Vous ne comprenez rien à votre taxe d’habitation ? C’est normal…

Pour animer un repas de famille, un truc marche à tous les coups : discutez du montant de votre taxe d’habitation… et comparez. On s’apercevra que l’oncle « bobo » aisé  -heureux propriétaire d’un magnifique loft en duplex de 120 m2 avec une verrière niché au fond d’une cour du quartier branché de Jourdain, dans le XXe arrondissement de Paris, paye une taxe d’habitation de 542 euros, étrangement  inférieure aux 589 euros déboursés par la cousine, pourtant bien moins bien lotie –locataire d’un appartement sans charme de 65 m2 dans une tour des années 80 qui a connu de meilleurs jours, à Villeurbanne, banlieue sensible de Lyon. Incroyable ? Mais vrai.

D’ailleurs, pas besoin de faire le tour de France. Même entre voisins, la discussion peut être animée : dans une même rue, à surface comparable, celui qui habite dans une résidence moderne peut payer près du double de son voisin qui a élu domicile dans un pavillon datant années 30.

Des valeurs locatives établies en 1970

Comment expliquer d’aussi criantes inégalités ? Elles sont dues au mode de calcul de la taxe, basé sur la « valeur locative cadastrale » (VLC) de chaque logement. Premier problème : ces VLC ont été évaluées en 1970… et jamais révisées depuis ! Le Parlement s’est contenté par la suite de voter chaque année une revalorisation forfaitaire pour tenir compte de l’inflation (voire plus, comme pour 2014 où elle est fixée à 0,9%). Pourquoi n’ont-t-elles jamais été révisées?

A cause du second problème : les VLC sont déterminées selon une combinaison d’opérations tellement compliquées que c’en est un casse-tête administratif. Concrètement, le calcul commence en se basant sur la surface du logement. Prenons un exemple concret. Vous vivez dans un logement de 70 m2. L’agent du cadastre va prendre toutes ses caractéristiques et les « convertir » en m2 supplémentaires, selon un barème de coefficients complexes… qui peuvent, de surcroît, varier selon les départements.

Première étape: les « jouissances annexes » c’est-à-dire la surface des dépendances, sont évaluées avec des coefficients minorants: 0,2 pour les greniers, les terrasses (couvertes ou non) et remises à bois; 0,3 pour les caves, celliers, buanderies, etc… non accessibles de l’intérieur, 0,4 s’ils sont « communicants »; 0,5 pour les garages séparés mais, là encore, c’est 0,6 s’ils sont accessibles depuis le logement; 0,6 aussi pour les combles aménageables et les entrées fermées.

Le fisc a le souci de la précision : le grenier, par exemple, compte pour 0 s’il n’est accessible que par une trappe ou un escalier extérieur; la véranda compte pour 0,6 mais pour 1 si elle est chauffée. Le top : la piscine, qui vaut 1, soit l’équivalent d’une pièce supplémentaire. Dans l’exemple, le logement de 70 m2, s’il est doté d’une cave de 10 m2 et d’une terrasse de 5 m2, fait maintenant 74 m2.

Tout est pris en compte jusqu’au bidet

Deuxième étape: d’autres coefficients s’appliquent selon les « éléments de situation ». L’agent du cadastre évalue l’état d’entretien de l’habitation. Elle est défraîchie? 0,8. En parfait état? 1,2. Mettons qu’il est correctement entretenu (1,1), le voilà donc à 82 m2. L’agent doit aussi affecter un coefficient de « situation particulière ». Si c’est un appartement, il a une surcote s’il est exposé au sud (une décote s’il est au rez-de-chaussée), s’il y a un ascenseur (une décote au-delà du 2e étage s’il y en a pas), si l’immeuble est de belle facture, la cage d’escalier propre, etc.

Si c’est une maison, on regarde le caractère architectural de la bâtisse, le jardin… voire la vue si elle est à la mer ou à la montagne. Enfin, l’agent attribue aussi un coefficient de « situation générale », selon l’environnement : plus-value pour un quartier bourgeois, pour la proximité des transports, commerces et services publics ; moins-value pour un quartier plus décati, la proximité d’un aéroport ou d’une usine polluante… Dans l’exemple, en partant d’un local standard dans un environnement  correct, le 82 m2 passe tout de même à 106 m2.

