Novartis se met à la thérapie digitale

Appelons-le John. John est Américain, et voilà des années qu’il se bat contre l’alcoolisme, enchaîne les hospitalisations, les traitements… Depuis un an, il a un nouveau  » coach  » pour l’épauler dans la maladie : ReSet, une appli conçue par Novartis avec la start-up américaine Pear Therapeutics. Tous les quatre jours, sur son smartphone, John fait le point sur sa consommation, son état de manque et ses états d’âme. Pour éviter de craquer, il fait des exercices de thérapies comportementales par vidéo, répond à des quiz, mesure ses progrès, aussitôt récompensés par des chèques cadeaux Starbucks ou Amazon. Son médecin suit son évolution en temps réel.

Rien à voir avec la flopée d’applis pour addictions en tous genres déjà sur le marché. ReSet doit être prescrite par un médecin. A l’automne 2018, elle a été certifiée par la FDA (Food and Drug Administration) pour les accros à l’alcool, au cannabis ou à la cocaïne. Susceptible d’être remboursée, donc. En janvier, c’est sa version pour la dépendance aux opiacés – une épidémie déclarée « priorité nationale » par Donald Trump – qui a reçu le feu vert des autorités.

Une première aux Etats-Unis. Et pour Novartis, décidé à percer dans les digiceuticals, les médicaments numériques : applis, matériel médical… Un marché en plein essor : 32 milliards de dollars en 2024, contre 2 milliards aujourd’hui, selon le cabinet Juniper. Pour son expert James Moar, il est d’autant plus prometteur qu’il est moins gourmand en temps et en argent que celui des médicaments classiques : « Trois à quatre ans de développement, contre vingt pour une nouvelle molécule ou thérapie. Le retour sur investissement est plus rapide et plus élevé. Novartis est le premier des big pharma à réellement investir le secteur, jusqu’alors l’apanage des start-up. »

Garder l’accès au patient

ReSet, c’est le fruit du virage digital amorcé en 2018 par le nouveau PDG Vas Narasimhan, et négocié par des profils inédits – Bertrand Bodson, le patron du numérique, vient d’Amazon. Novartis a investi « plusieurs centaines de millions de dollars » dans cette mue, indique ce dernier. Une paille au regard des 9 milliards de budget R&D du groupe en 2018, mais une vraie révolution culturelle. Novartis s’est doté d’incubateurs, à San Francisco et à Paris, pour repérer les pépites, tel Pear Therapeutics, expert en digiceuticals prescrits. Pour ReSet, 30 personnes, venues pour certaines de la tech et de la distribution, ont travaillé en mode start-up. « Acquisitions, alliances ou innovations maison, nous sommes agnostiques sur le chemin à prendre pour réussir ce virage », dit Stephen Moran, le patron de la stratégie globale.

Aujourd’hui, plusieurs centaines d’Américains utilisent ReSet. Les tests sont prometteurs : un essai clinique sur 399 patients a prouvé que 40 % des utilisateurs ont réussi à s’abstenir trois mois (17,6 % pour ceux traités sans l’appli). Novartis et Pear veulent la lancer au Canada et en Europe. « On réfléchit aussi à d’autres applis pour les maladies neurologiques ou cardiovasculaires », assure un responsable. Le tandem planche sur la schizophrénie et la sclérose en plaques.

Diversification salutaire ? « Si la big pharma s’intéresse au secteur, c’est d’abord pour éviter d’être coupée de l’accès au patient », pointe James Moar. Sans surprise, Novartis fabrique les produits traditionnels des domaines qu’il investit de façon digitale, tel le traitement substitutif des opiacés. Gratuite pour l’instant, la prise en charge du ReSet (10 à 15 dollars pour douze semaines) par les payeurs, Etats ou assureurs notamment, est en cours de négociation. James Moar est formel : « Demain, ce sont ces payeurs qui détermineront le succès ou pas de ces produits. »

SOURCE : JUNIPER RESEARCH.

En plein essor, le marché des médicaments numériques représentera 32 milliards de dollars en 2024, avec un meilleur retour sur investissement pour les laboratoires que les médicaments ou thérapies existants.

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