentations de capital.
, ce qui revenait à financer une partie du déficit public par de la création monétaire qui elle-même allait se déverser dans l’économie via les paiements du Trésor, mais aussi parce que les achats d’actifs de la Fed ont provoqué des hausses spectaculaires des marchés boursiers américains et ont ainsi généré des effets de richesse importants qui ont soutenus la consommation des ménages et donc l’activité économique.

Or, la BCE n’a pu jouer sur ces deux éléments car ses statuts lui interdisent d’acheter des obligations souveraines   Définition Emprunt émis par un Etat sur le marché financier.
sur le marché primaire et, en outre, les ménages européens, contrairement à leurs homologues américains, ne placent que marginalement leur épargne sur les marchés financiers, de sorte que les effets de richesse en Europe continentale sont quasi-inexistants.

Les seuls effets de la politique non conventionnelle de la BCE ont été jusqu’à présent de faire baisser les taux d’intérêt de toutes maturités   Définition Désigne l’échéance d’un produit financier. Par exemple, une obligation ayant une maturité de deux ans signifie que l’émetteur remboursera le capital emprunté 2 ans jour pour jour après son émission.
 et d’affaiblir l’euro sur le marché des changes, ce qui a pu générer des hausses de prix sur les produits importés et favoriser les exportations de la zone euro. Mais ces effets n’ont pas été suffisants pour faire remonter l’inflation au-dessus du rythme de 1 % annuel.

Dans ce contexte, face à l’absence de résultats tangibles en matière de remontée du taux d’inflation malgré l’ensemble des mesures adoptées par la BCE, de nombreux économistes se sont posé la question du recours à la monnaie hélicoptère comme moyen ultime de faire repartir à la hausse l’indice des prix à la consommation en zone euro. Interrogé sur cette éventualité lors de sa conférence de presse du 10 mars 2016, Mario Draghi, a indiqué qu’il trouvait cette idée intéressante tout en précisant qu’elle n’avait pas encore été étudiée par la BCE.

La monnaie hélicoptère serait difficile à mettre en œuvre

Le concept de monnaie hélicoptère se rapporte à la distribution aux ménages ou aux entreprises de monnaie directement créée par la banque centrale, sans aucune contrepartie contrairement à ce qui se pratique lorsque cette dernière utilise la « planche à billets » pour financer le déficit public. En effet, dans ce cas, la banque centrale crédite le compte du Trésor et elle constate une créance sur celui-ci, ou bien elle achète les obligations qu’il a émises et qui viennent se loger à son actif.

Dans le cas de la monnaie hélicoptère, il n’y a absolument aucune contrepartie à l’émission de monnaie par la banque centrale, puisque celle-ci distribue la monnaie qu’elle crée aux agents économiques qui n’ont pas de compte chez elle et qui n’émettent pas de titres de dettes en contrepartie. Il s’ensuit que la banque centrale se trouverait confrontée à deux difficultés majeures si elle souhaitait recourir à la monnaie hélicoptère : d’une part, comment concrètement transférer la monnaie créée aux ménages ou aux entreprises ? D’autre part, comment traduire cette opération dans son bilan ?

La banque centrale n’a pas d’accès direct aux agents économiques

La banque centrale est la banque des banques commerciales et du Trésor public qui disposent d’un compte ouvert à leur nom dans sa comptabilité. Mais ni les ménages, ni les entreprises non financières n’en disposent.

Dans ces conditions, ce qui est facile à faire avec les banques et le Trésor, à savoir créditer tout simplement leurs comptes des montants mis à leur disposition, est tout à fait impossible à réaliser avec les autres agents économiques.

Aussi, cette question purement pratique constitue-t-elle un vrai obstacle concret à la mise en place de la monnaie hélicoptère, sachant que l’idée d’un hélicoptère larguant des liasses de billets sur toute la zone monétaire reste une image destinée à illustrer un concept qui jusqu’à présent demeure théorique.

