Syrie : la production alimentaire en péril, le blé, l’autre arme du conflit

Inquiétudes supplémentaires pour le peuple syrien. Alors que le pays va entrer dans son sixième hiver de guerre, le Programme alimentaire mondial (Pam) et l’Organisation pour l’alimentation et l‘agriculture (Fao), la production alimentaire de la Syrie n’a jamais été aussi faible.

La production de blé est ainsi tombée d’une moyenne de 3,4 millions de tonnes par an avant le conflit à 1,5 million de tonnes cette année, selon un communiqué conjoint de ces agences de l’Onu.

Selon un rapport s’appuyant sur des visites de terrain et des enquêtes à travers le pays, la superficie plantée en céréales au cours de la campagne agricole 2015-2016 est la plus petite jamais réalisée. Les agriculteurs ont semé quelque 900 000 hectares de blé au cours de l’année écoulée, contre 1,5 million d’hectares avant la crise.

« La production alimentaire de la Syrie atteint un record à la baisse du fait des affrontements et de l’insécurité mais aussi à cause des conditions météorologiques », a tenu à préciser quant à elle Bettina Lüscher, porte-parole du Pam, lors d’un point de presse à Genève.

«Aujourd’hui, nous constatons que près de 80 % des ménages syriens sont aux prises avec une pénurie de nourriture ou d’argent permettant d’acheter de la nourriture. Et la situation ne fera que s’aggraver si nous ne soutenons pas les agriculteurs pour qu’ils puissent conserver leurs terres et leurs moyens d’existence», a déclaré M.Abdessalam Ould Ahmed, Sous-directeur général et Représentant du Bureau régional de la FAO pour le Proche-Orient et l’Afrique du Nord. «L’agriculture était la principale source de revenus des ménages ruraux avant la crise et elle continue à produire dans une certaine mesure, mais elle est étirée au maximum et les agriculteurs ont largement épuisé leur capacité de faire face à la situation», a-t-il ajouté.

«La situation alimentaire de millions personne à l’intérieur de la Syrie continue de se détériorer. Plus de sept millions de personnes sont classées en situation d’insécurité alimentaire à travers le pays. Elles ont épuisé toutes leurs économies et n’ont plus rien à offrir à manger à leurs familles», a indiqué de son côté M. Muhammad Hadi, Directeur régional du PAM pour le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord, l’Asie centrale et l’Europe de l’Est.
Selon les dernières enquêtes auprès des ménages, quelque 9,4 millions de personnes à travers la Syrie ont besoin d’assistance, soit quelque 716 000 de plus qu’en septembre 2015. Les gouvernorats qui ont le plus grand nombre de personnes dans le besoin sont Quneitra, Dara’a, Damas, Idleb et Alep.

– Quand la Syrie passe d’exportateur à importateur de blé – 

Berceau mondial de l’agriculture, implantée dans le Croissant Fertile, la Syrie connaît actuellement une situation dramatique sur le plan agricole. Une situation liée certes au conflit, mais aussi à une sécheresse endémique qui s’explique en grande partie par les effets du changement climatique dans la région.

Jusqu’à une période récente, le secteur agricole constituait pourtant l’une des forces du pays. La Syrie était même le seul pays de la région à être auto-suffisant sur le plan alimentaire et elle était aussi exportatrice de blé.

Début 2013, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) indiquait ainsi que la production de blé et d’orge avait diminué de moitié en Syrie depuis mars 2011. En 2013, la récolte de blé aurait été la plus mauvaise depuis trois décennies. Les besoins du pays sont évalués quant à eux à 5,1 millions de tonnes.

La Syrie est par conséquent devenue importatrice de blé. Selon l’agence Reuters, elle aurait ainsi importé 550 000 tonnes de blé en 2012 et jusqu’à 2,4 millions de tonnes en 2013.

Outre le blé, le pays produisait aussi de l’orge, des betteraves à sucre, des fruits, des légumes et de l’huile d’olive. Avant la guerre, l’agriculture représentait ainsi 25 % du PIB syrien et employait 14 % de la population active du pays.

Face à une telle situation, l’instabilité que connaît le pays n’a pu que s’aggraver, le contexte générant un  exode rural massif, une forte augmentation du prix des denrées alimentaires et un  accroissement de l’insécurité alimentaire . Si entre 2011 et 2014 le prix du pain a été multiplié par trois, il s’est envolé de 87 % entre 2014 et 2015.

La dépréciation de la livre syrienne limite encore plus la capacité des Syriens à payer leurs importations essentielles. En raison à la fois des sanctions économiques, des perturbations du marché et de la baisse de la valeur de la livre syrienne, les prix des intrants agricoles ont également augmenté plus vite que ceux des produits finis.

