Shutdown : immense coup de bluff pour l’ultra-libéralisme ? Stratégie du choc intra-US ?

Et si le shutdown n’était au final que du bluff, un immense coup de bluff – voire une immense farce – doté d’une connivence entre Républicains et Démocrates en vue au final de mettre en application la stratégie du choc prôné par les Chicago Boys … aux Etats-Unis eux même.

Les deux tendances politiques confondues trouvant toutes deux intérêts à provoquer un semblant de blocage … en vue d’adopter et faire adopter des mesures drastiques ouvrant la voie à un ultra-libéralisme, au grand dam des populations les plus pauvres, creusant ainsi un peu plus le fossé.

Le recul de l’échéance fatale de trimestre en trimestre fournissant autant d’argument pour au final mettre en œuvre des mesures qui pourraient presque être vues comme salvatrices, si l’on n’y prenait garde.

Vous en doutez ? Alors observons précisément à qui pourrait profiter le crime – ou plutôt le shutdown, la politique dite sociale d’Obama qui semblait peser dans la balance pouvant elle aussi s’avérer être un tapis rouge offert à tout établissement susceptible de proposer des garanties médicales.

Certains noteront tout d’abord qu’alors les coupes les plus sombres ont frappé l’emploi des fonctionnaires, elles n’auront pas semble-t-il impacté les employés du Trésor chargés de l’impression et de la gravure de la monnaie. Car alors même qu’on affirme à cor et à cri que les finances du pays sont au plus mars, 85 milliards de dollars sont dévolus par mois à la Réserve fédérale américaine en vue de racheter Bons du Trésor et crédit titrisés …

Mieux encore, en plein shutdown, les forces spéciales américaines ont mené deux raids visant deux chefs islamistes soupçonnés d’actes terroristes, l’un en Libye, où ils ont capturé un des leaders présumés d’Al-Qaida, et l’autre en Somalie. Mettant ni plus ni moins en cause la souveraineté de l’Etat libyen ! On croit rêver, non ?

« Shutdown ou pas, les Etats-Unis ne baissent pas la garde« , a fait ainsi savoir dimanche 6 octobre le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, après ces interventions.

Certains auront noté que quelques heures après le blocage sur le budget US, le 1er octobre dernier, ni le gouvernement Obama ni la Chambre des représentants contrôlée par les Républicains, ne montraient d’empressement particulier à sortir de l’impasse.

Vous aurez remarqué aussi comment le mardi suivant ce qui aurait pu être la journée de l’Apocalypse ou « the Day after » Wall Street s’est peu ému du premier blocage du gouvernement depuis 17 ans, les trois principaux indices boursiers engrangeant même en fin de journée des gains substantiels.

Ce n’est que le jeudi que les effets sur Wall Street ont eu tendance à s’accentuer. Mercredi, les trois indices avaient clôturé en très légère baisse, l’indice Dow Jones perdant – 0,39 %, le S&P 500 reculant de – 0,07 % quand le Nasdaq cédait 0,03 %, quand la veille, premier jour du shutdown, ils étaient encore dans le vert (+ 0,41 %, + 0,80 % et + 0,93 %).

Reste que quelque 800.000 employés fédéraux, dont 400.000 civils oeuvrant au ministère de la Défense, ont été mis à pied sans salaire, des milliers d’autres étant sommés de se rendre au travail sans aucune garantie de salaire.

Notons au passage que les 2 millions d’employés fédéraux sont d’ores et déjà durement impactés par un gel des salaires de trois ans imposé par le président Obama ainsi que des semaines de chômage technique suite aux coupes du « séquestre » (Budget sequester), lesquelles sont entrées en vigueur en mars dernier.

« Une part énorme de ces coupes viendra directement des salaires des travailleurs employés par le gouvernement fédéral » avait indiqué à cette date, Jackie Simon, la directrice de la politique publique de la Fédération américaine des employés gouvernementaux (American Federation of Government Employees). « Le Département de la Défense a choisi de protéger ses fournisseurs et de faire payer les coupes par ses employés civils » avait-t-elle poursuivi en ajoutant que le « Département de la Défense dépense plus 200 milliards de dollars par an pour des contrats de services », qu’ »aucun de ceux-ci n’a été réduit » et « que rien ne sera(it) retiré au personnel en uniforme ».

Parallèlement a été suspendu  le programme du WIC (Special Supplemental Nutrition Program for Women, Infants and Children, ou WIC), lequel distribue de la nourriture ainsi qu’un accompagnement sanitaire aux femmes enceintes aux faibles revenus, aux mères dans la même situation et à leurs enfants.

