Où en sont les biotechs françaises cotées dans la lutte contre le coronavirus?

Fer de lance de l’innovation thérapeutique, les entreprises cotées du secteur français des biotechnologies se mobilisent rapidement pour tenter d’apporter des réponses face à la pandémie. Tour d’horizon des projets dévoilés à ce stade.

AB Science

La firme va évaluer l’effet d’une combinaison entre sa molécule phare, le masitinib, et une molécule de la famille des flavonoïdes -comme les tanins par exemple- obtenue à partir de différents végétaux appelée isoquercétine (ou isoquercitrine). Chez beaucoup de patients atteints des formes modérées et sévères du Covid-19, l’organisme connaît ce qu’on appelle une « tempête de cytokine », une inflammation pulmonaire qui peut aller jusqu’au syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), voire au décès des patients. Or le masitinib est un puissant inhibiteur des mastocytes et des macrophages, cellules du système immunitaire impliquées dans cette tempête cytokinique. L’isoquercétine inhibe de son côté une enzyme (PDI ou disulfure isomérase), impliquée dans la formation de caillots et donc le risque de thrombose liée au Covid-19.

AB Science estime qu’en outre l’association des deux molécules, masitinib et isoquercétine, pourrait avoir un effet synergique contre les cellules en fin de vie (sénescentes), qui sont potentiellement plus vulnérable au virus, ce qui pourrait expliquer pourquoi la mortalité du Covid-19 est plus élevée chez les personnes âgées. L’agence française du médicament, l’ANSM, lui a donné son aval pour une étude de phase 2 (essais cliniques intermédiaires) qui vise à recruter un total de 200 patients en France et dans d’autres pays. Principal critère qui sera mesuré: l’amélioration de l’état clinique des patients après 15 jours de traitement.

Biophytis

La société part également de son projet phare, Sarconeos, un médicament expérimental issu de plantes appelées phytoecdystéroïdes, utilisées comme agents tonifiants dans différentes pharmacopées. Ce composé a déjà été testé pour sa capacité à améliorer la fonction musculaire de patients âgés fragiles atteints de sarcopénie, une forme de dégénérescence musculaire liée à l’âge.

Biophytis a récemment reçu le feu vert à une étude testant sa capacité à préserver la fonction respiratoire d’enfants atteints de myopathie de Duchenne. La biotech souhaitait initialement démarrer en mai une étude en partenariat avec la Pitié Salpétrière, mais semble toujours en attente d’une réponse de l’ANSM. L’idée serait de tester l’effet du traitement en prévention des phases d’insuffisance respiratoire aiguë de patients hospitalisés, pour vérifier s’il peut diminuer le recours à la ventilation mécanique et éventuellement favoriser leur guérison.

Innate Pharma

Spécialisée dans l’immuno-oncologie, la firme marseillaise a mené des recherche sur l’un des projets expérimentaux qu’elle mène déjà dans le cancer, l’avdoralimab (IPH5401). Il s’agit là d’un anticorps thérapeutique qui bloque les récepteurs « C5aR » qui par leur effet pro-inflammatoire semblent impliqués dans le syndrome de détresse respiratoire aiguë. Une première étude translationnelle menée au sein de l’Immunopôle de Marseille a effectivement montré une surexpression de la voie C5a/C5aR chez les patients présentant un Covid-19 sévère.

Innate prévoit maintenant, en partenariat avec l’AP-HM (Hôpitaux universitaires de Marseille) un essai de phase 2 (essai clinique intermédiaire) évaluant la tolérance et l’efficacité auprès de 108 patients. L’objectif de cet essai indépendant, nommé FORCE, est d’améliorer la proportion de patients atteints d’une pneumonie sévère due au Covid-19 qui n’ont plus besoin d’être hospitalisés, et de réduire le besoin et la durée de ventilation mécanique chez ceux qui souffrent de SDRA.

Medincell

Le projet de la société montpelliéraine vise à tirer parti de son expérience dans la mise au point d’une formulation de l’ivermectine. Comme la chloroquine, cette molécule (utilisée depuis les années 1980) est à l’origine utilisée contre le paludisme, et certaines maladies parasitaires comme l’onchocercose, ou « cécité des rivières ». Alors que le médicament est reconnu dans ces indications comme très efficace et sans danger par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), une équipe de l’Université Monash à Melbourne suggère qu’il aurait des propriétés antivirales particulièrement remarquables. Dans une étude publiée le 3 avril dans la revue Antiviral Research, les chercheurs ont montré que l’ivermectine présente in vitro une capacité à détruire le coronavirus SARS-CoV-2, entraînant en 48 heures une quasi-disparition de la charge virale.

