Télétravail: quels frais l’employeur doit-il vous rembourser?

Télétravail à haute dose pour ceux qui le peuvent. Si les nouvelles mesures de restrictions contre la deuxième vague du coronavirus ne tomberont que ce mercredi soir, la consigne du ministère du Travail est claire depuis plusieurs jours déjà: généralisez le télétravail autant que possible. « Dans le contexte actuel de l’épidémie, même si on est bien protégé en entreprise, il y a les déplacements, il y a ce qu’on fait en marge du travail, et donc il faut aller au maximum sur le télétravail pour les postes qui le permettent », a notamment déclaré la ministre du Travail Elisabeth Borne sur France info mardi matin.

En mars, le travail à domicile s’est généralisé de manière plus ou moins organisée (à situation d’exception, organisation exceptionnelle). Mais maintenant que les choses s’installent dans la durée, avec une multiplication des accords de télétravail, se pose de plus en plus la question des frais générés par ce travail à domicile. Or les frais professionnels doivent être remboursés par l’employeur, comme a tranché à plusieurs reprise la cour de cassation.

Ordinateur et connexion

« En général, les télétravailleurs sont déjà équipés en matériel informatique et ont une connexion Internet illimité, dans ce cas, le télétravail n’engendre pas vraiment de frais supplémentaires », note Béatrice Pola, avocate en droit social au sein du cabinet Proskauer. Mais si le salarié placé en télétravail est obligé de souscrire à un abonnement Internet pour l’occasion, celui-ci est à la charge de l’employeur. Et même si le travailleur est équipé, rien ne l’oblige à accepter d’utiliser son matériel personnel. Dans ce cas, l’employeur doit le lui fournir. Un principe rappelé par le gouvernement dans sa FAQ spéciale télétravail en temps de pandémie. En outre, l’employeur est responsable des coûts liés à la perte ou à l’endommagement des équipements utilisés par le télétravailleur.

Un rappel d’autant plus important qu’en pleine seconde vague de coronavirus, l’employeur pourrait imposer le télétravail à ses salariés, si sa venue dans les locaux représente un danger pour sa santé: « L’article L. 1222-11 du Code du travail mentionne le risque épidémique comme pouvant justifier le recours au télétravail sans l’accord du salarié », rappelle le gouvernement.

Outre l’ordinateur et la connexion, « si le télétravail généralisé se pérennise vraiment, va également se poser la question de l’achat d’une chaise de bureau qui devra être à la charge de l’employeur », estime Béatrice Pola. Des « kits du télétravailleur » ont ainsi commencé à faire leur apparition en ligne, et certaines entreprises sont prêtes à les rembourser à leurs salariés.

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Frais quotidiens

Mais une fois la question du matériel tranché, le sujet des frais quotidiens doit aussi être posé. « Beaucoup ne pensent qu’aux frais liés à l’ordinateur et à la connexion Internet, mais en réalité les frais professionnels ne s’arrêtent pas là », pointe Me Pola qui cite par exemple l’achat de ramettes de papier ou de cartouches d’encre, si la tâche du salarié impose qu’il puisse imprimer. En théorie, si vous devez aussi mettre en route le chauffage que vous auriez laissé éteint la journée, vous pouvez demander le remboursement du surcoût à votre employeur. L’Urssaf a publié la liste des frais pouvant être considérés comme des frais professionnels en télétravail: les consommables comme les ramettes de papiers, les abonnements téléphoniques et Internet, l’électricité, le chauffage, mais aussi le loyer, la taxe d’habitation ou encore l’assurance habitation au prorata de la superficie logement occupé pour le télétravail. Leur remboursement par l’employeur est alors exonéré de cotisations à hauteur de 10 euros pour un jour de télétravail, 50 euros par mois maximum, et au-delà sur justificatif.

Pourtant, dans sa FAQ, le gouvernement indique que « l’employeur n’est pas tenu de verser à son salarié une indemnité de télétravail destinée à lui rembourser les frais découlant du télétravail, sauf si l’entreprise est dotée d’un accord ou d’une charte qui la prévoit ». « C’est selon moi inexact: tout frais professionnel engagé par un salarié doit être pris en charge par l’employeur « , considère Béatrice Pola

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Mais réclamer un remboursement de 35 euros de cartouche d’encore n’est pas toujours facile, sans passer pour de le radin de service. « On oblige le salarié à quémander, ce n’est pas normal, regrette Béatrice Pola. Il faut que le législateur soit clair là-dessus. Le sujet est réglé dans beaucoup de grandes entreprises, mais le travail concerne aussi des PME, des Start-ups. On transfert au salarié la responsabilité de demander 35 euros, or souvent il ne va pas le faire si l’employeur n’envoie pas une note pour rappeler de transmettre ses notes de frais, même en télétravail. »

En cas de réticence de l’employeur à rembourser les frais professionnels, Béatrice Pola conseille d’écrire à son employeur avec tous les justificatifs, plusieurs fois, et ne pas hésiter à aller en référer pour obtenir un remboursement si l’employeur refuse vraiment de s’y conformer. « La pandémie entraine un tournant dans la façon de travailler, il ne faut pas qu’il y ait par la même occasion un transfert de charge sur le salarié », martèle l’avocate.

Tickets restaurants, transports et café

Concernant titres de transports et tickets restaurants, le principe d’égalité entre les salariés, télétravailleurs ou pas, s’applique. Si vous avez des tickets restaurants quand vous êtes au bureau, il en va de même en télétravail. « Mais certaines juridictions reconnaissent un traitement différent s’il y a des raisons objectives », nuance Béatrice Pola. Un employeur peut donc décider d’instaurer un critère de distance entre le domicile et le travail pour avoir droit aux tickets restaurants, éliminant de fait les télétravailleurs. Quant à l’abonnement de transports en commun, il suffit au salarié d’avoir travaillé un jour au bureau pour que l’employeur doive lui en rembourser la moitié. Et selon ce même principe d’égalité entre salariés, si l’entreprise paye le café au bureau, « il est tout à fait concevable que l’employeur rembourse le café à la maison », estime Me Pola.

Mais l’avocate va encore plus loin, considérant que l’employeur doit verser des indemnités d’occupation du domicile pour le télétravail. « Dans un appartement de petite taille, dédier un espace au travail est une contrainte forte, l’emprise sur le domicile est réelle. Si le télétravail s’impose de manière durable, il devrait donner lieu à des indemnités, considère Béatrice Pola. La jurisprudence est constante là-dessus, mais rien n’est organisé par la loi ou un accord interprofessionnel. » Malgré les réticences du patronat, l’avocate espère donc que les négociations pour un futur accord national de télétravail, qui doivent s’ouvrir entre partenaires sociaux le 3 novembre, permettront d’instaurer une règle claire pour tous.

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