Taxe sur les transactions financières: ce magot dont la France ne veut pas

Les rapports se suivent et se ressemblent. Tous disent la même chose: une taxe sur les transactions financières (TTF) rapporterait des milliards aux Etats européens. Et pourtant rien ne se passe, les négociations sont toujours au point mort. A qui la faute? En grande partie à la France où Bercy freine des quatre fers pour protéger les banques françaises très actives notamment sur le marché des produits dérivés.

De son côté, l’Allemagne met la pression sur la France à coup d’études successives exposant aux yeux de tous le pactole que générerait une telle taxe. Ce n’est donc pas un hasard si l’institut de recherche économique allemand DIW vient d’en publier une nouvelle à quelques jours d’une réunion Ecofin.

Les conclusions de cette étude, commandée par les sociaux-démocrates allemands du SPD, sont impressionnantes: les recettes sont comprises entre 14 et 36 milliards, rien que pour la France. Jusqu’à 45 milliards pour l’Allemagne.

Une étude comme celle publiée en Allemagne est importante pour montrer combien la TTF peut être un outil efficace à la fois pour lutter contre la spéculation et pour apporter des fonds, ce qui n’est pas rien dans la période actuelle, explique Dominique Plihon, membre du conseil scientifique d’Attac. Mais pour qu’elle fonctionne pleinement dans ces deux aspects, il ne faut pas réduire le champ de cette taxe, comme la France est tentée de le faire.

Voici l’histoire des (récentes) négociations et du rôle de la France dans leur blocage. Cette histoire se joue pour l’instant en trois actes. Mais promis, elle se terminera avant fin 2016.

Acte I: l’Allemagne met la pression avec un pactole à la clef

Le premier coup est lancé par l’Allemagne avec une étude commandée par le gouvernement allemand auprès de l’institut Copenhagen Econommics qui estimait les recettes fiscales pour l’Allemagne au minimum à 17,6 milliards d’euros. Pouvant aller jusqu’à 28,2 milliards d’euros!

Cette étude ayant fuité début septembre dans la presse allemande ne concernait que l’Allemagne. Mais c’était une manière délicate de dire à la France: « faites vos calculs, et arrêtez de dire que ça ne vaut pas la peine. »

Bercy n’a jamais officiellement répondu à cet appel. Challenges s’en est chargé à sa place, avec Sia Partners. Et les résultats sont tout aussi incroyables: jusqu’à 24,4 milliards d’euros! Certes, ces recettes sont théoriques, car elles ne prennent en compte aucune baisse d’activité liée à l’introduction de la taxe. Mais même avec une baisse de 50% du volume des transactions, le montant des recettes fiscales s’élève à 9,6 milliards d’euros.

Pas de quoi laisser insensible un gouvernement constamment à la recherche de recettes ou d’économies pour boucler son budget dans les clous imposés par Bruxelles. Face à l’argument budgétaire, Michel Sapin a répondu  que « la taxation n’est pas forcément faite pour rapporter, mais pour dissuader », car « la TTF doit permettre de lutter contre la mauvaise finance. »

Acte II : Michel Sapin veut calmer le jeu

Quelques jours avant la réunion Ecofin de novembre, rassemblant les ministres de Finances de la zone euro, Michel Sapin a tenté de revoir à la baisse les ambitions européennes dans les colonnes du journal Les Echos. Dans une tribune titrée, « cessons de tergiverser » le ministre français des Finances proposait d’appliquer la taxe sur les transactions financières aux seules actions cotées et à certains CDS, des contrats d’assurance contre le défaut de paiement d’une valeur.

Il s’agit d’une taxe bien en-deçà des ambitions européennes comme l’avoue Michel Sapin du bout des lèvres: « certains les ont considérées comme a minima ». Tout en insistant « Je préfère une TTF qui aurait un produit limité au-delà des actions mais qui soit efficace et effective et qui progressera, plutôt qu’une très belle idée, mais qui restera dans les nuages ».

Quoi qu’il en soit, Michel Sapin a reçu un refus sec de ses homologues européens. Notamment de l’autrichien Hans Jörg Schelling. Ce dernier a indiqué qu’il n’avait « pas accepté la proposition française » et qu’il avait présenté sa propre proposition, prévoyant « d’inclure tous les produits financiers, sauf les obligations souveraines ».

A Bruxelles, quand on ne trouve pas de terrain d’entente, on remet ça à plus tard en promettant qu’on va trouver une solution tout en réaffirmant qu’on prend très au sérieux l’échéance qu’on s’est fixé.

Michel Sapin a donc plaidé pour que la taxe entre en vigueur comme prévu début 2016, jugeant important « d’avancer, même en faisant un pas », car « le pire danger, c’est qu’elle ne se fasse pas ».

Acte III : l’Allemagne revient à la charge

Dernière étude en date, celle du très sérieux institut allemand DIW. Cette fois, le travail a été commandé par le groupe du SPD au Bundestag (le parlement allemand) et publié ce lundi 9 mars dans la presse allemande à quelques jours d’une nouvelle réunion Ecofin.

D’après les calculs de l’institut, la taxe sur la base du modèle de la Commission européenne pourrait rapporter à l’Allemagne entre 19 et 45 milliards d’euros. Et puis comme la France n’a toujours pas évalué l’impact du projet de la commission, l’Allemagne a fait le travail pour elle. Les recettes pour la France sont également calculées. En France, la taxe sur les transactions financière pourrait rapporter entre 14 et 36 milliards d’euros.