Même si la banque centrale trouvait le moyen de passer par les banques commerciales pour livrer la monnaie créée aux ménages ou aux entreprises, d’autres questions pratiques se poseraient, comme par exemple le fait de s’assurer que les personnes titulaires de plusieurs comptes bancaires ne perçoivent pas plus que celles qui n’en n’ont qu’un seul, ou encore que le mécanisme ne soit pas remis juridiquement en cause par des Etats opposés à sa mise en œuvre.

Une opération techniquement difficile

Dans le cas spécifique de la monnaie hélicoptère, puisque les agents économiques bénéficiaires n’ont pas de comptes ouverts à la banque centrale, celle-ci ne pourrait inscrire de contrepartie à la monnaie créée, sauf à considérer que ses réserves ou même ses fonds propres constituent cette contrepartie.

La Nordea Bank, dans une étude consacrée au sujet, estime que la BCE pourrait consacrer quelque 444 milliards d’euros, soit 1 300 euros par habitant de la zone euro, à la distribution directe de liquidités en ponctionnant ses réserves et son capital. Cela paraît toutefois difficilement concevable car la BCE devrait alors procéder à une recapitalisation en faisant appel à ses actionnaires, c’est-à-dire les banques centrales nationales. Celles-ci ne seraient alors plus à même de réaliser de bénéfices –elles pourraient même constater des pertes liées à la reconstitution de leurs réserves- et donc ne pourraient plus verser d’impôts et de dividendes à leurs Etats respectifs comme elles le font régulièrement depuis des années. Or, cela peut représenter des sommes très importantes. Ainsi, par exemple, la Banque de France a reversé au Trésor près de 2 milliards d’euros au titre de l’impôt sur les sociétés en 2014 et lui versera une somme presque équivalente lors du versement des dividendes pour l’exercice 2015.

Il est donc probable que de fortes réticences à la mise en place d’une opération de monnaie hélicoptère émergent, et ce d’autant plus que son efficacité n’est absolument pas garantie.

L’efficacité de la monnaie hélicoptère n’est pas garantie

L’idée sous-jacente à la monnaie hélicoptère est que la monnaie créée par la banque centrale va directement se déverser dans l’économie réelle et ainsi augmenter la masse monétaire, c’est-à-dire le total de monnaie en circulation dans l’économie, sans que la production de biens ou services n’ait augmenté en parallèle. La consommation et les prix vont alors progresser, engendrant ainsi un cercle vertueux susceptible de relancer l’activité économique et d’éviter le piège de la déflation.

Plusieurs obstacles à la réalisation de ce scénario permettent toutefois de douter de l’efficacité du recours à la monnaie hélicoptère :

  • Les ménages pourraient très bien décider d’épargner ou de thésauriser   Définition Conservation de la monnaie pour elle-même. Il s’agit d’accumuler de la monnaie pour en tirer un meilleur usage dans le futur.
     la monnaie reçue de la banque centrale. Dans ces conditions, l’effet sur la consommation serait nul ou marginal. Pour contrer ce risque, la monnaie pourrait être distribuée sous forme de bon d’achat à validité limitée. Mais même dans cette hypothèse, l’impact sur l’activité économique ne serait pas garanti.
  • Le surcroît de consommation engendré par la monnaie hélicoptère pourrait en effet profiter avant tout aux produits importés hors zone euro. Dans ce cas, l’effet sur l’activité économique serait faible et sans doute insuffisant pour relancer l’inflation et la production.
  • Même dans l’hypothèse favorable où le surcroît de monnaie permettrait de relancer l’activité économique de la zone euro, il n’est pas certain qu’il serait suffisant pour enclencher à lui seul le cercle vertueux de la consommation, de la hausse des prix et de l’investissement des entreprises. Une nouvelle stimulation monétaire pourrait alors s’avérer nécessaire pour véritablement ancrer les anticipations des agents économiques. Mais la BCE risquerait de ne plus en avoir les moyens.
  • Les gains générés par la relance de l’activité risqueraient par ailleurs de ne pas être répartis de façon optimale dans toute la zone euro. Il se pourrait en effet que les premiers bénéficiaires soient les pays les plus compétitifs qui verraient leur situation s’améliorer au détriment des autres.

Créé le 04 avril 2016 – Dernière mise à jour le 04 avril 2016
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