60 ans après, la TVA est-elle toujours l’arme fatale de l’Etat ?

La TVA fête ses 60 ans ce jeudi 10 avril. Inventée en 1954, la taxe sur la valeur ajoutée ne parvient toujours pas à faire l’unanimité et reste, pour beaucoup encore, impopulaire. Et pourtant c’est un impôt qui rapporte. En 2013, la TVA a effectivement permis au Trésor de récupérer 185 milliards d’euros, soit 50% des recettes fiscales de l’Etat (375,6 milliards d’euros). Donc autant dire que la France peut difficilement s’en passer.

En partant de l’ouvrage de Denys Brunel, « La TVA invention française, révolution mondiale. L’aventure de Maurice Lauré », aux éditions Eyrolles, Challenges.fr vous propose de comprendre en quoi cet impôt indirect a été une innovation fiscale majeure du XXe siècle.  

  • Qui était Maurice Lauré ?

C’est à Maurice Lauré, haut fonctionnaire des finances, que l’on doit l’introduction de la taxe sur la valeur ajoutée pour la première fois au monde. La France fut pionnière en 1954 avec cet impôt révolutionnaire considéré par beaucoup comme l’une des évolutions fiscales les plus spectaculaires du XXe siècle. Maurice Lauré, ce « prince de l’esprit » selon Raymond Aron est tout simplement à l’origine d’une « invention de génie », pour reprendre les mots de Denys Brunel. 

De Philippe le Bel à Napoléon Bonaparte, en passant par Henri IV ou bien Joseph Caillaux, les hommes d’Etat français ont toujours cherché « l’inaccessible Graal fiscal », un impôt idéal qui permet de financer les besoins de l’Etat, qui est indolore, ne favorise pas les fraudeurs, et stimule l’économie. La taxe sur la valeur ajoutée parvient à lier ces différentes exigences.  Elle part d’un constat, celui de Maurice Lauré sur l’état accablant de la fiscalité au tournant des années 1950. Pour lui, il faut revoir intégralement un système qui favorise la surtaxation systématique des facteurs de productivité, qui est extrêmement complexe à appliquer, et qui multiplie les exonérations abusives… En 1952, il publie « La Taxe sur la valeur ajoutée », un ouvrage dans lequel il détaille ce qui a ses yeux est un système révolutionnaire. Cette taxe sera adoptée deux ans plus tard par les parlementaires, avec 320 voix pour et 245 contre.

  • La TVA, ça marche comment ?

Dans son ouvrage, Denys Brunel décrit un système simple : « les professions assujetties (peu nombreuses au départ), établissaient tous les mois un bordereau comprenant d’un côté, les factures payées aux divers fournisseurs, avec la TVA correspondante, de l’autre, les factures émises vers les clients, elles aussi avec la TVA correspondante : la soustraction des deux représentait la TVA que le producteur devait payer à l’Etat, avec des reports possibles d’un mois sur l’autre si le résultat de cette soustraction était négatif ». 

Le FMI a donné cette définition de la TVA : c’est essentiellement une taxe frappant la consommation, supportée par le consommateur, dont le prélèvement s’étale sur tout le processus de production. 

Sur le site impots.gouv.fr, elle est définie comme suit : « c’est un impôt général sur la consommation qui est directement facturé aux clients sur les biens qu’ils consomment ou les services qu’ils utilisent en France ». 

Depuis le 1er janvier 2014, quatre taux principaux existent : le taux normal de 20% qui concerne la majorité des ventes de biens et des prestations de services ; le taux réduit de 10% applicable aux biens et prestations de services qui relevaient du taux de 7 % ; le taux réduit de 5,5% applicable aux biens et prestations de certains services (produits alimentaires, équipements et services pour handicapés, abonnements relatifs aux livraisons de gaz et d’électricité, fourniture de repas dans les cantines scolaires par des prestataires extérieurs dans les établissements publics ou privés d’enseignement du premier et second degré, fourniture par réseau de chaleur produite à partir d’énergies renouvelables) ; le taux particulier de 2,1% réservé aux médicaments remboursables par la sécurité sociale, aux ventes d’animaux vivants de boucherie et de charcuterie à des non assujettis, à la contribution à l’audiovisuel public, à certains spectacles, aux publications de presse inscrites à la Commission paritaire des publications et agences de presse et, depuis le 1er février 2014, aux services de presse en ligne. 

La TVA est un outil qui « stimule tout le tissu économique français », explique Denys Brunel. Voici pourquoi. L’entreprise paie son fournisseur (qui lui facture ses produits au prix hors taxe + TVA) et le trésor à qui elle règle la différence entre la TVA facturée et la TVA collectée. L’entreprise est remboursée en totalité par le client, et seul le consommateur final supporte la TVA. « C’est précisément dans ce dernier point que se situent à la fois l’un des avantages majeurs et le danger de la taxe : le client ayant pris l’habitude de voir affichés les prix TTC, il n’en a pas conscience ».

La TVA minimise la fraude puisqu’elle est perçue de la production à la vente au détail. « Toutes les professions deviennent des agents collecteurs ».

Ce nouveau mécanisme fait que les entreprises paient désormais la taxe sur leurs ventes, l’Etat leur remboursant la taxe payée sur leurs achats, afin que la valeur ajoutée soit prise en compte et favorise l’investissement. Il favorise également l’exportation puisque la TVA payée en amont de la production est déduite et remboursée aux exportateurs.

La TVA est considérée comme un impôt indolore. Pour reprendre les mots de Maurice Lauré, c’est un impôt de consommation et non un impôt sur les entreprises. Il touche indistinctement le pauvre comme le riche. Il n’est pas redistributif : son taux est le même pour tous. C’est pourquoi les taux de TVA sur les produits de premières nécessités sont plus faibles, afin de ne pas pénaliser les plus pauvres. Par contre les taux de TVA sur les produits de luxe dont plus forts. Pour les entreprises, la TVA renchérit le prix final d’un produit et est par conséquent pénalisante. 

Dans un entretien au JDD du 6 avril, Michel Bouvier, professeur de finances publiques et président du Fondafip, pointe les failles du dispositif, notamment sa complexité folle. « A force d’exonérations et de niches de taux –nous en avons 4 en France-, la TVA est devenue un impôt quasiment personnalisé », explique-t-il. Autre reproche, elle devient de moins en moins rentable notamment à cause de la fraude (qui coûte environ 10 milliards à l’Etat) et ce sous l’effet notamment de la mondialisation et du commerce en ligne.

  • L’expansion de la TVA dans le monde

La TVA est-elle l’impôt universel par excellence ? L’impôt indirect a en tout cas connu très vite un succès international. Il part à la conquête du monde au début des années 1960 dans les anciennes colonies françaises puis en Amérique du Sud. En 1988, 42 pays l’ont adoptée sous une forme ou sous une autre. Elle existe désormais dans 153 pays. 33 des 34 pays de l’OCDE l’ont adoptée, à l’exception des Etats-Unis, seule grande puissance à ne pas avoir franchi le pas.

Et c’est un impôt qui compte pour chacun d’entre eux puisqu' »aujourd’hui, dans les pays qui l’ont adoptée, la TVA représente en moyenne 20% des recettes totales de l’Etat », précise Denys Brunel. 


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