Satellites OneWeb: l’incroyable défi d’Airbus

Cette fois, les choses sérieuses commencent. OneWeb Satellites, coentreprise entre Airbus Defence and Space et OneWeb, a inauguré mardi 27 juin sa première chaîne d’assemblage de satellites à Toulouse. Ce site de 4.600 m2 doit valider les procédés de production des 900 satellites que OneWeb veut placer sur orbite basse (1.200 km) pour connecter le monde entier à l’internet haut débit. L’usine toulousaine va en quelque sorte essuyer les plâtres: elle assemblera les dix premiers satellites, avant que l’autre site de OneWeb Satellites, actuellement en construction en Floride au Kennedy Space Center, ne prenne le relais pour assembler les satellites restants à partir de la fin 2017.

Pour Airbus, le pari est ultra-ambitieux: il s’agit d’assembler, à pleine cadence, de 40 à 60 satellites par mois, soit deux à trois par jour, une cadence jamais vue dans l’industrie spatiale. Le tout en parvenant à compresser le coût de revient par satellite entre 400.000 et 500.000 dollars, dans un secteur plus habitué aux satellites de télécommunications facturés entre 100 et 150 millions dollars pièce. « Jamais auparavant un tel niveau de coût, de cadence et de volume n’a été atteint pour des satellites de grande qualité », assure le patron d’Airbus Tom Enders, cité dans le communiqué.

Outillage intelligent et robots collaboratifs

Certes, la taille des satellites OneWeb (de 150 à 200 kg) n’a rien à voir avec celle des machines XXL dédiées aux missions géostationnaires (36.000 km de la Terre), qui dépassent parfois les six tonnes. Mais Airbus a dû revoir tous ces procédés industriels pour tenter d’atteindre la cadence promise. Les deux usines seront ultra-automatisées, avec une trentaine d’étapes de production. Des robots collaboratifs, ou « cobots », aideront les opérateurs pour le transport de charges lourdes. Des outillages intelligents reconnaîtront les rivets qu’ils installent, et seront géolocalisés pour ne pas être oubliés quelque part.

Des caméras optiques et infrarouges vérifieront que l’assemblage a bien été effectué dans les règles, en comparant les satellites assemblés avec une base de données. Les composants seront apportés par des chariots automatiques, dits Automated Guided Vehicles (AGV). Des systèmes autonomes permettront un alignement parfait des éléments à assembler. Airbus aura même recours à la réalité augmentée pour aider les opérateurs dans leur tâche: ceux-ci verront les éléments de la maquette numérique projetés en 3D sur la surface de travail… un peu comme les personnages de Pokemon Go, explique Airbus.

Course contre la montre

OneWeb Satellites disposera de trois lignes de production identiques: une à Toulouse, et deux en Floride. L’usine américaine assemblera l’essentiel des satellites OneWeb, les 648 prévus en orbite, et environ 250 satellites de secours. Le site toulousain sera utilisé en cas de besoin en complément, et se chargera de la production pour les autres clients de cette gamme de satellites de 150 kg environ. Des offres ont déjà été transmises aux premiers prospects. Des associations d’agriculteurs américains seraient notamment intéressées.

Airbus et OneWeb le savent: le projet tient désormais de la course contre la montre. « Il nous reste environ neuf mois jusqu’au lancement de notre premier satellite », indique Greg Wyler, le fondateur de OneWeb. La société a commandé 21 lancements de Soyouz à Arianespace. Après un premier lancement en mars 2018 et cinq mois de tests en orbite, la cadence de tirs va exploser les records: « Si tout se passe bien, nous procèderons ensuite à la plus vaste campagne de lancements jamais réalisée, avec de nouveaux satellites mis en orbite tous les 21 jours », détaille Greg Wyler. Les pas de tirs Soyouz de Kourou (Guyane), de Baïkonour (Kazakhstan) et celui du nouveau cosmodrome russe de Vostochny (Sibérie) seront utilisés.

1,7 milliard de dollars déjà levé

Reste à voir si OneWeb parviendra à trouver son modèle économique. Jusqu’à présent, toutes les constellations de satellites en orbite basse ont connu des difficultés, passant souvent par la case faillite. « Ce sont des marchés difficiles, estimait Jean-Yves Le Gall, patron du CNES, l’agence spatiale française, le 17 juin dans une interview à Challenges. Quand vous lancez un satellite en orbite géostationnaire (36.000 km), vous gagnez de l’argent tout de suite. En orbite basse, il faut mettre sur la table plusieurs milliards de dollars avant d’avoir le premier retour sur investissement. C’est ce qui a plombé les constellations de téléphonie Globalstar et Iridium. »

Certes, OneWeb peut compter sur des partenaires de premier plan: Airbus, Qualcomm, Virgin, Coca-Cola, l’américain Hugues, le mexicain Salinas et l’indien Bharti ont apporté 700 millions de dollars en tout depuis juin 2015. Ils ont été rejoints par le géant japonais SoftBank en décembre dernier, qui a mis un milliard de dollars sur le tapis pour soutenir le projet. Avec 1,7 milliard de dollars, la start-up peut enclencher sans problème l’industrialisation des satellites et les premiers lancements.

1.972 satellites supplémentaires?

Mais pour avoir 648 satellites sur orbite de façon permanente, il faudra lancer des satellites quasiment en continu, ceux-ci n’ayant que 5 ans de durée de vie moyenne. Ce qui va nécessiter des moyens financiers énormes. Greg Wyler a déjà prévenu qu’il envisageait de lancer 1.972 satellites supplémentaires, ce qui porterait la constellation à 2.620 satellites. OneWeb devra aussi probablement compter avec la concurrence de la constellation de 4.000 satellites que veut lancer SpaceX. Un duel sur orbite qui pourrait se révéler destructeur.

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