« Spoutnik V », l’arme géopolitique de Vladimir Poutine

Le rapprochement avec la Russie conceptualisé par Emmanuel Macron à l’été 2019 s’applique aussi au vaccin contre le Covid-19. C’est ainsi que les 27 et 28 novembre, une délégation française, détentrice d’un ordre de mission signé du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche et de celui de la Santé, a fait le déplacement jusqu’à Moscou. La visite, sollicitée par la partie russe depuis plusieurs semaines, avait préalablement reçu le feu vert de la cellule diplomatique de l’Élysée.

Conduite par l’experte Marie-Paule Kieny qui préside le comité français chargé d’évaluer l’avancée des recherches sur le vaccin et composée de l’ambassadrice pour la Santé mondiale, Stéphanie Seydoux, ou encore d’un représentant de l’Institut Pasteur, la mission tricolore a eu droit à un aperçu des capacités russes. Au menu : réception par le patron du puissant fonds souverain russe (RDIF) qui supervise le candidat vaccin phare du pays (« Spoutnik V »), échanges avec des chercheurs de l’Institut Gamaleïa où ce dernier est développé, visite virtuelle d’un site de production de la société Generium qui va assurer une partie de la production de « Spoutnik V ».

Moscou lorgne le label européen

« Les Russes ont réalisé un bon travail, juge un membre de la délégation. Leur vaccin n’est pas ‘low-cost’ contrairement à ce que l’on peut entendre. Leur problème se situe plus

au niveau de la production puisque la Russie ne possède pas véritablement de Big Pharma ». Ce sujet avait notamment été abordé par Vladimir Poutine lors d’un échange téléphonique avec Emmanuel Macron le 7 novembre. Le maître du Kremlin avait notamment mis sur la table une éventuelle coopération entre Moscou et l’Institut Pasteur. « Aujourd’hui il n’y a rien de tout cela, précise une source diplomatique. En revanche, la partie russe nous a signifié qu’elle souhaitait obtenir l’homologation de son vaccin par l’Agence européenne des médicaments (EMA) et que notre aide était la bienvenue ».

Le label européen est en effet dans le viseur de la Russie qui a déjà convaincu la Hongrie de Viktor Orban d’opter pour le « Spoutnik V ». La décision de Budapest n’a toutefois pas été du goût de la Commission européenne qui a rappelé qu’une commercialisation d’un vaccin devrait nécessairement recevoir l’aval de l’EMA. A l’inverse de la Hongrie, l’Union européenne a quant à elle jusque-là accumulé les contrats avec des sociétés occidentales comme Moderna, Sanofi-GSK, Pfizer-BioNTech ou AstraZeneca.

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Mis en orbite le 11 août par Vladimir Poutine qui a déclaré sans ciller que la Russie avait développé le « premier «  vaccin anti-Covid, « Spoutnik V » revêt pour le Kremlin une dimension diplomatique et géopolitique non négligeable. « C’est un enjeu très fort pour les Russes qui veulent apparaître aux yeux du monde comme une grande puissance sur ce sujet, poursuit le même diplomate. Il y a aussi la bataille de l’image : le gouvernement russe veut exporter le plus possible son vaccin et apparaître comme le sauveur ».

Accords de production dans plusieurs pays

A ce jour, la Russie qui a notamment proposé le « Spoutnik V » aux employés de l’ONU, affirme avoir reçu des « demandes » de « plus de 50 pays » pour plus de 1,2 milliard de doses. Dans l’impossibilité de produire ces doses localement, Moscou a aussi noué des accords de production avec plusieurs sociétés en Inde, au Brésil, en Chine ou en Corée du Sud.

Testé par la fille du président russe ou par le maire de Moscou Sergueï Sobianine, « Spoutnik V » peine toutefois à séduire l’ensemble de la communauté scientifique. Celle-ci s’est notamment montrée très dubitative ces dernières semaines alors qu’une étude de la prestigieuse revue médicale The Lancet avait confirmé des résultats encourageants début septembre. Ces interrogations n’ont toutefois pas empêché la Russie d’annoncer le 11 novembre, soit 48 heures à peine après l’annonce tonitruante de Pfizer sur son candidat vaccin efficace à 90%, que le taux d’efficacité du sien était de 92%. Le 24 novembre, le RDIF et l’Institut Gamaleïa ont ensuite annoncé qu’il passait à 95%.

La Russie continue de multiplier les travaux de recherches. Au-delà de « Spoutnik V », Moscou compte aussi un deuxième candidat en phase clinique. Baptisé « EpiVacCorona », il est produit par le centre Vektor en Sibérie qui a mené des recherches secrètes sur les armes biologiques durant la période soviétique et renferme des échantillons de virus divers allant de la variole à Ebola. Il devrait être testé sur des volontaires d’ici la fin de l’année. Enfin, un troisième candidat vaccin développé par l’Institut Choumakov qui dépend de l’Académie des Sciences est aussi en préparation.

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