Le Centre sur le Budget et les Priorités en matière de Politique (Center on Budget and Policy Priorities, CBPP) avait d’ores et déjà rapporté en mars dernier que le « programme de nutrition du WIC devra refuser d’ici la fin de la présente année fiscale, quelque 600.000 à 775.000 femmes et enfants, dont de très jeunes enfants. »

Les petits entrepreneurs ont été eux aussi affectés par la panne, via la fermeture du service chargé d’accorder des prêts à certaines entreprises (Small business administration).

Le gouvernement Obama prenant soin au contraire que le blocage affecte au minimum les militaires et le vaste système de suivi policier – pour ne pas dire espionnage – voire de répression mis en œuvre dans le pays, via la NSA, la CIA, le FBI et le Département de la sécurité de la Patrie (Department of Homeland Security).

Mais le déblocage issu de l’accord bipartite pourrait au final aboutir à imposer des mesures d’austérité sans précédent, dont des attaques généralisées contre des programmes tels que les coupons de nourriture (Food Stamps), Medicaid, Medicare le programme fédéral de santé pour les retraités et la sécurité sociale.

Cette stratégie permettant de pousser davantage à droite l’ensemble de l’establishment politique tout en imposant des coupes difficilement acceptables en dehors d’un contexte de « choc », semble être bien rodée.

De 2010 à 2012, des crises de même type auront ainsi permis de proroger de deux ans les réductions d’impôts aux riches accordées par Bush, de promulguer des coupes de plus de 1 millier de milliards de dollars dans les dépenses discrétionnaires, pour au final permettre la mise en place du processus de « séquestration ». Lequel réduira les dépenses fédérales de 85 milliards de dollars cette année et de 1,2 mille milliards de dollars sur huit ans.

En 2011, lors de la crise du plafond de la dette, Obama avait proposé aux républicains un « grand marchandage » (« grand bargain »), impactant au final les bénéficiaires de la sécurité sociale et de Medicare.

Les républicains avaient alors exigé des coupes sociales encore plus extrêmes et plus rapides que celles proposées par Obama et les démocrates. Arguant de la nécessité de résoudre la crise, ces derniers avaient alors acquiescé.

Selon Christine Rifflart, spécialiste de l’économie américaine à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), “les États-Unis sont gouvernés en état de crise budgétaire permanente depuis août 2011”. Cette dernière ajoutant que depuis cette date, Démocrates et Républicains « n’ont jamais réussi à trouver un terrain d’entente sur le niveau, à long terme, des dépenses américaines ».

Notant au passage que  » c’est leur opposition à tout accord budgétaire avec l’administration Obama qui a entraîné, en mars 2013, « d’importantes coupes automatiques et arbitraires dans les dépenses de l’État » autrement appelés séquestre.

Quant aux supposées avancées sociales d’Obama, notons que le nouveau régime de santé, devrait au final réduire considérablement la couverture médicale en augmentant les dépenses annexes pour des dizaines de millions de salariés. Octroyant au passage des revenus conséquents aux compagnies d’assurance et aux géants des soins de santé.
Encourageant parallèlement les entreprises et les gouvernements locaux à abandonner les plans de santé de leurs employés, en incitant ces derniers à souscrire des assurances santé privées mises en place par l’ACA (Loi sur les prestations de soins, Affordable Care Act, ACA). Mesures sociales ou ultra-libéralisme ?

De nombreuses entreprises, comme IBM et Walgreens ont déjà décidé d’octroyer des bons d’achat à leurs salariés pour qu’ils souscrivent à des polices individuelles.

Pratique qui au final pourrait s’appliquer à Medicare, conduisant le programme ni plus ni moins vers une privatisation.

Début septembre, le géant de l’informatique IBM a ainsi déclaré qu’environ 110.000 de ses retraités éligibles à Medicare seront désormais gérés par Tower Watson’s Extend Health, la plus grande bourse d’assurance-maladie privée. Selon IBM, ces anciens salariés y trouveront plus d’options que l’entreprise aurait pu fournir à travers son propre plan. Les sociétés Caterpillar et DuPont ont également fait de même

Parallèlement, UnitedHealth, groupe américain, qui gère des plans de santé a annoncé pour le trimestre clos un bénéfice net de 1,57 Md$ soit 1,53$ par titre, contre 1,56 Md$ et 1,50 $ par action un an auparavant. Les revenus trimestriels ont totalisé quant à eux 30,6 Mds$ , en augmentation de 12% en comparaison de l’an dernier. Elément notable : la société a récupéré 275 000 membres supplémentaires durant ce troisième trimestre.

Sources : AFP, Bloomberg, France24, Le Parisien, WSWS

Elisabeth Studer – 20 octobre 2013 – www.leblogfinance.com

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