Quand François Hollande devient « Charlie 1er »

Sa main n’a pas tremblé, ses mots non plus. François Hollande s’est affirmé Président de la République dans l’épreuve. Enfin. Sans coup férir, sans faillir. Sans les habituelles et désastreuses fausses notes. Chef de l’état, chef des Armées… il a joué juste. Il a parlé France. Il était la France. Debout. Unie. Rassemblée derrière Lui. Au premier rang lors de ce dimanche des sanglots et du sursaut, lors de cette marche sur place, où la foule était si nombreuse qu’elle ne bougeait qu’en houle immobile, mais forte et fière, enchantée de Marseillaise. Il avait tombé le manteau, se jouant des grains chagrins passagers. Cette fois, on n’avait aucune envie de lui envoyer une bouée de secours comme lorsqu’il naufrageait à l’Ile de sein. On l’applaudissait même, lui le plus impopulaire jusqu’ici des monarques républicains de la Vème république…Ce n’était plus « le Charlot socialo », c’était « Charlie 1er « .

Compassion…Action… les lois de la communication moderne ont été appliquées ce coup ci avec maîtrise. Autorité. Et cœur. François Hollande a serré dans ses bras les familles des victimes en même temps que le pays qui avait besoin d’être rassuré et guidé. Aimé et Commandé.  Un chef sachant cheffer doit commencer par embrasser son peuple qui souffre pour prendre sur lui une part de son malheur. Les autres dirigeants étrangers aussi qu’il étreignait en moment de fraternité qui était celle des peuples à travers ses puissants. Autant l’énarque technocrate avait raté la dimension compassionnelle dans sa lutte contre le chômage, autant cette fois le corps à cœur avec les français a été réussi.

Une émotion contenue et maîtrisée

L’émotion, que la tragédie exigeait, a toujours été présente et partagée, mais contenue, maîtrisée. Pas d’ostentation ni d’images déplacées. Le chef de l’Etat s’est abstenu d’exhiber ses démarches auprès des familles des victimes. Ses conversations intimes, comme ses tourments intérieurs, il a tenu à n’en pas faire étalage. Il a mis en scène plutôt sa prise en charge de l’ordre public menacé, en même temps qu’une ligne politique salvatrice. Celle du rassemblement : « la France a toujours vaincu ses ennemis quand elle a su faire bloc …l’Union nationale est notre meilleure arme ». Qui aurait osé désarmer le Président et donc la France ? Personne…

François Hollande a expressément ordonné que se tiennent à l’Elysée les réunions stratégiques avec le chef du gouvernement, les ministres de l’Intérieur, de la Défense et de la Justice. Secret des délibérations au sommet respecté. Pas de fuites. Pas de couac. Au contraire, si l’on en croit les confidences recueillies –organisées ?- Manuel Valls, Bernard Cazeneuve, Jean Yves le Drian en particulier se sont entendus « sans même avoir besoin de se parler ». Et pas de bisbilles avec Christiane Taubira ! Plus que de l’entente, « une connivence dans l’expérience ».

La complicité entre ceux-là, il est vrai, s’était établie pendant la campagne présidentielle, puis renforcée à la faveur de la promotion du nouveau Premier ministre, et ensuite lors des diverses interventions armées à l’étranger.  C’est d’ailleurs dans ce domaine qu’Hollande assurait le mieux jusqu’ici avec le concours aussi de Laurent Fabius. C’est cette équipe qui a assumé, mais c’est le Président qui l’a cornaquée. « Avec une gravité et un professionnalisme jamais pris en défaut », assurent-ils. Et ce ne sont pas des flatteries de courtisans, car il a pu arriver a l’un ou a l’autre ces derniers temps de montrer moins d’enthousiasme. C’est un euphémisme !

Une réponse politique orchestrée par l’Elysée

Si François Hollande a impulsé et supervisé les répliques au terrorisme, il a tout aussi directement orchestré la réponse politique qui s’imposait et qui l’imposait. Il fallait « en appeler à la France, à son esprit de résistance, à sa capacité à faire front en commun », comme le dit un de ses proches. Dans toutes ses interventions c’est cette cohérence qu’il a mise en avant et qu’il était le plus à même d’incarner. Le souverain républicain s’adressait à la Nation régulièrement, et fortement, mais cette fois pas entre deux portes. Sans bafouiller ni bredouiller son propos. Sans en rajouter non plus. Une fermeté dépouillée de grandiloquence car la tragédie pouvait toujours s’aggraver, et démentir les engagements martiaux.

Dieu merci, l’audace mousquetaire, l’efficacité courageuse et exemplaire du Raid et du GIGN ont renforcé l’autorité de son propos. Mais le chef de l’Etat avait pris soin de ne pas avancer seul et d’impliquer les chefs de parti, en particulier Nicolas Sarkozy, parfait lui aussi, mais enfermé dans un rôle de second, d’ancien président. Au deuxième rang dans l’ombre des vrais puissants. Le chef de l’état ne l’en a pas moins  soigneusement traité à part, en interlocuteur de marque. Même les conseillers élyséens ont été invités à en dire du bien, ce qu’ils ont fait avec délices. Contraignant les sarkozystes à déposer les armes eux aussi, et à reconnaître – en off tout de même- que « le président s’était bien tenu ». Vérification faite auprès d’une bonne poignée d’élus : pus personne à l’UMP ne l’appelle aujourd’hui « le nul » !

Un avant et un après

A l’Elysée, on savoure évidemment ce moment si imprévu « où le peuple de France fait corps avec son président ». Certains ‘avancent même : « il y aura un avant et un après. Hollande a gagné ses galons de Président et le gouvernement une légitimité en professionnalisme qui lui manquait encore ». On veut pourtant éviter les illusions : « ça ne changera rien aux cantonales ni aux régionales qui seront difficiles à cause du chômage ». D’autant que dès lundi, les affrontements vont reprendre. Sur l’(in)efficacité de nos services de renseignement, sur nos prisons écoles de formation des djihadistes, sur nos lois répressives dont on ne publie pas même les décrets, sur le rôle des médias qu’il faudrait ou non contrôler davantage, et enfin sur l’Islam de France. Sur tous ces points, et en particulier le dernier, les confrontations risquent d’être rudes et périlleuses. Mais les hollandais ont retrouvé la petite flamme qu’ils avaient dans les yeux autrefois quand ils vous assurent que « le peuple de gauche, mais pas seulement, le peuple de France, dans son ensemble, s’est découvert un président ». « Charlie 1er « , relégitimé aujourd’hui par des millions de français, qui lui ont donné mandat pour agir en leur nom. Il pourrait même dissoudre l’Assemblée… En appeler à l’Union nationale pour des lois de protection et de liberté… Avancer enfin en bousculant la gauche comme la droite. C’est le moment où l’Histoire peut s’écrire autrement, à condition comme il l’a dit lui-même « de se hisser à hauteur de France ».


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