Uber : les chauffeurs sont des salariés selon la justice britannique

Immense victoire pour les adversaires d’Uber et de l’ultra-libéralisme : la justice britannique vient de condamner la société pour non-respect du droit du travail, allant ainsi dans le sens de deux chauffeurs de véhicules Uber qui avaient intenté une action en justice aux prud’hommes contre la plate-forme de transports.

Cette plainte, une première dans le pays, avait été déposée par le cabinet d’avocats Leigh Day pour le compte du syndicat GMB. Les plaignants exigeaient de pouvoir bénéficier de congés payés, d’indemnités en cas de congés maladie, et du salaire minimum garantis par le droit du travail britannique.

Le tribunal a estimé qu’aux yeux de la législation britannique les chauffeurs Uber étaient des salariés et qu’ils avaient donc droit aux congés payés et au salaire minimum. Une décision d’une importance capitale alors même que Uber laisse entendre que les chauffeurs sont des travailleurs indépendants.

Selon le syndicat GMB, ce jugement d’un tribunal londonien représente « une victoire monumentale ». Il estime en effet qu’il pourrait avoir des conséquences « majeures » sur plus de 30 000 chauffeurs en Angleterre et au Pays de Galles.

Reprenant les élements mis en avant lors  de l’émission Focus  dont les journalistes ont enquêté sur « la face cachée d’Uber », Nigel Mackay du cabinet d’avocats Leigh Day a tenu à ajouter que les chauffeurs d’Uber travaillaient souvent de très longues heures juste pour subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. « C’est ce travail qui a permis à Uber de devenir une entreprise mondiale brassant des milliards de dollars », a-t-il précisé.

Outre son enquête à San Francisco (Californie), siège de la société qui a créé un million d’emplois dans le monde et 15 000 en France, un journaliste de l’équipe Focus s’est fait embaucher comme chauffeur pour connaître exactement les conditions de travail, et si les promesses de la société, faisant miroiter de hauts revenus à ses chauffeurs, sont tenues dans les faits.

« Au cours de notre enquête, nous avons levé le voile sur un tabou : précarité, conditions de travail difficiles, horaires interminables », expliquait le présentateur Guy Lagache lors du premier passage de l’émission en septembre dernier. Ajoutant que « certains chauffeurs découvrent que “l’ubérisation” n’a rien d’une partie de plaisir.»

Entre les 20% prélevés sur le prix des courses, l’itinéraire d’approche non payé et le temps d’attente non payé, il est très difficile de bien gagner sa vie, à en croire le reportage filmé en caméra cachée…

Selon le secrétaire général de l’intersyndicale TUC, Francis O’Grady, cette affaire a « permis d’exposer le côté obscur » de la plate-forme de transports américaine.

Mais Uber ne compte pas en rester là et a aussitôt annoncé qu’il faisait appel de cette décision.

« Des dizaines de milliers de personnes à Londres ont choisi Uber justement pour être des travailleurs indépendants et être leur propre patron. L’écrasante majorité de ces chauffeurs veulent garder leur liberté et la flexibilité de pouvoir conduire quand et où ils veulent », a souligné Jo Bertram, responsable régional d’Uber.

En avril dernier, Uber s’était dit prêt à payer jusqu’à 100 millions de dollars pour éviter un procès et clore deux recours, déposés en Californie et dans le Massachusetts par des collectifs de chauffeurs. Cette proposition tentait d’allécher des conducteurs – contestant leur statut de travailleurs indépendants et réclamant d’être requalifiés comme des salariés – de telle sorte qu’ils renoncent à leurs procédures.

Mais, alors que la société était prête à offrir à ses 385.000 chauffeurs affiliés une somme rondelette pour éviter de leur reconnaître le statut de salarié, un juge de San Francisco a estimé que « l’accord dans l’ensemble n’est pas juste, adéquat et raisonnable », s’appuyant sur ses motifs pour refuser la motion pour un accord préliminaire. Remettant ainsi en cause le business model de l’entreprise  et rouvrant la voie à un procès.

Alors que le véritable dumping social réalisé par Uber plombe d’ores et déjà les comptes de l’entreprise, l’épineuse question du statut de ses chauffeurs pourrait creuser ses pertes. Car la question demeure : les chauffeurs Uber sont-ils des travailleurs indépendants sans lien de subordination avec la plate-forme qui organise leurs déplacements  ou devraient-ils avoir le statut de salariés, ce qui contraindrait le cas échéant leur employeur à payer des cotisations sociales.

A noter que l’Urssaf Ile-de-France a d’ores et déjà pris position sur le sujet. L’organisme chargée de recouvrir les cotisations sociales employeurs a engagé deux procédures contre Uber. Depuis la rentrée 2015, l’Urssaf a en effet requalifié les chauffeurs en salariés et réclame à Uber les cotisations correspondantes, lesquelles s’établissent à quelques millions d’euros.

Face au refus d’Uber de s’acquitter de telles sommes, l’Urssaf s’est tournée vers le tribunal des affaires de sécurité sociale et a transmis parallèlement au procureur de la République de Paris un procès-verbal qui accuse Uber de travail dissimulé par détournement de statut. Le parquet a donc la possibilité d’ouvrir une enquête préliminaire au pénal. Lucide, l’Urssaf ne s’attend pas à ce que ces deux affaires aboutissent avant cinq ou six ans.

Sources : AFP, Reuters, Bloomberg, Alternatives eco

Elisabeth Studer – 28 octobre 2016 – www.leblogfinance.com

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