Quand les écolos veulent en finir avec la viande

La dernière campagne de sensibilisation lancée par l’association L214, le 15 octobre, révélait les conditions d’élevage inhumaines des petits veaux nés de vaches laitières en Bretagne. Dans une vidéo de deux minutes, commentée par un ancien employé, les images de mauvais traitements se succèdent jusqu’à la nausée. On y voit des salariés qui frappent les jeunes animaux à peine séparés de leur mère, des vétérinaires qui euthanasient plus ou moins efficacement ceux qui ne sont pas retenus pour l’engraissage, des veaux hébétés qui restent enfermés dans des cages plusieurs semaines et qui développent des maladies. Ces images, comme celles des maltraitances dans des abattoirs ou celles, plus récentes, des  » vaches à hublots « , ont été vues des centaines de milliers de fois sur Internet, créant un buzz massif et une émotion maximale. Après les avoir vues, il est impossible de déguster un hamburger ou un steak tartare le cœur léger.

L’association L214 rejette la violence et les actions des militants antispécistes radicaux qui s’en prennent aux étals de boucher, caillassent leurs vitrines ou y jettent des sacs de sang. « Nous sommes favorables à un dialogue bienveillant mais, à terme, nous sommes clairement partisans d’une alimentation sans viande », explique Brigitte Gothière, sa présidente. Ainsi, contrairement à d’autres militants, L214 ne s’en prend pas aux agriculteurs qu’elle considère eux aussi comme des victimes et floute systématiquement les visages des salariés dans ses documentaires. « L214 est d’autant plus dangereuse pour notre modèle alimentaire et agricole que ses arguments sont raisonnables et que ses campagnes sont imparables, reconnaît un éleveur breton. Qui pourrait contester qu’il est cruel de tuer des animaux pour les manger et que la maltraitance doit être dénoncée ? »

Vache folle, lasagnes et fraude

Sans doute inquiète de l’influence grandissante de cette association, Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA, s’indigne de son impunité. « Nous avons été reçus par le ministre de l’Intérieur pour que cette association ne puisse plus s’introduire dans des élevages ou des abattoirs et pour qu’elle cesse de s’en vanter sur Internet », proteste-t- elle. Certes, les Français continuent à manger massivement de la viande mais, comme on l’a constaté depuis vingt ans lors de crises à répétition (vache folle, lasagnes, fraude à la viande de cheval…), ce marché est très fragile, capable de s’effondrer de 10 à 25 % en quelques semaines, lorsque les consommateurs ont des doutes. Aujourd’hui, avec les campagnes savamment programmées par L214, et parrainées par des célébrités (l’animateur Nagui, le journaliste Hugo Clément, l’actrice Hélène de Fougerolles, le vidéaste Rémi Gaillard, etc.), le doute est devenu permanent. Un peu comme un supplice chinois, ce n’est plus la force des attaques qui est efficace mais leur répétition. « Le régime carné commence à vaciller, se réjouit l’essayiste Aymeric Caron dans son livre « No Steak » (Fayard). On sait désormais que ne plus manger de viande est un bienfait pour l’environnement, la santé et les animaux. »

Les militants végans ne sont pas forcément plus nombreux qu’il y a dix ans, mais ils ont changé de style. Ce ne sont plus des activistes échevelés au discours radical mais des artistes populaires, des éditorialistes et des intellectuels écoutés qui importent la question antispéciste dans le débat collectif. « Le spécisme, idéologie qui permet de justifier la souffrance animale, repose sur la même logique que le racisme qui permet de justifier l’asservissement d’humains par d’autres humains », explique Yves Bonnardel, philosophe libertaire, co-auteur de « La Révolution antispéciste » (PUF), dans la revue Les Cahiers antispécistes. Pour ce courant de pensée, le fait de manger de la viande est lié au fonctionnement patriarcal de la société et la cause animaliste doit s’inspirer de la lutte contre l’apartheid et du féminisme qui l’ont précédée.

Nagui, son jeu et les abattoirs

Indigné de voir Nagui dénigrer sur France 2 la profession d’une candidate à son jeu « Tout le monde veut prendre sa place », parce que salariée dans un abattoir de volailles de l’ouest, la Fédération de la boucherie a protesté auprès du CSA. Nagui n’a pas, semble-t-il, été rappelé à l’ordre pour ses assertions répétées à l’antenne. Mais si l’affaire s’envenime, la chaîne de service public qui diffuse régulièrement les grandes campagnes collectives sur le bœuf français, le veau de lait et l’agneau de Pâques, risque de devoir choisir son camp ou confirmer la liberté de parole de son animateur vedette.

Dans ce contexte, Interbev, le syndicat des professionnels du bétail et de la viande, a modernisé sa communication et dépense plusieurs millions d’euros chaque année pour lutter contre les idées reçues, à commencer par la responsabilité des bovins dans les émissions de gaz à effet de serre. « L’élevage permet d’entretenir 13 millions d’hectares de prairies et 700 millions de kilomètres de haies, qui stockent du carbone, améliorent la biodiversité et la qualité de l’eau », explique l’organisme. Sur le volet économique, il souligne que si les Français arrêtaient de manger de la viande, plus de 500 000 emplois (dont 100 000 emplois directs et 3 000 entreprises) seraient impactés, dont une bonne partie en zone rurale, où l’agriculture est la dernière activité économique permettant le maintien de commerces et de services.

La tentation est grande d’opposer la France des villes à celle des campagnes mais le débat est plus complexe. Les agriculteurs eux-mêmes sont des flexitariens comme les autres qui redécouvrent le plaisir d’une alimentation riche en végétaux.

SOURCES : CCAF, CHALLENGES

La tendance est à la baisse sur un marché qui, en outre, subit des crises à répétition pouvant le faire s’effondrer de 10 à 25 % en quelques semaines.

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