Analyse et Stratégie : ALIBABA GROUP HOLDING LTD SPON ADS EACH REP 8 ORD SHS : Les Etats-Unis veulent bouter les entreprises chinoises hors de Wall Street

C’est fort de café en symbole. Hier, le jour où Luckin Coffee était à nouveau cotable à Wall Street, le Sénat américain a adopté à l’unanimité un projet de loi qui, s’il est validé par la Chambre de représentants, permettra aux Etats-Unis de contraindre les entreprises chinoises à se retirer de la Bourse de New York. Ce texte répond à des préoccupations en matière de protection des investisseurs.

La fraude de Luckin Coffee, qui se veut le Starbucks chinois, a dépouillé les investisseurs américains de l’essentiel des fonds qu’ils avaient investis dans cette chaîne de café, introduite sur le Nasdaq en fanfare il y a un an au prix de 17 dollars par action. Aujourd’hui, les titres s’échangent à moins de 3 dollars après un record à plus de 50 dollars en janvier. Des dirigeants de Luckin Coffee, dont l’ancien directeur général Liu Jian, ont gonflé les chiffres des ventes et falsifié les comptes jusqu’à ce que leurs magouilles soient découvertes en interne. Début avril, Luckin Coffee les révélait sur Weibo, le Twitter chinois, et présentait ses excuses.

Le Google chinois réfléchit déjà à partir

Chaque géant américain de la « Tech » a son jumeau chinois. Il y a Baidu pour Google, Huawei pour Apple, WeChat pour les applications Messenger ou WhatsApp de Facebook ou Alibaba pour Amazon. Si Tencent, le propriétaire de WeChat, est uniquement coté à Hong Kong, Alibaba a d’abord commencé par être listé à la Bourse de New York tandis que Baidu est uniquement présent à Wall Street. Alibaba et Baidu ont levé des dizaines de milliards de dollars aux Etats-Unis pour se développer. Maintenant, en pleine guerre de domination entre les Etats-Unis et la Chine, ces géants sont clairement dans le viseur de Donald Trump.

Alibaba, Baidu, JD.com ou Sohu ont soudainement décroché hier à l’annonce du résultat du vote du Sénat. Si la loi est votée, elle « obligera les entreprises chinoises à établir qu’elles ne sont pas détenues ou contrôlées par un gouvernement étranger, explique Ken Wong de la société de gestion Eatsping Investment. En outre, elles seraient tenues de se soumettre à un audit qui pourrait être examiné par le Public Company Accounting Oversight Board (PCAOB), l’organisme à but non lucratif qui supervise les audits de toutes les entreprises américaines qui cherchent à lever des fonds sur les marchés publics. » Ce jeudi, Baidu annonce qu’il réfléchit déjà à sortir de la Bourse de New York. Ses actions lâchent plus de 2% dans les premiers échanges, de même que celles d’Alibaba et de JD.com.

« Un impact démesuré sur la vie quotidienne »

Pour les économistes de Deutsche Bank, les Etats-Unis et la Chine se livrent une « guerre froide technologique ». Lors du conflit larvé avec l’URSS, les Etats-Unis ont remporté la course à l’innovation en dépensant simplement plus que les soviétiques. Contre la Chine, c’est différent, la donne n’est pas la même. Pour entrer dans la modernité et ne plus seulement être l’« usine du monde », le pays a eu recours à l’espionnage industriel, au vol de propriété intellectuelle et aux transferts forcés de technologies. Les ingénieurs chinois se sont aussi formés aux Etats-Unis ou ailleurs et des pôles d’excellence ont vu le jour en Chine. Avec comme résultat que Tencent et Alibaba font désormais partie des dix plus grosses entreprises au monde.

Alibaba, cotée à la Bourse de New York, pesait encore hier près de 600 milliards de dollars. Le géant chinois du e-commerce est septième au classement mondial des capitalisations, derrière Facebook. Tencent, listé à Hong Kong, est en huitième position.

Alibaba, cotée à la Bourse de New York, pesait encore hier près de 600 milliards de dollars. Le géant chinois du e-commerce est septième au classement mondial des capitalisations, derrière Facebook. Tencent, listé à Hong Kong, est en huitième position.

Alibaba, cotée à la Bourse de New York, pesait encore hier près de 600 milliards de dollars. Le géant chinois du e-commerce est septième au classement mondial des capitalisations, derrière Facebook. Tencent, listé à Hong Kong, est en huitième position. | Crédits photo : Bloomberg

La technologie est à l’avant-garde des sphères économiques, politiques et sociales. Il n’y a qu’à voir son importance dans la crise actuelle, le rôle qu’elle a joué pendant le confinement. Sans Internet, sans les outils de communication, sans le e-commerce, où en seraient le PIB, les finances, la santé, l’éducation ? « Le secteur des technologies de l’information, qui pèse 5.000 milliards de dollars, a un impact démesuré sur la vie quotidienne », constate l’analyste Apjit Walia de chez Deutsche Bank. La 5G et l’intelligence artificielle sont des champs de bataille. Sachant que les géants de l’économie numérique, comme Amazon, Alibaba ou Facebook, collectent massivement des données, qui sont essentielles pour nourrir l’intelligence artificielle.

« En cette année électorale américaine où, outre la présidence des États-Unis, de nombreux sièges du Congrès et du Sénat sont à pourvoir, nous ne sommes pas du tout surpris que les tensions géopolitiques entre les États-Unis et la Chine se soient à nouveau aggravées », explique Ken Wong. Tout comme la crise financière de 2008, la crise sanitaire « semble avoir été causée par la mondialisation », avance-t-on chez Deutsche Bank. La première a été provoquée par les mouvements d’argent par-delà les frontières, l’autre par les flux humains, ce qui expliquerait la montée du nationalisme, sur laquelle se fonde toute la stratégie de réélection de Donald Trump.

Plus d’une centaine d’entreprises chinoises

Il y a environ 150 entreprises chinoises cotées à la Bourse de New York. Toutes ne sont pas du monde de la « Tech ». Petrochina, Sinopec et China Life Insurance, clairement détenues par l’Etat, sont sur un siège éjectable à Wall Street. Mais, rien de grave. « Si l’on considère Petrochina, ses ADR ne représentent qu’environ 1,9% des actions en circulation, tandis que sa cotation à Hong Kong représente 52,1% des actions en circulation, explique Ken Wong. Il en va de même pour China Life, dont les ADR ne représentent que 1,1% des actions en circulation, tandis que sa cotation à Hong Kong compte pour 41,3%. Par conséquent, même si ces grandes entreprises d’État étaient contraintes de se délister des Etats-Unis, l’impact serait minime. » Par contre, pour des entreprises technologiques comme Pinduoduo et iQIYI, qui ne sont pas en règle avec les exigences du PCAOB, ce serait un problème au vu de leur capitalisation boursière cumulée de plus de 80 milliards de dollars. Les actions de Pinduoduo, spécialisée dans la vente en ligne à bas prix, chutent de 5% ; elles plongent 17% depuis leur record de mardi. Celles du site de publications de vidéos iQIYI perdent actuellement 3%.


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