Ségur de la santé: les hôpitaux publics et privés avancent leurs pions

Dans la foulée de la manifestation nationale des personnels soignants, mardi 16 juin, et alors que le « Ségur de la santé » a débuté le 25 mai dernier, les hôpitaux publics et cliniques privées ont tour à tour dévoilé leurs propositions hier pour « refonder » le système de santé français. Côté public, la Fédération des hôpitaux de France (FHF) met sur la table un projet de « New Deal »: un plan articulé autour de six piliers et chiffré à plus de 10 milliards d’euros, dont 6 à 7 milliards pour les ressources humaines. « Un euro investi dans l’hôpital génère deux euros pour l’économie, en salaires, en achats, en recherche. Il est nécessaire de sortir des politiques de rabot imposées aux établissements hospitaliers depuis dix ans par les gouvernements successifs », lance en préambule Frédéric Valletoux, président de la FHF.

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Les besoins pour lesquels il faut mettre la main au porte-monnaie sont nombreux. L’investissement, tout d’abord, pourrait bénéficier d’une enveloppe « plancher » équivalente à 7% du budget des hôpitaux, soit environ 2 milliards d’euros par an dédiés ainsi au renouvellement des lits, à l’équipement, à l’entretien ou à la maintenance. Pour financer cette enveloppe, la FHF estime que la reprise partielle de la dette des établissements publics (10 milliards d’euros, hors intérêts) annoncée dans le cadre du plan Hôpital de novembre 2019 couvrirait la moitié de ce montant. Le reste pourrait être comblé par des subventions publiques et en piochant dans l’épargne des Français à travers, par exemple, la création d’un « livret H » pour financer des investissements hospitaliers comme le livret A permet de financer le logement social. La FHF juge que 500 à 600 millions d’euros pourraient ainsi être fléchés vers l’hôpital chaque année.

Politiques de rabot

Dans le domaine spécifique du grand âge, la FHF appelle à ce que des mesures d’allègement de charges soient aussi prises dans le public comme elles l’ont été dans le secteur privé lucratif. « Il n’y a aucune raison que les Ehpad publics n’en bénéficient pas », tance Zaynab Riet, déléguée générale de la FHF. A cet égard, la FHF estime que toutes les évolutions du modèle de financement de l’hôpital doivent « s’appliquer à tout le monde », en clair, au public comme au privé. « Cela nous mettrait en colère de constater que nous serions dans un système de soins où les hôpitaux publics continueraient à avoir des financements, d’ailleurs des sous-financements, au forfait pour des activités complexes, alors que le privé continuerait à être financé à l’acte », met en garde Zaynab Riet.

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Pour la FHF, l’hôpital public est « toujours et largement » perdant dans ce système où coexistent deux modes de financement, citant en exemple la psychiatrie ou les soins de suite et de réadaptation (SSR) pour lesquels les ressources dans le public augmentent cinq fois moins vite que dans le privé depuis sept ans… Une analyse que réfute fermement Lamine Gharbi, président de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), qui présentait aussi ses propositions hier: « La tarification à l’activité ne doit pas servir de bouc émissaire, car c’est une garantie d’efficience! » Pour le représentant des cliniques, la fameuse « T2A » ne doit pas être abandonnée, mais incluse dans un financement mixte qui prendrait aussi en compte la qualité et la pertinence des soins.

La FHP a, elle aussi sorti sa calculatrice: il faudrait que l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) progresse de 10% en 2021, afin de rattraper le niveau d’investissement d’avant le quinquennat Hollande, puis de 6% par an à compter de 2022. « En sept ans, le niveau d’investissement dans les établissements de santé a été divisé par deux et jusqu’en 2018, les tarifs hospitaliers ont baissé de façon continue », rappelle Lamine Gharbi. Résultat, 30% des hôpitaux privés et cliniques sont en déficit.

