Tous masqués à la rentrée, à quel prix pour les entreprises?

La mesure était réclamée par plusieurs infectiologues et préconisée par le Haut conseil de santé publique ; c’est désormais acté, le port du masque sera obligatoire pour tous et partout dans les entreprises, sauf dans les bureaux individuels.

« Il est nécessaire de systématiser, comme l’a préconisé le Haut conseil de la santé publique (HCSP), le port du masque dans tous les espaces de travail qui sont clos et partagés », comme les « salles de réunions, couloirs, vestiaires, open spaces », a justifié la ministre du Travail Elisabeth Borne lors d’une réunion en visioconférence mardi 18 août avec les partenaires sociaux. Et la présence de plexiglas n’y changera rien.

Jusqu’à présent, le port du masque en entreprise n’était imposé que si le mètre de distance réglementaire entre chacun ne pouvait être respecté. Mais le HCSP s’est inquiété dans son rapport du 14 août du risque de transmission du virus par l’air, recommandant la prudence dans un contexte de regain épidémique ; selon les derniers chiffres de Santé publique France, 24% des clusters se situent dans des entreprises (hors établissements médicaux).

Le nouveau protocole sanitaire, qui ne nécessite pas de décret et devrait entrer en vigueur dès septembre, impose donc le masque par défaut, quelle que soit la configuration de l’entreprise, tant qu’il y a plus d’une personne dans la pièce ; au regret du patronat.

« Nous espérons que cette contrainte supplémentaire sera temporaire. Nous serons attentifs dans les discussions qui vont s’ouvrir sur les dérogations possibles et à ce que cette mesure ne réactive pas la peur et entrave la relance », s’est contenté de déclarer le Medef.

« Nous étions favorables à une obligation du masque uniquement au cas par cas, en fonction du secteur, selon qu’il y a eu une installation de plexiglas ou pas… », indique pour sa part Stéphanie Pauzat, vice-présidente de la CPME, le syndicat des petites et moyennes entreprises. Elle pointe que « seuls 37 clusters en entreprise ont été identifiés, dont 12 abattoirs, sur 1,7 million d’entreprises avec des salariés ».

Coût du matériel supplémentaire

La CPME dénonce notamment le coût supplémentaire que va représenter cette obligation pour les entreprises. En tant qu’équipement de protection individuelle, les masques sont à la charge des employeurs. « Aujourd’hui si vous travaillez en open spaces, vous ne portez un masque que très peu de temps dans les espaces de circulation. Un seul masque par jour peut donc suffire. Or si on porte un masque toute la journée, il faut le changer toutes les quatre heures », souligne Stéphanie Pauzat.

A l’heure actuelle, les entreprises de moins de 50 salariés peuvent bénéficier d’une aide entre 500 et 5.000 euros de la Carsat, (la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail), pour 50% du montant de l’investissement en masques et plexiglas (l’entreprise doit investir dans un équipement pérenne et pas uniquement dans des masques). « Nous n’avons pas encore fait la demande, mais il y a des fonds disponibles dans l’ATMP, [la branche de la sécurité sociale en charge de la prévention des risques professionnels ndlr]. Peut-être qu’il faudrait élargir cette mesure à plus d’entreprises avec des plafonds plus élevés », suggère Stéphanie Pauzat, déplorant « l’investissement pour rien » de toutes les entreprises qui ont acheté des parois en plexiglas pour assurer la distanciation et éviter le masque.

Pourtant, Abdelkrim Talhaoui, cofondateur d’Octopeek, une entreprise spécialisée dans la big data et l’intelligence artificielle, prévoit d’installer des parois de plexiglas à la rentrée. Coût de l’opération: 2.500 euros pour 50 postes, « par précaution ». Un budget qui vient s’ajouter aux 2.000 euros par mois de coûts fixes pour fournir quatre masques chirurgicaux par jour à ses salariés: deux pour les transports, un pour le matin, un pour l’après-midi.

« Les masques ont un coût mais la protection des salariés fait partie de notre devoir de dirigeant », veut nuancer Hani Attalah, directeur général d’iViFlo, qui emploi une centaine de personnes dans la cybersécurité et le smart building. D’autant que le prix des masques chirurgicaux a été divisé par trois depuis ses premières commandes au début de la crise, note le dirigeant.

Conséquences sur l’activité

Outre le coût direct de l’achat de matériel de protection supplémentaire, les dirigeants d’entreprises s’inquiètent aussi de l’impact de cette nouvelle mesure sur leur activité et donc leur chiffre d’affaires.

« Au lieu de nous concentrer sur notre activité et l’éventuelle reprise après la crise, nous devons sans cesse gérer les nouvelles règles sanitaires, pointe Abdelkrim Talhaoui. Nous manquons de recul sur ce virus, je peux le comprendre, mais s’adapter sans cesse est très chronophage.  Au-delà du coût du matériel qu’on sait calculer, il y a de vrais enjeux financiers. Comment remotiver les salariés, continuer à innover dans ce contexte où les collaborateurs devraient se passer de lien social, se reconcentrer sur le business? »

Une question encore plus prégnante dans certains secteurs d’activité. Comment imposer les masques en intérieur à tous dans les restaurants ou les salles de sports? La question se pose aussi pour les commerciaux et les formateurs. Est-ce que les entreprises vont laisser rentrer des formateurs dans leurs locaux? Est-ce qu’un commercial qui passe ses journées au téléphone ne risque pas de voir son efficacité affectée en parlant constamment un masque sur le nez? Autant d’interrogations pour les dirigeants concernés qui craignent un impact indirect sur leur chiffre d’affaires. Résultat, ceux qui prévoyaient de réclamer un retour au bureau plus général à la rentrée se résolvent à privilégier toujours plus le télétravail quand c’est possible, en ligne avec les recommandations du gouvernement pour les zones où le virus circule activement.

« Nous ne voulons pas que le télétravail devienne la norme, prévient toutefois la CPME. Le télétravail peut être utilisé de manière équilibré, mais il doit rester à l’initiative de l’employeur, au risque sinon de désorganiser l’entreprise. Si certains peuvent télétravailler et pas d’autres, il y a un risque de fracture, comme on a pu déjà le voir pendant le confinement ».

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