– Quand réchauffement climatique et conflit génèrent l’exode rural

Certes, le secteur agricole se trouve grandement désorganisé en raison du conflit, ce dernier provoquant tout à la fois une insécurité physique pour les agriculteurs, l’indisponibilité de la main-d’œuvre, la destruction de matériels agricoles, des dommages sur les systèmes d’irrigation, l’augmentation du prix du carburant, des coupures d’électricité. Et bien d’autres maux.

Mais durant la période 2007-2008, la Syrie a subi la sécheresse la plus grave depuis plus de quatre décennies. Celle-ci a eu des conséquences dramatiques pour le secteur agricole – avant même que ne débute le conflit – en provoquant un effondrement de la production et même une véritable désertification de terres agricoles. Ces effets de la sécheresse sur la production agricole ont aussi été aggravés par le manque d’entretien des systèmes d’irrigation construits dans les années 1970 par les Soviétiques.

Selon un rapport des Nations unies publié en 2010, la population affectée par la sécheresse à la fin des années 2000 a vu ainsi son revenu décroître de plus de 90 % en moyenne. De nombreux agriculteurs n’ont pas eu de récoltes pendant deux années consécutives et des bergers ont perdu plus de 80 % de leurs troupeaux. Une très large majorité de la population touchée a également souffert de malnutrition. Au total, plus de 1,5 million de personnes auraient été ainsi contraintes de se déplacer du Nord-Est du pays vers les villes du Sud.

Certains observateurs considèrent même que la sécheresse des années 2000 a largement contribué au déclenchement du conflit en Syrie. Ils ont notamment constaté que les premiers lieux de soulèvements se trouvaient dans les régions agricoles les plus économiquement touchées par la sécheresse.

Au-delà, le secteur agricole syrien souffre également de mauvais choix opérés par les gouvernements syriens, notamment une mauvaise utilisation des ressources en eau.

Un rapport publié par la Banque mondiale en 2001 prévenait la Syrie à ce propos en expliquant que « le gouvernement devra reconnaître qu’atteindre une sécurité alimentaire à court terme en ce qui concerne le blé et les autres céréales tout en encourageant une production de coton qui exige beaucoup d’eau est à même de remettre en cause la sécurité de la Syrie sur le long terme en réduisant les ressources disponibles des nappes phréatiques ».

– Blé et secteur agricole : une arme stratégique et juteuse pour Daesh

La présence territoriale de l’EI « se superpose » avec les « greniers à céréales » de la région, soit le nord de l’Irak et le nord-est de la Syrie, soulignait déjà en août 2015 Sébastien Abis, chercheur à l’Institut des Relations internationales et stratégiques (Iris) et auteur de la « Géopolitique du blé ».

En Syrie, les djihadistes ont mis la main sur 30 % de la production de blé, dans les régions de Rakka et Deir es-Zor ainsi que sur les trois-quarts de la production de coton, dont la Syrie était un grand exportateur avant la guerre.

Lors de leur offensive éclair dans le nord de l’Irak en juin 2014, les combattants de l’EI ont pris le contrôle des silos à grains des provinces de Ninive et Salahadine, qui concentrent plus d’un tiers de la production de blé et 40 % de celle d’orge du pays.
Daesh s’est ainsi emparé de plus d’un million de tonnes de blé, « soit un cinquième de la consommation annuelle irakienne », estime Jean-Charles Brisard, spécialiste du financement du terrorisme.

Or, comme dans tout le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, le pain représente la base de l’alimentation en Irak et en Syrie, qui doivent désormais importer du blé. Une « opportunité » que les djihadistes ont su saisir – voire provoquer ? – en transférant beaucoup de blé d’Irak en Syrie pour le transformer en farine et le revendre.

Le blé permet également de s’assurer les bonnes grâces des populations. Daesh  distribue ainsi du pain gratuitement ou à très bas prix dans les zones sous son contrôle.

– Le pays en panne de semences

A noter enfin, qu’en raison de la guerre et de la fermeture d’un centre stratégique de stockage de semences à Alep, les agriculteurs syriens n’avaient plus accès à aucune des semences développées par les agronomes locaux.

Il a fallu demander au conservatoire mondial basé en Norvège de reprendre le matériel génétique syrien stocké chez eux pour pouvoir faire repartir la multiplication des plantes, désormais assurée dans des pays voisins de la Syrie.

Le conflit a considérablement réduit la capacité du gouvernement de se procurer et de distribuer des semences de qualité à des prix subventionnés. De ce fait, de nombreux agriculteurs sont contraints de puiser dans leurs stocks de semences, d’emprunter auprès de proches ou d’acheter des graines au prix fort sur le marché.

Pour aider les familles à continuer à cultiver et à élever du bétail, la FAO a depuis début 2016 soutenu plus d’un demi-million de personnes en leur distribuant des semences de céréales et de légumes et de la volaille vivante pour l’élevage. Elle a également livré du fourrage et organisé des campagnes de vaccination.

Sources : Reuters, PAM, Banque Mondiale, FAO, AFP

Elisabeth Studer – 16 novembre 2016 – www.leblogfinance.com

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