Qui se cache derrière la cagnotte pour les cheminots?

La cagnotte « Solidarité avec les cheminots grévistes » a été lancée le 23 mars sur la plateforme de financement participatif Leetchi. Organisée par un collectif réunissant une trentaine d’intellectuels de gauche dont le sociologue Jean-Marc Salmon, le romancier Didier Daeninckx et le réalisateur Robert Guédiguian, elle a collecté ce lundi 23 avril plus de 880.000 euros, sur la base de 23.840 participations. Soit en moyenne 36,9 euros par participant. « Nous avons de la sympathie pour les cheminots grévistes. Ils défendent un de nos biens communs, une entreprise de service public que le gouvernement cherche à transformer en société anonyme », revendiquait le collectif dans une tribune publiée sur un blog hébergé par Mediapart.

« Chacun comprend que les journées de grève coûtent et que pour le succès de leurs revendications, il importe que le mouvement puisse durer. Nous soutiendrons financièrement les cheminots », poursuivent les fondateurs de cette cagnotte qui gardent certainement en mémoire cette image du sociologue Pierre Bourdieu s’adressant aux cheminots grévistes, le 12 décembre 1995. « On s’est aperçu que notre initiative était un moyen pour les gens de briser l’isolement et de se montrer solidaires d’un combat qu’ils portaient en eux », explique à Challenges le romancier Didier Daeninckx. « Aujourd’hui, le service public est menacé. Et si le monde du chemin de fer venait à céder, c’est tout qui partirait à vau-l’eau ». 

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Qui percevra l’argent de cette cagnotte? 

Mais avec 882.405 euros collectés à ce jour, avec des participations pouvant aller de quelques centimes à 500 euros pour les plus généreux, comment répartir équitablement cette cagnotte officielle et certifiée par la plateforme? Au départ, le collectif avait pour intention de redistribuer cette somme au prorata de l’influence électorale des quatre syndicats représentatifs des cheminots, à savoir la CGT, la CFDT, l’UNSA et Sud-Rail. « Une idée difficile à gérer », concède Didier Daeninckx. L’Intersyndicale des cheminots a donc créé le 11 avril une association baptisée « Solidarité Cheminots Grévistes 2018 ». Dotée d’un conseil d’administration bénévole dans lequel siège en observateur l’un des fondateurs de la cagnotte Jean-Marc Salmon, c’est cette structure qui percevra l’argent de la cagnotte. Les fonds recueillis seront ainsi transférés directement de Leetchi à l’association.

« Tout cheminot gréviste aura le droit à cette cagnotte, qu’il soit syndiqué ou non », précise Didier Daeninck. À condition toutefois d’apporter en justificatif de cette demande le bulletin de salaire prouvant qu’il y a eu une retenue pour fait de grève. Les copies de ces fiches de paye pourront être déposées auprès du syndicat du choix du gréviste, et ce sont ces derniers qui feront remonter les demandes auprès de l’association. En tout, la SNCF comptabilisait près de 146.000 cheminots en 2016. Ce lundi 23 avril, le taux de participation à la grève était tombé à 17,45% sur l’ensemble des cheminots devant travailler, contre 22,73% le 19 avril dernier. Mais les grévistes n’étant pas les mêmes d’une journée sur l’autre, difficile de savoir pour l’instant combien de cheminots exactement pourront prétendre à recevoir de l’argent de cette cagnotte.

Si à ce jour, « Guillaume Pepy n’a pas encore versé d’argent » dans la cagnotte, un certain Jérôme Cahuzac aurait versé 5 centimes d’euros. « Mais ça ne doit pas être le vrai », note, amusé, le romancier Didier Daeninckx qui ajoute une autre initiative à cette cagnotte, l’ouvrage collectif La bataille du rail: cheminots en grève, écrivains solidaires, qui sera publié fin mai aux éditions Don Quichotte et dont les bénéfices seront intégralement reversés à l’association.

Quand auront lieu les premiers versements?

Le co-fondateur de cette cagnotte affirme que les versements se feront dans « dans la transparence la plus totale ». Or, sur le papier, les statuts de l’association n’ont pas encore été déposés au journal officiel et le compte bancaire n’a toujours pas été créé. Quant au montant du « versement forfaitaire et totalement égalitaire prévu », il n’a pas été établi par l’Intersyndicale. Les premiers versements pourront donc arriver au plus tôt fin avril, et au plus tard à la fin du mois de mai. D’autant que la cagnotte qui doit initialement fermer dans 12 jours pourrait jouer les prolongations, avec dans le viseur l’espoir de dépasser la barre symbolique du million d’euros.

Si les cheminots devront s’armer d’un peu de patience avant de toucher leur part du gâteau, l’heureux gagnant de cette belle initiative solidaire pourrait au final être la plateforme Leetchi. « C’est la cagnotte la plus grosse jamais réalisée sur notre plateforme », explique fièrement Benjamin Bianchet, manager général de Leetchi, qui accompagnera son organisateur jusqu’au moment où les fonds seront sortis de la plateforme. « Leetchi fera directement les virements et aucun virement ne pourra partir sas notre accord ». La plateforme qui garantit la sécurité de l’opération devrait percevoir plus de 25.000 euros sur cette cagnotte, grâce à une commission s’élevant à 2,9% du montant collecté sur les cagnottes supérieures à 2.000 euros. C’est la « commission la moins chère du marché », tient toutefois à préciser Benjamin Bianchet. Sans compter un joli coup de pub.

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