Visé par une première résolution climat, Total lâche du lest

Pas facile de diriger un groupe pétrolier comme Total à l’heure du réchauffement climatique. Il y a dix ans, le sujet n’était pas dans les radars du géant de La Défense. Les ONG qui l’interpellaient sur son mauvais bilan carbone étaient inaudibles. Aujourd’hui, leurs voix portent davantage. Maintenant, ce sont les actionnaires qui montent au créneau. Mi-avril, un groupement de onze investisseurs européens emmenés par Meeschaert AM déposait une résolution externe sur les objectifs climatiques de Total pour l’assemblée générale du vendredi 29 mai. « Notre objectif est de modifier les statuts du groupe afin de renforcer la contribution de son modèle économique à l’atteinte de l’Accord de Paris sur le climat », indique Aurélie Baudhuin, analyste en investissements socialement responsables au sein de Meeschaert AM.

Total, bonnet d’âne du réchauffement climatique ? Ces dernières années, le pétrolier s’est diversifié dans les renouvelables et l’électricité. Mais pour les ONG, ce n’est pas assez. Juste du greenwashing. Le pétrolier reste le plus gros émetteur français de CO2. En janvier, Sherpa et France Nature Environnement ainsi qu’un collectif de plusieurs villes assignent Total en justice pour « inaction » climatique et lui demandent « d’agir de manière préventive » contre le réchauffement. Deux mois plus tard, le groupe infléchit sa stratégie climatique. Il accentue le rythme de réduction des émissions de CO2 (l’objectif est de parvenir désormais à 20 millions de tonnes en 2025 contre 40 millions initialement). Quelques semaines plus tard, il annonce qu’il vise, à l’instar de BP et Shell, la neutralité carbone à horizon 2050.

Total ne met pas ses actes en conformité avec ses paroles

Pour y parvenir, il prévoit d’électrifier ses installations, de lutter contre les fuites de méthane, de cesser le torchage sur les plateformes pétrolières et de compenser les émissions de CO2 par la plantation d’arbres et la capture et la séquestration de carbone dans le sous-sol. Le zéro carbone, « c’est une révolution que personne n’aurait imaginée il y a encore cinq ans », déclare dans les colonnes du Figaro le PDG de Total Patrick Pouyanné. Les onze investisseurs prennent note du changement. Mais déplorent que Total ne mette pas ses actes en conformité avec ses paroles. Sa communication dans les énergies vertes est jugée floue -le pétrolier parle d' »électricité bas carbone », un terme qui englobe à la fois les renouvelables et le gaz. Autre grief, Total refuse de donner des points d’étape dans son objectif de neutralité carbone pour 2050. Reste enfin le point d’achoppement majeur. Il concerne les émissions provenant des produits commercialisés par Total, ce que les spécialistes appellent le « Scope 3 ». Pour ces émissions indirectes, l’objectif de neutralité carbone de la multinationale est limité au seul continent européen. « C’est insuffisant, dit Aurélie Baudhuin. Plus de la moitié des émissions de CO2 de Total est issue en dehors de l’Europe. »

Une première en France

Que va-t-il se passer lors de l’AG demain? Pour être adoptée, la résolution doit être approuvée par deux tiers des actionnaires. Les onze investisseurs représentent 1,37% du capital de Total. Ils bénéficient du soutien de la société de conseil en vote française Proxinvest. Mais la société de conseil en vote américaine ISS qui pèse plus lourd que Proxinvest a appelé à voter contre la résolution. Tout comme Climate  Action 100 +, un groupe d’investisseurs engagé dans la transition écologique et qui représente 25% du capital. Quant au conseil d’administration de Total, il ne veut pas que l’on touche au statut du groupe. Il juge la résolution des onze recevable mais indique dans un communiqué qu’il ne donnera pas « son  agrément ». La probabilité que le texte soit adopté est donc très faible.

L’action de Meeschaert AM et des dix autres investisseurs n’aura cependant pas été vaine. Jamais une résolution climatique n’avait été présentée en France. En 2011, la société de gestion Phitrust avait tenté de le faire en confrontant Total aux risques des sables bitumineux au Canada, des hydrocarbures très polluants. Mais le texte avait été considéré comme irrecevable par le conseil et n’avait pas été soumis au vote. « Ca s’était mal passé, on avait reçu des menaces, rappelle Denis Branche, directeur général délégué de Phitrust. Aujourd’hui, les choses ont changé, la situation n’est plus la même. » Les onze investisseurs espèrent faire bouger les lignes. Pour permettre aux actionnaires de déposer plus facilement des résolutions à l’occasion des prochaines AG. En France, les procédures sont lourdes, il faut notamment réunir un minimum de 0,5% du capital des sociétés. Aux Etats-Unis, il suffit d’obtenir l’agrément de la SEC, le gendarme de la Bourse américaine, et de débourser … 2.000 dollars. Une piste à suivre ? « On aimerait favoriser la démocratie actionnariale et cela passe par davantage de flexibilité dans les conseils », dit Aurélie Baudhuin.

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