Protocole sanitaire: Votre employeur peut-il vous obliger à revenir?

Fini les 4m2 par salarié, d’après le nouveau protocole sanitaire pour les entreprises, diffusé cette semaine par le ministère du Travail. Désormais, un mètre entre chacun suffit, et à défaut, masque obligatoire pour tout le monde. Avec l’allègement de ces règles de distanciation, les bureaux peuvent donc à nouveau se remplir, et de plus en plus de managers encouragent déjà le retour des salariés. Mais peuvent-ils le leur imposer?

« Bien entendu, répond Sabrina Kemel, avocate en droit social au sein du cabinet FTMS. Un employeur peut imposer le retour au travail, dès lors que les mesures de sécurité sont prises. Il n’y a pas de droit au télétravail« . Pour l’avocate, beaucoup d’entreprises vont maintenant s’empresser de revenir à la normale, ce qui pourrait engendrer des conflits avec des salariés. Selon une étude de Malakoff Humanis publiée le 25 juin, 56% des salariés du secteur privés appréhendaient en avril de revenir sur leur lieu de travail. « Mais la peur ne justifie pas de ne pas se rendre au travail, souligne Sabrina Kemel. Le dialogue entre l’employeur, les salariés et les représentants du personnel ne doit pas être négligé. Il ne faut pas oublier que dans une telle situation le salarié n’est pas en position de force. En cas de refus ferme de revenir à son poste de travail, l’employeur pourrait prendre des sanctions pouvant aller jusqu’au licenciement. »

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Seule exception, les personne fragiles ou malades ayant un certificat d’isolement, que l’employeur a l’obligation de respecter. Idem pour les personnes dont les enfants n’ont pas pu retourner à l’école. « Aucun nouveau texte n’est paru depuis la loi du 25 avril 2020 si bien qu’à mon sens, et pour l’heure, l’activité partielle (ou le télétravail s’il est possible) devrait rester en vigueur pour cette population de salariés contraints de garder leur enfants« , considère l’avocate.

En revanche, s’il impose un retour au bureau, l’employeur doit aussi s’assurer de la sécurité de ses salariés et de la bonne mise en place des mesures barrière. Arnaud Gilberton, fondateur du cabinet de conseil en ressources humaines Idoko, conseille deux bonnes pratiques aux managers : instaurer des temps de parole et de dialogue, pour faire un bilan des 3 mois de télétravail, un moyen de « débriefer, tirer les enseignements, et psychologiquement de passer à une nouvelle étape ». Et s’assurer de fournir une information claire sur les règles sanitaires.

Parce qu’au-delà de l’organisation du retour des salariés sur site, toute la difficulté va consister à gérer les comportements individuels. Laurence, employée dans un service administratif d’une CCI témoigne: « Dès le déconfinement, il nous a été très fortement recommandé de revenir au bureau. Au début j’avais de grosses angoisses, les gestes barrières ne sont pas respectées dans les parties communes. Les masques sont juste ‘fortement conseillés’. J’ai un collègue qui s’approche de moi régulièrement à mon bureau pour me montrer des choses à l’écran, il ne porte jamais de masque. C’est générateur de stress. Et quand je fais une remarque, je passe pour une parano ».

« En ce moment dans les entreprises, certains sont gênés de porter un masque et se sentent isolés face à leurs collègues, d’autres au contraire se fichent des mesures de sécurité« , observe également Sabrina Kemel.

Obligation de sécurité des salariés

Dans cette situation, Il y a manquement de la part du management, analyse Arnaud Gilberton pour qui la gestion des comportements individuels au quotidien doit passer par du management du proximité, des formations, un accompagnement. « Les consignes de sécurité demandent d’être pilotées dans la durée. Les salariés de bureau vont devoir prendre les réflexes des opérateurs industriels dans les usines, plus habitués aux règles de santé et sécurité au travail », considère ce conseiller RH.

Sabrina Kemel conseillerait, elle, à Laurence d’informer la médecine du travail ou ses représentants du personnel, car les règles ne sont pas appliquées en interne, le droit de retrait devant être « la dernière chose à faire ». Elle rappelle tout de même que « les salariés ont aussi une obligation de sécurité envers eux-mêmes et leurs collègues ». Alors en cas de manquements répétés, elle recommande à l’employeur de sanctionner, par des mails de rappel à l’ordre, un blâme, voire un licenciement si ces mesures sont sans effet. Sinon c’est sa responsabilité de l’employeur qui risque d’être engagée. « compte tenu de l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur, les entreprises doivent être vigilantes. Tolérance zéro pour tout ce qui est hygiène et sécurité et a fortiori maintenant que la grande majorité des salariés va revenir« , résume Sabrina Kemel.

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De quoi occuper le référent covid, cette nouvelle fonction imposée pour toutes les entreprises de plus de 10 salariés? Son rôle est encore beaucoup trop flou, considère l’avocate: « il va notamment avoir pour mission de s’assurer que les règles de sécurité sont mises en place. Ses missions doivent être clairement définies. N’importe quel salarié pourrait être référent covid mais encore faut-il avoir été formé et se sentir investi par une telle mission« .

Ensuite, au-delà du risque sanitaire, aux managers de faire en sorte que le retour sur le lieu de travail soit une expérience positive y compris socialement. « Si la règle sanitaire impose que tout le monde porte un masque et soit à un mètre des uns des autres à la machine à café, tout le monde va vouloir retourner en télétravail au bout de trois jours. Il faut recréer des moments de convivialité dans le travail, par exemple en trouvant d’autres espaces de pause, dans des salles de réunions plus grandes, ou avec des activités de team building, propose Arnaud Gilberton… toujours dans le respect des règles sanitaires ».

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