Pourquoi la hausse du budget des armées est en trompe-l’œil

Un budget de « remontée en puissance ». C’est le qualificatif retenu par le ministère des armées au sujet du budget de défense 2018, présenté le 27 septembre. Les grandes lignes étaient connues depuis le discours d’Emmanuel Macron, le 13 juillet dernier: le budget du ministère augmente de 1,8 milliard d’euros par rapport à 2017, à 34,2 milliards d’euros, soit une hausse de 5,8%. En ajoutant les cessions immobilières (190 millions d’euros en 2018), le budget total ressort à 34,4 milliards d’euros. Il continuera de grimper de 1,7 milliard par an jusqu’à la fin du quinquennat, pour atteindre 41 milliards d’euros environ en 2022. Sur la période 2018-2022, l’armée pourra ainsi compter sur un budget total de 190 milliards d’euros, soit 30 milliards de plus que les 160 milliards de la période 2013-2017. « C’est l’équivalent d’une annuité de budget en plus », souligne-t-on dans l’entourage de Florence Parly.

L’effort, au-delà des polémiques, est indéniablement important. L’augmentation du budget des armées est trois fois supérieure à celle de 2017 (600 millions d’euros). Il marque aussi une remontée de l’effort de défense français, qui passe de 1,77% à 1,82% du PIB. Dans le détail, le budget équipements passe de 17,3 à 18,5 milliards d’euros, un coup de pouce significatif. L’entretien programmé des matériels (la maintenance) pourra aussi compter sur 450 millions d’euros de crédits supplémentaires. 200 millions seront spécifiquement fléchés vers la protection du combattant  : 60 millions pour des gilets pare-balles et autres casques en composites ; 105 millions pour la protection des sites sensibles (dépôts de munitions, de carburant…), un sujet majeur depuis le vol de munitions à Miramas en 2015 ; et 32 millions pour la protection du ministère contre les cyberattaques.

Hausse réelle plus limitée

Tout est-il rose pour autant dans la maison kaki? Loin de là. La hausse de budget 2018 est à nuancer: sur le 1,8 milliard d’augmentation, 1 milliard va juste servir à financer les décisions prises en 2016 sous François Hollande (non-déflations d’effectifs, équipements…). La hausse « réelle » en 2018 n’est donc que de 800 millions… auxquels il faut enlever 200 millions fléchés vers les opérations extérieures, et donc indisponibles pour le budget du ministère en tant que tel. L’effort réellement nouveau est donc plus proche de 600 millions d’euros que de 1,8 milliard. C’est substantiel, mais moins qu’annoncé.

D’autre part, la hausse du budget des armées 2018 arrive après la coupe de 850 millions d’euros dans le budget 2017, décidée au printemps par Bercy avec le soutien de l’Elysée. Si le ministère essaie de limiter au maximum les effets de cette coupe, elle n’est pas indolore pour autant. Le ministère compte économiser 430 millions d’euros d’économies en baissant les dotations de la France à des agences internationales comme l’Occar (en charge de l’A400M et de l’hélicoptère Tigre) et la Nahema (en charge de l’hélicoptère NH90).

Reports de livraisons

Les 420 millions d’euros restants doivent être obtenus en négociant avec les industriels. Trois programmes seront ainsi renégociés par la DGA, pour un gain estimé de 90 millions: le passage du chasseur Rafale au standard F4, les frégates de taille intermédiaire (FTI) de Naval Group, et une tranche conditionnelle de la rénovation des Mirage 2000D de l’armée de l’air. Quatre autres programmes verront leurs livraisons décalées, une économie de 330 millions à la clé: les radars des avions légers de reconnaissance et de surveillance (ALSR), les tourelleaux du blindé Griffon, la charge utile de renseignement électromagnétique des drones Reaper, et le pod de détection de missile des Rafale Marine. Ces paiements reportés devront bien être honorés un jour… ce qui limitera d’autant les hausses annoncées du budget de défense jusqu’à 2022.

D’autres épées de Damoclès flottent au-dessus de la tête des argentiers du ministère. Un, 700 millions d’euros de crédits 2017 sont toujours gelés par Bercy. Il va falloir obtenir leur déblocage, lors d’une négociation avec le Budget prévue en octobre. Deux, les opérations extérieures (OPEX) et intérieures (OPINT) ne sont toujours pas intégralement financées. Leur coût devrait atteindre 1,3 milliards d’euros en 2017, quand le ministère n’a pour l’instant que 1,1 milliard disponible. Qui va payer les 200 millions d’euros restants ? Le ministère des armées compte demander un financement interministériel, qui lui éviterait d’avoir à nouveau à puiser dans ses caisses. C’est d’ailleurs la solution prévue par l’article 4 de la loi de programmation militaire de 2013. Mais Bercy risque de ne pas l’entendre de cette oreille, et de réclamer que les armées prennent à leur charge ce surcoût. Il faudrait alors rajouter 200 millions d’euros aux 850 millions déjà coupés…

L’incertitude OPEX

Cette incertitude sur le financement des OPEX vaut aussi pour le budget 2018. Certes, la provision OPEX en loi de finance initiale passe de 450 à 650 millions d’euros, pour se rapprocher du coût réel, qui a toujours été supérieur au milliard d’euros ces dernières années. Mais le coût total des opérations sera encore très probablement au-delà du milliard d’euros en 2018. Si la jurisprudence de 2017 se confirme (le ministère des armées prenant en charge la quasi-totalité du surcoût OPEX), une nouvelle coupe budgétaire serait inévitable. Rendant l’augmentation du budget 2018 largement virtuelle.

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