Tati, la nouvelle bombe à retardement d'Emmanuel Macron

Fin de partie programmée pour Tati? Pour beaucoup, l’enseigne se résume à son slogan: « Tati, les plus bas prix » et à son magasin amiral de Barbès. Des stigmates qui portent encore le poids de l’âge de l’enseigne fondée en 1948 par Jules Ouaki. Depuis sa reprise par Eram en 2007, la concurrence s’est accrue. Et Tati n’a pas pu tenir la distance avec les géants Primark, H&M ou encore Inditex (Zara). Depuis le placement en redressement judiciaire le 4 mai dernier par le tribunal de commerce de Bobigny, les 1.754 salariés du groupe vivent dans l’inquiétude. L’année dernière, l’enseigne avait essuyé des pertes de 60 millions d’euros pour un chiffre d’affaires en baisse à 350 millions. La banque d’affaires Oddo était mandatée pour trouver un repreneur depuis le début d’année.

Selon différentes sources, il y aurait entre 6 et 7 acquéreurs sur les rangs. « Il y en a bien 7 affirme Michel Résséguier, président d’Agora distribution, la filiale d’Eram qui détient Tati et Fabio Lucci. 6 offres sont partielles et ce sont les plus sérieuses. La seule offre globale que j’ai, elle n’émane pas de GiFi, mais elle pose des conditions en réalité impossibles à satisfaire ». Celui qui se présente comme « un médecin d’entreprise » compte administrer un premier traitement de choc début juin avec le choix par le tribunal de commerce du repreneur. « Puis il nous restera entre un tiers et un quart des emplois poursuit-il. On continuera à chercher des repreneurs pour les activités qui n’auront pas trouver preneur ».

« Ventes à la découpe »

Les représentants syndicaux, qui ont reçu le 16 mai au siège social de l’enseigne, les différents repreneurs potentiels afin qu’ils exposent leurs offres, semblent pencher vers celle de Philippe Ginestet, le fondateur de GiFi (166ème fortune française en 2016). Celui-ci propose un investissement de 70 millions d’euros ainsi que la reprise de 1.300 emplois directs (76% des effectifs) et environ 250 salariés franchisés et affiliés du groupe principalement dans les DOM-TOM. « C’est une vraie offre de reprise défend Guilhem Brémond, avocat de Philippe Ginestet. A côté il n’y a que des concurrents qui se sont arrangés entre eux pour effectuer des ventes à la découpe de magasins pour y mettre leurs propres antennes ». 

Le consortium associant La Foir’Fouille, Centrakor, Stokomani, Maxi Bazar, candidat à la reprise de Tati et autres enseignes d’Agora Distribution (groupe Eram), vient d’améliorer son offre ce lundi , proposant de reprendre « une vingtaine de sites supplémentaires » confirmant une information publiée lundi dans le quotidien Le Parisien.

« Logique de dépeçage »

Tahar Benslimani, délégué CFDT, se plaint de l’ignorance dans laquelle on été maintenus les comité d’entreprises (CE) et salariés de l’enseigne. « On savait depuis février que l’entreprise était à vendre. Mais lors d’aucun CE, on n’a parlé de l’éventualité d’un redressement judiciaire. Le 4 mai dernier, Philippe Poutou, candidat NPA à la présidentielle, avait fait le déplacement pour soutenir les salariés de l’enseigne au cours d’une action syndicale. « L’histoire de Tati se rapproche de celle de Vivarte ou Mim analyse le salarié de l’usine Ford de Blanquefort (Gironde). On est dans une logique de dépeçage avec une entreprise vendue par petits bouts aux repreneurs et c’est les emplois qui giclent. La priorité est centrée sur l’argent qu’on peut encore dégager au détriment de l’emploi et même de l’entreprise ». Le candidat anticapitaliste est scandalisé car « l’entreprise est en redressement judiciaire alors que le patron d’Eram, Xavier Biotteau, fait partie des plus importantes fortunes de France (la famille Biotteau figure à la 210ème place des 500 plus grandes fortunes de France 2016 avec 330 millions d’euros) ».

Caroline De Haas participe aux actions de soutien des salariés de l’enseigne au vichy rose. La candidate aux législatives soutenue par EELV, Nouvelle Donne, le PCF et Ensemble dans la 18ème circonscription de Paris, en profite pour charger l’ex ministre du Travail, Myriam El Khomri, son adversaire PS du scrutin. « L’histoire de Tati met en lumière tous les renoncements du quinquennat Hollande: la loi Macron qui permet ces « prepack cession » qui permettent de négocier une cession d’entreprise sans en informer les salariés ainsi que la loi El Khomri qui prévoit de licencier et de revoir les contrats de travail plus facilement. Après cinq années de gauche au pouvoir, les catastrophes sociales sont sous nos yeux ».

« Effets choquants de la loi Macron »

Pour se convaincre que le dossier Tati était bien devenu un symbole politique, il ne manquait plus que la sortie de Thomas Hollande. Le fils de l’ancien président de la République est l’avocat de salariés des enseignes en difficulté Tati et Fabio Lucci. Il a allumé le nouveau président de la République dans Le Parisien du 14 mai dernier. Extraits: « C’est la loi Macron qui a supprimé l’obligation pour les groupes de financer les PSE de leurs filiales en redressement judiciaire. Cette loi pousse des groupes à abandonner leurs filiales, à les mettre en redressement judiciaire pour ne pas assumer leurs responsabilités ». Il a poursuivi sa charge de l’oeuvre de l’ex ministre de l’Economie: « Pour échapper à sa contribution financière, un groupe peut être tenté de provoquer la mise en redressement judiciaire d’une filiale dont il veut se débarrasser poursuit Thomas Hollande C’est ce que fait le groupe Eram avec Tati. Ce dossier illustre les effets choquants de la loi Macron ». L’avocat d’un des CE de Tati justifie sa prise de parole car « aujourd’hui, il y a véritablement une régression sociale. Le rapport de force entre les employeurs et les employés est de plus en plus déséquilibré ».

Les salariés de l’enseigne ne veulent pas relâcher la pression.  Le ministère du Travail, où une délégation de l’intersyndicale CGT-CFDT-Unsa a été reçue en présence de la nouvelle ministre Muriel Pénicaud, s’est « engagé à (leur) apporter toute l’aide du gouvernement » et « à contacter la direction du groupe Eram », a indiqué à la sortie Mounir Bourhaba, l’avocat du comité d’entreprise d’une des trois sociétés d’Agora Distribution. La centaine de manifestants, venus de différents magasins de région parisienne, s’étaient rassemblés à proximité du ministère. Un rassemblement de quelques dizaines de personnes s’est aussi tenu devant le magasin Tati de Lyon.

D’autant que temps presse pour les salariés de Tati. Le dépôt des offres de reprise sera clôt d’ici mercredi 24 mai au soir.

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