Revalorisation des bas salaires

S’il y a bien une priorité, en revanche, sur lequel public et privé font front commun, c’est la revalorisation des métiers et des salaires à l’hôpital, notamment en début de carrière: aides-soignants, infirmiers, agent des services hospitaliers… « Il manque de nombreux personnels soignants sur notre territoire, avec un potentiel de plus de 100.000 embauches dans la santé, dont 15.000 dans le privé, observe Christine Schibler, déléguée générale de la FHP. 10% des emplois sont vacants! » La FHP pointe au passage « les écarts de rémunération importants entre le public et le privé au détriment du privé » -de 13% pour une aide-soignante ou 8% pour une infirmière- et demande « une transposition au privé des revalorisations salariales sur le modèle de la prime covid ». Concrètement, pour verser 300 euros net par mois supplémentaires aux plus de 110.000 soignants des cliniques, la FHP réclame une enveloppe de 825 millions d’euros annuels, soit une hausse des dépenses de 5,5%, et la suppression de la taxe sur les salaires (474 millions d’euros) qui pèse sur le privé. « Une chose est sûre: pour les hausses de salaires, nous ne pourrons pas aller au-delà de ce qui nous sera octroyé par le gouvernement », prévient Lamine Gharbi.

Dans le public, la FHF demande des « mesures immédiates » pour engager ce « choc d’attractivité ». Comme une fusion des dix premiers échelons de la grille salariale pour les agents des services hospitaliers et agents techniques et administratifs, qui générerait un gain de 130 euros mensuels, des huit premiers échelons pour les aides-soignants et infirmiers (140 euros), ou des quatre premiers échelons pour les manipulateurs radio et infirmiers (250 euros). La FHF appelle aussi à faire le grand ménage dans les primes: « Les grilles indiciaires sont illisibles. Aujourd’hui, il y a plus de 100 primes dans la fonction publique hospitalière. Nous proposons de passer à trois primes pour l’ensemble des corps: une prime d’engagement individuel, une prime d’objectifs financiers, une prime de responsabilité managériale/expertise pour l’encadrement », détaille Zaynab Riet. Comme la directrice générale, le président de la FHF, Frédéric Valletoux se dit « déjà déçu » par l’orientation prise par les concertations qu’il qualifie de « brouhaha »: « Les débats des groupes de travail sont totalement hospitalo-centrés. Nous sommes en train de glisser vers un Ségur de l’hôpital, malgré les discours volontaristes du président Macron et du Premier ministre, et malgré l’objectif affiché d’organiser un grand rendez-vous sur l’ensemble du système de santé! »

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Moins de procédures administratives pour plus d’efficacité?

Simplification. Le mot est sur toutes les lèvres, sur le terrain comme à la tête des fédérations hospitalières du public comme du privé. Côté FHF, il s’agit d’ailleurs du pilier numéro 1 de sa proposition de « New Deal », clairement intitulé: « Refonder l’organisation, le pilotage et la gouvernance du système de santé pour instituer une organisation lisible et efficace ».  « Il faut rendre lisible la gouvernance du système de santé. La crise sanitaire a montré qu’elle n’était pas cohérente, entre la DGS, les instances du médico-social, la CPAM… », souligne Zaynab Riet, déléguée générale de la FHF. « Dernier exemple en date, la prime pour les personnels hospitaliers et les personnels des champs médico-sociaux. Elle a suscité un tel imbroglio, pour décider qui y avait droit ou pas, quel montant, qu’au final elle a conduit à une inéquité de traitement.

Autre exemple, les Agences régionales de santé (ARS), avec la fusion des régions, elles gèrent de très grandes régions, et leurs sièges sont trop éloignés des acteurs de terrain: établissements, médecins, etc… Il faut installer des délégations territoriales pour davantage de réactivité. Cela permettrait aussi de mieux se préparer à une gestion de crise sanitaire au niveau matériel, de l’organisation logistique, l’approvisionnement. Pendant la crise, les collectivités, établissements, etc, ne savaient pas à qui s’adresser. » Le covid-19 a aussi permis de secouer l’administration. Ce dont se réjouit la FHP. « Nous avons vécu une situation extraordinaire avec la crise sanitaire », souligne Christine Schibler, sa déléguée générale. « Des coopérations entre les hôpitaux publics et les cliniques privées ont été mises sur pied, les activités des établissements ont été réorganisées en un temps record, sans les complications juridiques habituelles. Normalement, il faut plusieurs mois pour obtenir des autorisations d’activité, c’est un processus complexe et douloureux. Pendant la crise, nous avons pu transformer des lits de réveil ou de soins continus en lits de réa en quelques heures. On veut que ces simplifications dans les autorisations d’activité soient maintenues à durée indéterminée. »  

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