Réserve fédérale : les traders peuvent-ils défier les lois de la physique ?

Des traders de Chicago ont-ils réussi à défier les lois de la physique ? Probablement pas, mais c’est l’impression que donne une prouesse financière réalisée à la Bourse de Chicago, la semaine dernière, au moment d’une annonce cruciale de la Réserve fédérale américaine (Fed).

Nanex, une société américaine qui surveille les activités de trading à haute fréquence (les ordres passés depuis un ordinateur grâce à des algorithmes mathématiques complexes), a fait part de son étonnement, vendredi 20 septembre. La Bourse de Chicago a, pour la première fois, réagi exactement au même moment que celle de New York à l’annonce de la Fed de continuer à injecter de l’argent dans l’économie américaine. Or c’est théoriquement impossible : cette décision cruciale a été rendue publique mercredi 18 septembre à 14 heures précises. Elle aurait dû parvenir à Wall Street quelques millisecondes avant d’atteindre Chicago, car la Bourse de New York se trouve géographiquement plus près du siège de la Fed (Washington).

D’après de savants calculs, le temps de trajet de l’information entre Washington et Chicago est de 7 millisecondes. Des ordres d’achats d’or d’une valeur d’environ 600 millions de dollars ont pourtant été passés à Chicago 2 millisecondes après la publication de la décision de la Fed. Des transactions qui ont permis à ces traders de gagner du temps et de l’argent. Quelqu’un a donc défié le temps à 5 millisecondes près. Une faille spatio-temporelle qui n’a pas non plus échappé à la Banque centrale américaine, qui cherche depuis à comprendre ce qui s’est passé. Sans succès pour l’instant.

Peu enclin à croire à une distorsion des lois de la physique, les autorités américaines penchent plutôt pour l’hypothèse d’une fuite en provenance des médias venus assister à l’annonce. Ce que le procureur de New York, Eric Schneiderman, a appelé un “délit d’initié 2.0”. Reste que cette explication met la Fed dans une situation embarrassante. La décision de la Fed était entourée d’une procédure très stricte afin, justement, d’éviter ce genre de couac. “Elle peut affecter à peu près tous les marchés et était donc l’une des plus attendues dans le monde financier”, rappelle le blog spécialisé MarketWatch.

Excès du trading à haute fréquence

Les quelques journalistes conviés à cet événement ont certes reçu une copie de l’annonce dix minutes avant qu’elle ne soit rendue publique, mais ils étaient enfermés dans une pièce et leur téléphone était éteint. Ils ont, en outre, dû signer un accord de confidentialité qui leur interdit, en principe, de publier quoi que ce soit avant 14 heures tapantes. Les journalistes ont été escortés hors de la pièce à 13h58, raconte le site de la chaîne américaine CNBC, et pouvaient alors allumer leur téléphone pour être prêts à dégainer. Mais il leur était interdit de joindre leur rédaction avant que l’horloge atomique de la Fed ne sonne l’heure fatidique. Pas facile dans ces conditions de violer l’embargo. Pourtant, les autorités américaines ont confirmé avoir contacté les différents médias présents pour s’assurer que “tout le monde a bien compris les procédures”, rapporte CNBC.

Reste l’hypothèse d’un énorme coup de chance. Quelqu’un aurait pris le risque de parier plusieurs centaines de millions de dollars sur une décision de la Fed qui, de l’avis générale, était surprenante. “Ce serait tout de même un sacré pari”, reconnaît le blog américain OpposingViews.

Quoi qu’il en soit, cet incident démontre à quel point, à l’heure de l’informatisation tous azimuts des échanges financiers, quelques millisecondes peuvent être cruciales pour gagner ou perdre des millions. Pour le « Washington Post« , c’est l’illustration des excès de la finance spéculative : “il y a des sociétés qui investissent des sommes impressionnantes, aussi bien en logiciels qu’en recrutant les esprits les plus brillants pour gagner quelques millisecondes, qui au final n’apporte rien à l’économie réelle”.


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