Vers l’éclatement d’une nouvelle bulle : la bulle carbone ?

Une nouvelle bulle pourrait éclater avec des impacts économiques et financiers non négligeables. C’est en effet le cri d’alarme que vient de lancer Rachel Kyte, chargée du dossier climat à la Banque mondiale.

Selon elle, la « décarbonisation » de l’économie doit être gérée avec minutie afin d’éviter un choc trop brutal pour les industries polluantes et l’éclatement la bulle carbone.

« Si nous acceptons qu’il faut moins de carbone dans notre croissance, nous pourrions avoir un risque financier lié à la proéminence dans notre économie d’entreprises qui ont lourdement investies dans le carbone », a ainsi indiqué Rachel Kyte, s’exprimant dans le cadre d’un entretien à l’AFP à Lima.

Estimant que l’accord climatique qui pourrait être conclu dans deux mois lors de la conférence COP 21 Paris pourrait déstabiliser ces entreprises, lesquelles font par ailleurs face à un mouvement croissant de désinvestissement hors des activités polluantes, elle invite les banquiers centraux à analyser s’il s’agit d’un risque systémique susceptible faire chanceler l’économie dans son ensemble.

Satisfaite certes de l’engagement pris par les pays riches de réunir 100 milliards de dollars par an pour aider ceux du Sud à combattre le changement climatique, qualifiant une telle décision de « politiquement importante » de la part de ceux à l’origine du problème climatique, la responsable estime que par dessus tout, l’engagement doit être pris sur le chemin d’une économie décarbonisée.

Elle considère ainsi que les transports, les villes et l’énergie doivent changer radicalement, nécessitant des investissements colossaux. « Ce n’est pas un problème à 100 milliards de dollars mais à plusieurs milliers de milliards de dollars », a-t-elle assuré.

Des propos qui interviennent alors que la France a annoncé vendredi à Lima l’apport de 15 milliards de dollars supplémentaires dans l’enveloppe annuelle promise aux pays pauvres qui contenait jusque-là 62 milliards.

Déjà en avril 2013, un rapport du groupe de recherche Carbon Tracker avait laissé entendre que l’argent injecté dans l’industrie des énergies fossiles jusqu’à l’horizon 2023, soit 6 000 milliards de dollars pourrait être à terme purement et simplement perdu.
Le think tank redoutait alors fortement l’émergence d’un violent déséquilibre des prix susceptible de provoquer l’éclatement d’une bulle, le niveau des cours d’échanges pouvant se révéler à terme excessif par rapport à la valeur financière des réserves d’énergie fossile (pétrole, charbon et gaz naturel).

Ainsi, après la bulle Internet et la crise des subprime aux Etats-Unis, une nouvelle bulle pourrait voir le jour et menacer le système financier dans son ensemble, s’alarmait d’ores et déjà Carbon Tracker. Une situation engendrée par les investissements des entreprises liées au secteur énergétique et à la valorisation de ces investissements, en tenant compte des quotas limitant les émissions de carbone instaurés au niveau international.

Entre 60 et 80 % des réserves identifiées ne seront pas utilisées si l’objectif d’un réchauffement climatique inférieur plus de 2° Celsius d’ici à 2050 est respecté, estimait alors le groupe de recherche.

Or, une grande partie de ces énergies étant déjà cotée, les contrats qui permettent d’échanger les titres de ces entreprises investissant dans le secteur énergétique sont très largement surévalués.

Pour respecter le maximum de 2°, il faudrait limiter le total des émissions de dioxyde de carbone entre 500 et 1 000 milliards de tonnes d’ici à 2050. Or, en tenant compte uniquement du niveau des réserves détenues par les entreprises cotées, lesquelles équivalaient à cette date à 762 milliards de tonnes, on se trouvait d’ores et déjà à mi-chemin du seuil à partir duquel leurs actifs n’auront plus de valeur, ne pouvant plus en effet être couverts par des droits à polluer.

Carbon Tracker publiait alors une infographie permettant de comprendre où se situent les points névralgiques des échanges de carbone et de prendre la mesure des risques qui pèsent sur ces marchés. Figurent en premier lieu, Wall Street, le Micex russe et la City londonienne, places financières réputées comme cruciales dans le secteur de l’énergie.

Pire encore, à l’examen du classement des marchés les plus exposés, la Bourse d’Athènes figurait alors en deuxième position, juste derrière la place de Moscou.

A cette date, l’Athens Stock Exchange (ASE) était doté d’un ratio d’émissions de titres liés à l’énergie (par rapport à sa capitalisation boursière) représentant plus du double de tous les autres marchés.

En 2013, l’agence de notation S & P avait d’ores et déjà averti qu’elle pourrait dégrader les notes de crédit des entreprises du secteur pétrolier dans les prochaines années, en raison de ces mêmes inquiétudes concernant un surinvestissement dans les énergies fossiles. Parmi les pays visés figuraient alors l’Australie, dotée d’une puissante industrie minière, ainsi que la  Chine, énergivore en terme de charbon.

Autre menace et non des moindres soulignait alors le rapport : les sommes proviennent en grande partie de l’argent du grand public via des gérants de fonds de pension ou d’actionnaires.  »Demandez des comptes à votre gérant », recommandaient alors les auteurs.  »Demandez lui comment il gère le risque posé par la bulle du carbone. »

Sources : AFP, Le Monde, Carbon Tracker

Elisabeth Studer – 11 octobre 2015 – www.leblogfinance.com


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