Troisième étape : l’ajout forfaitaire de m2 pour prendre en compte les « éléments de confort » de l’habitat. Il dispose de l’eau courante ? Ca vaut 4 m2. De l’électricité ? 2 m2. Du tout-à-l’égout ? 3 m2. Une baignoire c’est 5 m2 mais un receveur de douche seulement 3 m2, comme un WC. Le chauffage central coûte cher : 2m2 de plus par pièce (y compris cuisine et salle-de-bain). Avec toujours ce même souci tatillon, le fisc stipule qu’un lave-mains ou un bidet valent autant qu’un lavabo, soit 3 m2. Suivant l’exemple, l’appartement de 106 m2, correctement équipé, atteint une surface « pondérée » de 124 m2.

Une évaluation en partie subjective

Quatrième étape : L’agent du cadastre, muni du calcul de « surface pondérée » choisit enfin, selon son jugement propre (et donc forcément subjectif) de classer le logement dans une des huit catégories possibles, allant de « aspect délabré » à « nettement somptueux ». Pour chacune des catégories, la commune a établi, à partir de « loyers de référence », un loyer au m2. La surface pondérée sera multipliée par ce tarif et voilà comment s’obtient la VLC.

Rappelons que toute cette usine à gaz date des années 70. Depuis, les critères de confort ont, heureusement, évolué. L’eau courante, l’électricité, un WC, ne sont plus un luxe mais l’équipement basique de tout logement décent. Une cheminée (qui vaut 0) est devenue plus rare que des radiateurs (3 m2). Et les vide-ordures (3 m2) sont passés de mode, tous condamnés depuis longtemps ! Résultat : les occupants de HLM des années 70, qui disposaient à l’époque de tout le confort « moderne », se retrouvent avec une valeur locative théorique de leur logement bien supérieure à certains splendides appartements haussmanniens, insalubres alors mais rénovés depuis.

Des lofts valorisés comme des masures

De fait, si une masure est restaurée par un designer, qui réaménage l’espace de fond en comble, installe des salles de bain, annexe le grenier, transforme le garage en salon et ajoute des baies vitrées pour clore l’appentis, tant qu’il n’a pas eu besoin de permis de construire, le fisc n’en sait rien. Pourtant, sa valeur locative a pu aisément décupler ! Alors que les acheteurs de logements neufs, dont la déclaration est plus à jour, paient eux plein pot et ce même si, dix ans après, l’état général s’est beaucoup dégradé.

Depuis 44 ans, le potentiel immobilier de certaines communes, de certains quartiers, a aussi complètement changé. Certaines campagnes ont vu leurs fermes décaties reconverties en somptueuses demeures secondaires alors que des cités industrielles plongeaient dans la misère. Les centre-villes se sont embourgeoisés pendant que les cités des « villes nouvelles » se sont ghettoïsées.

Gare aux agents zélés sur le terrain

Le problème est connu et un projet de révision des VLC est en cours, qui se baseraient cette fois tout simplement sur la valeur locative réelle des biens sur le marché immobilier telle qu’une agence immobilière l’estimerait. Une réforme juste et de bon sens mais qui n’aboutit pas car elle est explosive politiquement : les transferts de charges selon les quartiers et les types  de logements pourraient être énormes ! En attendant, les contribuables ne sont pas si tranquilles… mais plutôt à la merci de révisions sauvages.

Si les agents du cadastre ne peuvent évidemment mener le chantier titanesque de vérifier dans tous les logements s’ils n’ont pas été agrandis ou réaménagés, ils peuvent rectifier ponctuellement certaines VLC. Les témoignages abondent, de malheureux contribuables « revalorisés ». Ainsi, l’un a vu sa note grimper de 50% quand le cadastre s’est aperçu, en compulsant l’acte de vente (trois ans après qu’il ait acquis le bien), que le logement était raccordé au tout-à-l’égout et disposait du chauffage central… ce qui était le cas depuis 35 ans!

Parfois aussi, quelques agents zélés se lancent dans des investigations locales. Les habitants d’un petit village ont ainsi eu la mauvaise surprise de voir leur facture grimper soudainement de 10 à 70%. Il s’avère que deux agents étaient venus inspecter plus ou moins discrètement toutes les maisons, avaient même pris des photos… et constaté que, ici, des Velux montraient que le grenier était habité, que, là, une piscine avait été creusée sans être déclarée… et que nombre de demeures, coquettes, méritaient maintenant d’être surclassées d’une voire trois catégories ! Un avant-goût de la douleur qui en attendra certains si une révision générale se réalisait…


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