Pipeline Iran-Pakistan : vers une révision des prix d’achat du gaz iranien ?

Alors que le Pakistan vient de demander à l’Iran 2 milliards USD en vue de financer sa propre portion d’un gazoduc on ne peut plus stratégique, faisant fi des sanctions américaines, un récent rapport laisse désormais entendre que le pipeline Iran Pakistan ne serait pas viable en l’état, estimant qu’une révision des conditions s’avère nécessaire.

Le rapport de l’Institut de développement de la politique durable  (SDPI) concernant ce gazoduc – rapport intitulé « Repenser l’équation énergétique du Pakistan » – indique ainsi que depuis que le prix du gaz acheté dans le cadre du projet est lié aux prix du pétrole brut, le pays agit dans cette affaire en ignorant ouvertement la dynamique du secteur énergétique et le processus d’élaboration des prix. L’Institut insistant sur le côté fort regrettable d’une telle situation.

Alors que le Pakistan exige que les États-Unis ouvrent désormais la voie à la mise en œuvre du gazoduc via un assouplissant des sanctions contre l’Iran, ce nouveau rapport affirme que l’accord de fourniture de gaz devrait être renégocié, notamment en ce qui concerne la partie tarifaire, sous peine d’asséner un coup fatal à l’économie du pays.

Selon les calculs établis par les auteurs du rapport, dans l’état actuel des choses, le pipeline Iran-Pakistan ne devrait pas permettre de régler les problèmes énergétiques du Pakistan et équivaudrait plutôt à un plan de sauvetage. Les rapporteurs exhortant Islamabad à renégocier le prix d’importation du gaz naturel au plus tôt.

Pour rappel, le Pakistan a une capacité de production d’électricité combinée de 24000 MW, mais ne peut atteindre actuellement ce niveau en raison de problème d’approvisionnement en gaz naturel. Le pays est en effet  actuellement confronté à une baisse de sa production de gaz naturel, problème d’autant plus crucial que sa demande intérieure a plus que doublé.

Pour faire face à cette pénurie, les stations services vendant du gaz naturel compressé (CNG), carburant low-cost utilisé par les taxis, les autobus, les motos et les automobilistes de la classe moyenne fermeront leurs portes de novembre à janvier prochain. Les volumes ainsi économisés devraient permettre d’obtenir d’assurer le chauffage des maisons pendant l’hiver. A l’heure actuelle, le Pakistan limite d’ores et déjà l’ouverture des pompes à quelques jours seulement par semaine, provoquant de longues files d’attente et des mouvements d’irritation de la population.

Selon les termes d’un accord conclu en 2013 avec l’Iran, le Pakistan devrait importer à terme, en 2014, 21,5 millions de mètres cubes de gaz par jour à partir de son voisin iranien, le tout sur une durée de 20 ans, prorogeable de 5 ans.

Précisons que le pipeline – dont le coût de construction est évalué à 7,5 milliards de dollars – doit relier sur 1.800 kilomètres le champ gazier iranien de South Pars – situé en offshore – et Nawabchah, au nord de Karachi, la métropole économique pakistanaise.
La chaîne publique iranienne Irib a indiqué en mars dernier que la construction des 900 km de la partie iranienne du gazoduc était achevée, ajoutant que les 780 km traversant le territoire pakistanais demeuraient à construire. A cette date, Téhéran avait accepté de prêter 500 millions de dollars à Islamabad, soit le tiers du coût estimé de la portion pakistanaise.

Mais le Pakistan est actuellement confronté à des problèmes financiers pour pouvoir poursuivre la construction du tronçon le concernant.

L’affaire pourrait prendre une ampleur importante dans les prochains mois, Islamabad pouvant être amené à verser des indemnités à Téhéran si le Pakistan ne parvient pas à achever avant décembre 2014 la partie du gazoduc qui lui revient. Indemnités qui pourraient avoisiner un million de dollars par jour de retard. Termes du contrat qu’il revient de négocier si l’on en croit les auteurs du rapport.

Tendant la perche à Téhéran, le ministre pakistanais a néanmoins précisé début octobre que les délais pourraient être respectés si l’Iran mettait la main au portefeuille. Laissant toutefois entendre que les biens précieux subsides devraient être rapidement mis rapidement sur la table pour pouvoir assurer la disponibilité des équipements techniques nécessaires à la réalisation du pipeline.

Si à l’heure actuelle, près de 50 % des besoins pakistanais sont couverts par le gaz naturel, les analystes estiment par ailleurs que le pays devra se tourner à terme vers des options plus novatrices, sans se limiter au recours de sources d’énergie non conventionnelles et alternatives.

Le rapport regrette par ailleurs que le pays n’ait pris aucune mesure substantielle en vue d’initier le processus permettant de tirer partie du potentiel de gaz de schiste. Exhortant le Pakistan à suivre l’exemple de l’Inde pour maintenir une croissance économique élevée.

S’agissant de la question des sanctions contre l’Iran, elle a été soulevée récemment par le Premier ministre pakistanais Nawaz Sharif, lors de sa rencontre avec le président Obama ; sans toutefois que les autorités ne confirment ni infirment un éventuel adoucissement de la position des Etats-Unis sur le dossier.

Rappelons que le projet, qui a vu le jour dans les années 1990, a longtemps été différé, du fait notamment des pressions exercées par les Etats-Unis sur le Pakistan et sur l’Inde, laquelle était initialement partie prenante au sein du projet IPI (Iran – Pakistan – Inde).

Depuis maintenant une décennie, les Etats-Unis ont tenté de lier le dossier aux sanctions prises contre le programme nucléaire controversé de l’Iran, mettant en garde contre les risques de même ordre que pourraient engendrer une éventuelle participation.

Face à de telles pressions, New Delhi s’est retiré du projet en 2009, faisant valoir des aspects financiers et des problèmes de sécurité. Après avoir préalablement signé un accord nucléaire avec Washington.

Néanmoins, soutient aujourd’hui Shahid Khaqan Abbasi, les Etats-Unis n’auraient pas évoqué l’épineux dossier de ce pipeline « à quelque niveau que ce soit ».

Reste qu’en juillet 2012, lors d’un entretien avec les médias pakistanais, l’ambassadeur américain à Islamabad, Cameron Munter, avait exprimé l’inquiétude de Washington de voir le projet du gazoduc transitant le gaz iranien vers l’Inde, via le Pakistan, se réaliser. Proposant parallèlement au gouvernement pakistanais de s’associer avec le Turkménistan – et non plus avec l’Iran – au sein du projet de construction du pipeline TAPIO.

En mars dernier, Mahmoud Ahmadinejad, alors président iranien avait accusé des « éléments étrangers » de chercher à nuire aux relations de l’Iran avec le Pakistan. Ajoutant : « je veux dire à ces gens que le gazoduc n’a aucun lien avec le dossier nucléaire« . Et poursuivant : « on ne peut pas fabriquer des bombes atomiques avec du gaz naturel. C’est pourquoi ils ne devraient avoir aucune raison de s’opposer à ce gazoduc. »
Tentant ainsi de dissocier géopolitique et dossiers énergétiques … ce qui ne s’est jamais vu, ne rêvons pas.
La porte-parole du département américain d’Etat n’avait quant à elle aucunement cherché à oeuvrer dans ce sens, indiquant même que si ce projet allait de l’avant, un déclenchement de sanctions serait fort probable.

Sources : thehindu.com, AFP, Presse pakistanaise

Elisabeth Studer – www.leblogfinance.com  – 28 octobre 2013


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