MedinCell de son côté avait déjà commencé un programme pour développer une formulation injectable assurant la diffusion progressive de la dose nécessaire pour trois mois de traitement. L’idée est d’administrer une unique injection au début de la saison de transmission, ce qui permettrait d’éviter les barrières logistiques à un traitement oral, dont la durée d’efficacité est trop courte et nécessite des prises fréquentes. Sur le même principe, la société envisage une application au coronavirus, sans avoir pour le moment détaillé le calendrier prévisionnel.

OSE Immuno

Ce n’est pas un traitement des symptômes graves de la maladie que vise à développer OSE Immuno mais un vaccin prophylactique contre le virus qui la provoque. Pour cela, la firme nantaise s’appuie sur son expertise dans l’optimisation d’épitopes, des fragments de protéines présentes à la surface des cellules qui permettent au système immunitaire de distinguer les cellules étrangères à éliminer des cellules « du soi ». Sa technologie a déjà permis à OSE d’élaborer un traitement expérimental contre le cancer visant à accroître la réponse immune mémoire des lymphocytes T contre des cellules tumorales, qui a passé avec succès la dernière phase (phase 3, juste avant une éventuelle commercialisation) des essais cliniques dans le cancer du poumon.

En collaboration avec une start-up spécialisée dans la bio-informatique, MAbSilico, les équipes de recherche d’OSE Immunotherapeutics ont passé au crible un grand nombre de peptides issus de différentes protéines de coronavirus et sélectionné les épitopes dominants de quatre protéines majeures des coronavirus. L’objectif est de créer une combinaison capable de diriger un type de globules blancs appelés lymphocytes T directement contre les cellules infectées, plutôt que de générer des anticorps (dont la réponse immunitaire peut être fluctuante et limitée dans le temps). La société espère de premiers résultats précliniques au début du deuxième semestre et si tout va bien compte lancer une étude chez l’homme avant la fin de l’année.

Pharnext

À l’initiative de son fondateur Daniel Cohen, qui a récemment abandonné ses fonctions exécutives pour devenir président du conseil scientifique de la société, Pharnext a noué un partenariat avec l’Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) Méditerranée Infection dirigé par le médiatique professeur Didier Raoult. L’IHU Méditerranée Infection doit ainsi mener des tests en laboratoire sur un certain nombre de médicaments déjà approuvés qui ont été identifiés par Pharnext grâce à sa plateforme de pléotherapie, basée sur l’intelligence artificielle, comme de potentiels candidats pour lutter contre le Covid-19. La société n’a pas encore précisé quelles molécules ou quelles combinaisons de molécules, parmi les 97 identifiées dans sa liste, allaient être testées en priorité.

Plant Advanced Technologies (PAT)

La firme nancéienne spécialisée dans la découverte et l’exploitation de principes actifs à base de plantes, compte s’appuyer sur une technologie mise au point à l’Institut National Polytechnique de Lorraine-INRA. L’entreprise entame une phase de tests préliminaires contre le virus SARS-CoV-2 (Covid-19) pour deux de ses principes actifs en développement, non divulgués pour le moment. PAT précise qu’elle maîtrise déjà la production de ces actifs brevetés.

Selon la société, ces deux composés ont démontré in vitro et in vivo (c’est-à-dire en labo et sur des modèles animaux) une capacité à réguler l’inflammation, et (in vitro seulement) un effet antiviral sur des virus respiratoires de type bronchiolite (RSV) et grippe (H1N1). En cas de résultats positifs sur le SARS-CoV-2, Plant Advanced Technologies estime que ses principes actifs pourraient bénéficier d’un positionnement attrayant grâce à leur double action, mais le projet est donc encore plus précoce que chez ses homologues.

Valneva

La biotech franco-autrichienne ne part pas non plus d’une page blanche pour la mise au point d’un vaccin mais s’appuie sur la plate-forme déjà utilisée pour son vaccin contre l’encéphalite japonaise (une maladie virale transmise par les piqûres de moustique), renforcée par l’adjuvant conçu par l’américain Dynavax qui a déjà fait ses preuves dans l’hépatite B. Concrètement, la biotech a mis au point un procédé qui s’appuie sur cette plate-forme en termes d’étapes de production et de purification dans une démarche « plug-and-play », avec seulement quelques ajustements.

Ce procédé inclut notamment une méthode d’inactivation du virus qui vise à préserver la structure de la protéine S (pour « spike », les fameuses spicules ou petites pointes évoquant une couronne qui donnent son nom au virus) afin de faciliter ensuite la reconnaissance par les anticorps. Valneva collabore de plus avec Dynavax, qui a développé spécifiquement une technologie pour renforcer la réponse immunitaire de vaccins existants. La biotech américaine apportera ainsi son expertise technique et son adjuvant CpG 1018 déjà utilisé dans un vaccin contre l’hépatite B. La société nantaise s’est rapprochée des autorités réglementaires en vue de mettre en place un programme de développement accéléré, avec pour objectif d’initier des essais chez l’homme avant la fin 2020.