Non, l'anomalie d'Air France, ce n'est pas Benjamin Smith

Un patron étranger à la tête d’Air France est-il un sujet à l’heure de la mondialisation? Si les pilotes du syndicat SNPL et les militants CGT ont tordu le nez à l’annonce de la nomination de Benjamin Smith comme directeur général de la compagnie, la plupart des autres exemples de situations similaires devraient les rassurer. Du moins en ce qui concerne la pérennité de leur entreprise: le Portugais Carlos Tavares a sorti Peugeot de l’ornière, l’Allemand Thomas Buberl a l’air d’avoir trouvé la potion digitale pour Axa au 21e siècle, sans rappeler le parcours exceptionnel de l’Anglais Lindsay Owen-Jones qui a fait de L’Oréal le leader mondial des cosmétiques.

On pourrait aussi opposer à ces réactions frileuses la brochette de dirigeants français qui font le bonheur de groupes étrangers, comme les spécialistes de la pharmacie Pascal Soriot (AstraZeneca) ou Christophe Weber (Takeda), les géants du consulting Pierre Nanterme (Accenture) ou Charles-Edouard Bouée (Roland Berger), et Hubert Joly qui a sauvé à Minneapolis le distributeur Best Buy des griffes d’Amazon.

Préparer sa succession

La recette ne marche cependant pas à tous les coups. L’Espagnol Jose-Luis Duran et le Suédois Lars Olofsson se sont cassé les dents sur Carrefour, et le Germano-Canadien Chris Viehbacher a été éjecté de Sanofi. Cette dernière mésaventure illustre d’ailleurs un des seuls risques de la « dénationalisation » des dirigeants : la propension à oublier que les entreprises, même multinationales, ont des racines. C’est parce que le DG de Sanofi rêvait d’implanter le siège de la « big pharma » tricolore à Boston que le conseil d’administration a sifflé la fin de la partie.

Air France ne court pas ce risque. Lestée d’une participation de 14,3% de l’Etat dans son capital que plus rien ne justifie, la compagnie a accumulé une incroyable série de hauts fonctionnaires comme patrons. Et si les deux derniers titulaires du poste, Alexandre de Juniac et Jean-Marc Janaillac, affichaient une vision stratégique héritée du privé, ils n’avaient pas en tête cette priorité absolue de tout dirigeant à la tête d’une entreprise : préparer sa succession, just in case… Car elle est là, la véritable anomalie d’Air France-KLM : n’avoir pas su trouver dans ses rangs quelqu’un capable de prendre le manche.

Bien sûr, Air France, c’est la France, avec son lot de syndicats – 14 pour la seule compagnie nationale! -, ses pilotes insupportables, ses dénis constants – des frais de personnel de 30% à 40% plus élevé que ses concurrents -, ses excuses ressassés – ah! les charges sociales! -, ses interventions du pouvoir… Mais le vrai sujet est qu’il faille aller chercher à Montréal un manager capable d’offrir des perspectives, et de tenir un langage de vérité. Bon courage Ben!

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