Pourquoi Decathlon privilégie ses propres marques à Nike ou Adidas

La foule se presse au magasin Decathlon de la Madeleine, à Paris, pour les fêtes de fin d’année. Pourtant, au rayon football, les clients ne trouveront pas le maillot des Bleus avec ses deux étoiles de champions du monde. Car l’enseigne d’articles de sport a pris ses distances avec son fournisseur, Nike. Et le géant américain ne l’a toujours pas livré. Un bras de fer risqué pour Decathlon, fondé en 1976, puisque son chiffre d’affaires décroche au profit de ses rivaux directs comme Intersport.  » Nos ventes ont baissé cette année d’environ 4 % en France, reconnaît Nicolas Belluye, le directeur administratif et financier du groupe. Mais nous l’assumons, c’est le résultat d’un tournant stratégique qui nécessite un peu de temps pour être clairement exécuté. « 

Le leader mondial de la distribution d’articles de sport a fait un choix assez radical : écarter les grandes marques comme Nike ou adidas au profit de ses propres produits, plus rentables car exclusifs. A l’instar d’un Ikea dans l’ameublement, Decathlon souhaite devenir une alternative convaincante pour les sportifs occasionnels et confirmés. Les amateurs de running ont ainsi pu constater qu’en dehors de Kalenji, la marque de Decathlon, il n’existe quasiment plus d’autres offres.

Ménage dans les rayons

Globalement, les marques internationales ne pèsent plus que 20 % environ et elles baisseront encore de 2,5 % cette année. Mais, d’un rayon à l’autre, cette part est très variable, selon le degré de technicité : « Quand nous ne savons pas faire, nous proposons l’expertise d’une grande marque toujours légitime dans notre offre », indique Nicolas Belluye. Difficile de se passer des dérailleurs Shimano et des pneus Michelin pour les vélos, ou des raquettes de tennis Wilson et Babolat. Ce grand ménage fait sourire son concurrent Intersport : « Nous avons pris le contre-pied de Decathlon, avec 75 % de marques internationales. Et, en cette année de Coupe du monde, notre croissance atteint 6 % à surface égale », s’enthousiasme Jacky Rihouet. Son enseigne se positionne aussi sur le lifestyle avec les fameuses baskets Stan Smith, qui ne sont plus vendues depuis trois ans par Decathlon.

Segmentation étendue

Pour devenir l’Ikea du sport, Decathlon a lancé un chantier colossal de spécialisation de son offre. A ce jour, 87 disciplines sportives disposent d’une marque propre. « Nous irons jusqu’à 100 », prévient Nicolas Belluye. Plus d’une centaine d’ingénieurs y travaillent en interne. Ainsi, jusqu’à peu, la marque B’Twin regroupait toute l’offre de cyclisme. Désormais, il y a Rockrider pour les VTT et la randonnée, Triban pour le vélo de route accessible. En janvier, une marque sera lancée pour le cyclisme de compétition. « Auparavant, nous développions des produits consensuels adaptés à tout le monde, souligne Nicolas Pierron, chef de produits vélo. Au risque d’apparaître trop exigeant pour le débutant et pas assez pour le compétiteur. » Cette segmentation étendue à toutes les grandes disciplines offre une profondeur de gamme inégalée. Depuis le début de l’année, Decathlon a ainsi créé quatre univers, en course d’orientation, jujitsu, triathlon et kite surf.

Pour convertir ses clients, l’enseigne affiche des prix bien moins élevés que ceux des grandes marques. Allégés de frais publicitaires et marketing – jusqu’à 30 % d’une paire de Nike -, les produits Decathlon sont très compétitifs. Même les syndicats y croient : « C’est sur les produits maison que nous ferons la différence, et pas sur les articles vendus dans l’e-commerce, par des plateformes qui se disputent le même survêtement Puma », soutient Sébastien Chauvin, délégué syndical central CFDT. Des articles sur lesquels il n’y a presque pas de marge. Depuis un an, Decathlon a arrêté les soldes et les promotions pour réallouer l’argent dans la baisse des prix. « Notre prix moyen est passé de 15,70 en 2004 à 13 euros cette année », révèle Nicolas Belluye. « La force de Decathlon, c’est le rapport qualité-prix imbattable, souligne Laurent Thoumine, patron du commerce et du textile à Accenture. Mais l’enseigne sous-estime la puissance marketing d’une grande marque, le halo qui l’entoure et qui fait qu’un sportif qui court en Nike aura du mal à choisir Kalenji. »

Spécificités locales accrues

C’est pour convaincre ces accros à Nike et adidas de la qualité de ses produits que Decathlon étendra son dispositif « test and buy » à toute la France dès 2019. Avec cette formule « essayer puis acheter », le client n’est encaissé qu’après sept jours de test de sa paire de chaussures Kalenji, s’il ne la rend pas en magasin. Le lien avec le client reste essentiel au point qu’à partir de vingt avis sur Internet, si un produit n’atteint pas le score de trois étoiles sur cinq, il est retiré des linéaires.

Pour se rapprocher des clients, Decathlon a lâché du lest aux directeurs de magasins afin qu’ils composent leurs rayons selon les spécificités locales. Ainsi, à Béthune, le rayon escalade est renforcé car la ville accueille le plus grand mur d’entraînement d’Europe. Cette plus grande proximité s’exprime aussi dans les formats de magasins : Décathlon développe City, un nouveau petit format de centre-ville, comme celui de 137 mètres carrés de la gare de Lille spécialisé dans la mobilité. L’idée ? Densifier le maillage et fidéliser sa clientèle en animant des cours gratuits de pratiques de sport. Un relais de croissance pour regagner des parts de marché dès 2019 et oublier 2018.

 

Une nouvelle gouvernance sur fond de divergences

Ce 4 décembre, Fabien Derville a été nommé à la présidence du conseil d’administration de Decathlon par les deux familles actionnaires, les Mulliez et les Leclercq. Déjà membre du conseil, ce cycliste de 56 ans connaît bien l’enseigne. Cet ancien de Leroy Merlin et de Norauto remplace le très discret Mathieu Leclercq, fils du fondateur Michel Leclercq qui avait, à la surprise générale, claqué la porte en juillet pour divergence stratégique. Inquiet des « contreperformances de début d’année » de Decathlon, il avait fait part de son désaccord frontal avec Michel Aballea, le directeur général du groupe, dans un courrier interne. Il avait notamment considéré que l’enseigne avait été trop loin dans la mise à l’écart des grandes marques internationales, particulièrement en cette année marquée par la Coupe du monde de football.

S. Audras/RéaDecathlon City, à Lyon. Pour être au plus près de ses clients, la marque décline désormais des magasins de petits formats en centre-ville.

SPVélos de route B’Twin. Rockrider, Triban… l’offre cyclisme est déclinée en sous-marques selon l’usage.

SOURCE : SOCIÉTÉ.

SPOrao, la marque maison de kite surf. Cette discipline fait partie des quatre nouveaux univers créés par Decathlon depuis janvier.

G. Chris /SPJu-jitsu. La marque Outshock est destinée aux arts martiaux et à la boxe. A ce jour, 87 disciplines disposent d’une marque propre, l’objectif est d’arriver à 100.

SPAptonia, la marque triathlon. Une des spécialisations de l’enseigne.

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