Sauver les sous-traitants, la priorité d’Airbus, Safran, Thales et Dassault

Le bain de sang commence. Après des années de croissance insolente, marquées par des dizaines de milliers de créations d’emplois dans le secteur aéronautique, la crise du Covid-19 plonge les avionneurs et leurs fournisseurs dans une crise d’une violence inédite, qui ouvre la voie à des plans de licenciements massifs. La branche aviation de l’américain GE a ouvert le bal le 4 mai, en annonçant la suppression de 25% de ses effectifs, soit 13.000 postes environ, dont 2.600 avaient déjà été annoncés en mars. Le motoriste britannique Rolls-Royce envisage quant à lui jusqu’à 8.000 suppressions de postes, soit environ 15% de ses effectifs. Des plans de restructuration qui s’ajoutent à ceux des avionneurs : Boeing avait annoncé le 29 avril la suppression de 16.000 postes, soit 10% de ses effectifs.

La lame de fond va-t-elle atteindre la France ?  « La chaîne de fournisseurs subit de plein fouet le coup de frein sur les livraisons d’Airbus et Boeing, prévient Eric Trappier, président du Gifas (groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales) et PDG de Dassault AviationPlusieurs dizaines de fournisseurs sont en grande difficulté. » Les mesures de chômage partiel limitent pour l’instant les dégâts. Un tiers environ des 200.000 salariés du secteur aérospatial est au chômage partiel, ce qui soulage un peu les trésoreries des entreprises. Mais la digue ne va pas pouvoir tenir éternellement. « Il va probablement y avoir une baisse des effectifs de la filière, estime Eric Trappier. Mais ce doit être une décroissance contrôlée : il faut garder l’outil vivant pour pouvoir remonter en puissance quand le marché repartira. »

50.000 emplois menacés ?

Si rien n’est fait, plusieurs dizaines de milliers d’emplois pourraient être menacés, avertissent les industriels. « Airbus a réduit sa production de 33 %, mais nous pouvons aller jusqu’à moins 50 % vu la profondeur de la crise, assurait le 28 avril dans la Dépêche du midi Alain Di Crescenzo, président de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de la région Occitanie. Dans cette hypothèse, l’impact sur l’emploi sera inévitablement massif : 50.000 emplois directs et indirects pourraient être menacés en Occitanie. » Des emplois industriels bien sûr, mais pas seulement : chaque emploi dans l’aéronautique en génère 2,5 dans les services, selon Philippe Robardey, PDG du groupe d’ingénierie Sogeclair.

Pour éviter ce scénario cauchemar, la filière s’organise. Le Gifas a mis en place une « task force », dirigée par l’ancien directeur des programmes d’Airbus Didier Evrard, chargée d’identifier les sociétés les plus menacées pour pouvoir les épauler. Les industriels eux-mêmes surveillent la santé de leurs sous-traitants comme le lait sur le feu. « Nous faisons un suivi systématique des fournisseurs critiques pour la fabrication de nos produits », indiquait le PDG de Thales Patrice Caine lors de l’AG du groupe le 6 mai. Safran se dit même prêt à acquérir certains de ses sous-traitants en cas de besoin. « Nous pourrions être amenés à acheter certains de nos petits fournisseurs qui ont des savoir-faire, technologies ou expertises critiques », indiquait le 1er mai au Figaro Philippe Petitcolin, directeur général de Safran.

Fonds de plusieurs milliards

Mais une injection d’argent public sera probablement nécessaire. La profession appelle à la constitution d’un fonds d’urgence de plusieurs milliards d’euros qui pourrait impliquer Bpifrance et des fonds privés comme ACE Management (Tikehau), dirigé par l’ancien numéro deux d’Airbus Marwan Lahoud. « Le besoin n’a pas été complètement identifié, mais l’unité de mesure c’est plutôt le milliard, assure Eric Trappier. Après, est-ce que c’est un, deux ou trois milliards ? Je ne sais pas. » Philippe Petitcolin évoque quant à lui un fonds de dix milliards d’euros sur cinq ans. L’argent public servirait à la fois à recapitaliser les acteurs les plus fragiles, mais aussi à soutenir les efforts de R&D des industriels sur des avions plus écologiques. De quoi aider le secteur à passer un trou d’air d’une durée estimée de trois à cinq ans.

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