Pourquoi l’Europe doit racheter OneWeb

Fin de partie pour OneWeb ? L’opérateur américano-britannique, qui ambitionnait de mettre sur orbite une constellation de 648 satellites dédiée à l’internet haut débit, a provoqué une onde de choc dans le petit monde du spatial en se mettant le 27 mars sous la protection du Chapter 11 de la loi américaine sur les faillites. La start-up, qui avait déjà levé 3,4 milliards de dollars auprès du géant japonais Softbank, d’Airbus ou de Qualcomm, était en négociations pour une nouvelle levée de fonds. « Le processus n’a pas abouti en raison de l’impact financier et des turbulences du marché liées à l’épidémie de Covid-19 », indique le PDG de OneWeb Adrian Steckel, cité dans un communiqué. Le principal actionnaire, Softbank, lui-même en mauvaise posture financière, a refusé de remettre au pot, refusant d’aller au delà des 2 milliards de dollars déjà investis. Acculé, OneWeb a licencié 85% de ses quelque 530 salariés, et annoncé qu’il entendait « vendre des activités » pour « maximiser la valeur de la société ». 

L’annonce fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le new space. Lancé en 2015 par l’entrepreneur américain Greg Wyler, OneWeb était, avec le projet Starlink de SpaceX, l’acteur le plus avancé dans la grande course aux constellations dédiées au haut débit, avec une bonne longueur d’avance sur Amazon (projet Kuiper) et le canadien Telesat. L’opérateur disposait déjà de 74 satellites en orbite, dont 34 lancés le 21 mars dernier par un Soyouz depuis Baïkonour (Kazakhstan). Il avait déjà installé la moitié de ses 44 stations sol, et avait déjà réalisé avec succès ses premiers tests de connexion haut débit. Il avait également inauguré en juillet dernier une usine ultra-automatisée en Floride, codétenue à 50-50 avec Airbus, et capable de produire deux satellites jour, une cadence inédite dans l’industrie.

L’Europe durement touchée

L’Europe apparaît comme une des principales victimes de la chute de OneWeb. Airbus se retrouve avec 50% d’une usine floridienne dont il risque de ne savoir que faire, faute de client à livrer. Arianespace est aussi durement touché : sélectionné pour lancer les satellites du groupe, il devait encore effectuer 18 lancement de Soyouz pour mettre sur orbite les satellites de la constellation. L’industriel ArianeGroup est aussi impacté. OneWeb était aussi le client de lancement de la nouvelle fusée Ariane 6 à la fin 2020, un premier vol qui devrait glisser à 2021. La start-up avait aussi signé une option pour deux lancements supplémentaires. Une ribambelle d’autres groupes européens était également impliquée dans le projet. La PME française Sodern fournissait ainsi les viseurs d’étoiles qui permettent aux satellites de s’orienter.

Que faire ? Deux solutions se dégagent. « Soit l’Europe ne fait rien, et n’aura que ses yeux pour pleurer, soit elle prend les choses aux mains et rachète la constellation », estime un expert du spatial. Cette dernière solution pourrait passer par la création d’un consortium européen autour d’Airbus, ArianeGroup, voire l’opérateur satellite Eutelsat. Elle pourrait également bénéficier du soutien de la Commission européenne. « La politique spatiale, d’une importance stratégique considérable, est l’un de nos atouts les plus précieux », assurait la patronne de la Commission Ursula Von der Leyen à dans la lettre de mission envoyée le 1et décembre dernier à Thierry Breton, commissaire en charge du spatial.

Un bon investissement

Un tel rachat aurait de nombreux avantages. Il permettrait de sécuriser le carnet de commandes d’Arianespace, en confirmant les tirs prévus de Soyouz et Ariane 6. Il permettrait de continuer à faire tourner l’usine OneWeb Satellites d’Exploration Park (Floride), dans laquelle 85 millions de dollars ont déjà été investis. Il conforterait l’activité des divers fournisseurs européens de la start-up. Et il permettrait à l’Europe de récupérer, pour un coût probablement très faible, un projet déjà bien avancé, dé-risqué en termes de technologies, avec des satellites opérationnels, une usine qui tourne, et last but nos least, les précieuses fréquences spatiales préemptées par OneWeb. « Cela permettrait à l’Europe d’avoir sa propre constellation, sans avoir à relancer tout un processus complexe d’appel d’offres, de spécifications techniques, avec les inévitables guerres entre industriels », relève un observateur. 

Certes, le contexte de la pandémie de Covid-19 peut paraître peu propice aux grandes envolées stratégiques. « Mais c’est justement dans ces contextes tourmentés qu’on fait les meilleures affaires », relève un industriel. Airbus avait réalisé un joli coup en profitant de la débandade du monocouloir CSeries de Bombardier pour racheter le programme pour 1 dollar. Rebaptisé A220, l’appareil affiche désormais des perspectives prometteuses. L’idée d’un rachat de OneWeb se défend d’autant plus que la constellation pourrait servir à de multiples missions européennes : suppression de la fracture numérique sur tout le territoire de l’UE, capacité de communications en cas de défaillance des grands réseaux, réseau de secours pour les gouvernements et les armées…

Amazon à l’affût ?

Interrogé sur la possibilité d’un rachat de OneWeb, Airbus botte en touche, sans réfuter totalement l’hypothèse. « Nous sommes toujours convaincus que le projet a du sens, nous partageons la vision de la connectivité de OneWeb, nous ferons tout pour les aider », assure-t-on à Toulouse, tout en refusant de se prononcer sur l’hypothèse d’un rachat. Eutelsat indique quant à lui n’avoir aucun commentaire à faire. 

Faute de réaction européenne, le Vieux continent serait très probablement absent des grandes constellations de satellites en orbite basse, laissant seuls sur le marché le projet Starlink de SpaceX, le projet Kuiper d’Amazon, et le probable projet de constellation chinoise. Les actifs de OneWeb, notamment son portefeuille de fréquences, pourrait d’ailleurs permettre au patron d’Amazon Jeff Bezos d’avancer plus vite sur le programme Kuiper, en récupérant à la casse une ressource rare et convoitée. Pour l’Europe spatiale, c’est maintenant ou jamais.

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