Rafale contre F-35 américain: la dernière histoire belge

C’est ce qu’on appelle un coup de théâtre. La France vient de bousculer la compétition pour la fourniture d’avions de combat de la Belgique, en retirant le Rafale de l’appel d’offres que lance Bruxelles pour le remplacement de ses vieux F-16. Le motif est clair: Paris juge l’appel d’offres calibré pour le F-35 américain, et n’a aucune intention de jouer les lièvres. « L’appel d’offres dessine le portrait-robot du F-35, il est taillé sur mesure pour lui, assure une source industrielle. On ne peut pas gagner si les dés sont ainsi pipés ». Bruxelles envisage l’acquisition de 34 nouveaux avions de combat pour remplacer ses 54 F-16 vieillissants, un marché estimé à 3,5 milliards d’euros par la presse belge.

Loin du geste d’humeur, l’opération est bien plus subtile qu’il n’y paraît. Loin de renoncer au contrat, Paris propose toujours à Bruxelles de lui fournir des Rafale. Mais cette fois, l’offre s’insère dans le cadre d’un accord de gouvernement à gouvernement… qui court-circuiterait allègrement l’appel d’offres honni. « Florence Parly, ministre des Armées, a proposé au ministre de la Défense du Royaume de Belgique la mise en place d’un partenariat approfondi entre nos deux pays, pour répondre au besoin exprimé par l’armée de l’air belge, indique ainsi un communiqué du ministère des Armées publié jeudi 7 septembre. Ce partenariat structurant, qui pourrait prendre la forme d’un accord intergouvernemental, comprendrait la fourniture de l’avion de combat Rafale, mais aussi une coopération approfondie entre nos deux armées de l’air dans les domaines opérationnels, de formation et de soutien, ainsi qu’une coopération industrielle et technique impliquant des entreprises des deux pays ».

Boeing et Saab jettent l’éponge

Cette option avait déjà été retenue par la France et l’Inde lors de la vente de 36 Rafale à Delhi en septembre 2016, après l’explosion en vol de l’appel d’offres dit MMRCA. Cette compétition pour 126 appareils, effroyablement complexe, avait été impossible à boucler, Paris et Delhi ne parvenant pas à se mettre d’accord sur les termes financiers et industriels. C’est finalement par un AIG (accord intergouvernemental) pour un nombre plus réduit d’avions, 36 au lieu de 126, que la situation s’était décantée.

Le coup de poker français n’est qu’un nouvel épisode d’une histoire belge qui dure depuis des mois. Bruxelles a envoyé en mars dernier une RFP (Request for Proposal) à cinq agences étatiques, dont la DGA, représentant cinq constructeurs: Lockheed Martin avec son F-35, Boeing avec son F-18, le suédois Saab avec son Gripen, le consortium européen Eurofighter son Typhoon et Dassault avec le Rafale. La procédure a rapidement connu ses premiers couacs: Boeing a jeté l’éponge en avril, jugeant la compétition inéquitable. « Nous regrettons qu’après avoir examiné la demande, nous ne voyions pas l’opportunité de concourir avec des règles du jeu véritablement équitables avec le Super Hornet F/A-18 », indiquait le groupe dans un communiqué.

Les doutes de Dassault

Quelques semaines plus tard, c’était au tour de Saab de renoncer à concourir, officiellement parce que le partenariat souhaité par le gouvernement belge exigerait de la Suède « une politique étrangère et un mandat politique suédois qui n’existent pas aujourd’hui », selon les termes de la DGA suédoise. Le patron de Dassault Aviation Eric Trappier avait aussi émis des doutes sur l’équité de l’appel d’offres à plusieurs reprises. « Il y a des demandes très particulières pour des avions OTAN, que seuls les Américains peuvent faire, expliquait-il au journal l’Echo en juin dernier. Est-ce que c’est éliminatoire? Rédhibitoire? Nous avons posé la question depuis longtemps aux autorités belges. Nous n’avons pas eu de réponse ».

Le PDG de Dassault s’interrogeait aussi ouvertement sur l’abandon surprise de Boeing. « Si Boeing s’est retiré, c’est qu’il pense qu’il a peu de chances de gagner. Pourquoi? Il faut leur demander. Mais c’est quand même assez étonnant. La question que l’on se pose tous c’est: est-ce que les jeux sont faits? Est-ce que Boeing s’est retiré avec son F/A-18 E/F parce qu’il y a eu un choix entre la Belgique et les Etats-Unis pour acheter du F-35 et qu’ils l’ont l’appris? Ce qui serait bizarre alors que l’appel d’offres est en cours. » Il rappelait également qu’ « il n’est pas incompatible d’être dans l’Otan et d’utiliser des avions non américains, comme le prouve le Rafale ».

Bruxelles a déjà choisi des blindés français

La proposition française va-t-elle rebattre les cartes de la compétition? Pas impossible, mais très délicat. L’armée de l’air belge semble peser de tout son poids pour obtenir le F-35. Les Pays-Bas, clients du F-35, poussent aussi Bruxelles à faire le même choix, afin de poursuivre la coopération entre les deux armées de l’air. Les Etats-Unis soutiennent le F-35 de tout leur poids, qui est considérable. En proposant un accord politique et opérationnel à la Belgique, la France tente de renverser la vapeur, avec de vrais arguments: un chasseur Rafale éprouvé en opérations, une coopération poussée avec l’armée de l’air française, des compensations industrielles, et peut-être l’usage de bases aériennes françaises.

Si le poids américain semble difficile à contrer, le pari mérite d’être tenté. La Belgique a déjà montré qu’elle pouvait céder aux charmes du made in France, en annonçant son intention de commander 60 engins blindés de reconnaissance et de combat Jaguar et 417 véhicules blindés multirôles Griffon, ainsi que leurs moyens de communication et pièces de rechange. « Avec 1,1 milliard d’euros, il s’agit du plus grand programme d’investissement pour les forces terrestres », avait précisé le ministère de la défense belge.

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