Analyse et Stratégie : La « bulle technologique », selon Bank of America Merrill Lynch

C’est la preuve ultime. En pleine épidémie de coronavirus, le ChiNext – l’indice sur lequel sont cotées les actions des grandes entreprises technologiques chinoises – est gagnant de 25% depuis le début de l’année. Les valeurs « Tech » ont beau être moins cycliques qu’auparavant (compte tenu de leur potentiel disruptif), une hausse pareille, quelle effronterie ! Une hérésie qui ne peut s’expliquer, selon Bank of America Merrill Lynch, que parce qu’il y a une « bulle technologique » sur les marchés financiers. Ce que pense aussi le célèbre gestionnaire de fonds spéculatifs Paul Tudor qui voyait récemment des similitudes entre l’environnement de marché actuel et celui du début de l’année 1999, avant l’éclatement de la bulle Internet.

Pourtant, bien que la valorisation des actions des entreprises technologiques soit historiquement élevée, avec un Nasdaq 100 qui se paye 28 les bénéfices attendus pour cette année, elle n’a encore rien à voir avec celle extrême d’il y a vingt ans, quand le Nasdaq 100 se payait 40 fois les bénéfices. Quand Microsoft, alors plus grosse capitalisation mondiale, avait un PER de 60 (à comparer avec un PER de 24 pour le poids lourd actuel, Apple).

Apple + Microsoft = la Bourse de Paris

Il n’empêche que la résonnance avec 1999 est indéniable, d’après Bank of America Merrill Lynch. Il y a une frénésie autour des valeurs technologies, leur ascension est stratosphérique. Alors que les investisseurs se détournent globalement des actions, l’équipe de recherche stratégique de la banque américaine notait, en fin de semaine dernière, que les flux entrants sur les valeurs technologiques atteignaient, en données annualisées, 62 milliards de dollars, soit près de quatre fois son record de 17 milliards qui date de 2017.

Les géants Apple, Microsoft, Amazon et Alphabet (Google) sont chacun valorisés plus de 1.000 milliards de dollars. A elle seule, la valorisation d’Apple vaut autant que les trois quarts des plus grosses entreprises du Cac 40. Ensemble, Apple et Microsoft valent comme l’ensemble de la Bourse de Paris (qui pèse environ 2.000 milliards d’euros). L’appétit insatiable des investisseurs pour la Tech américaine a largement contribué à emmener Wall Street à de nouveaux records.  Maintenant, les « MAGA » pèsent tellement lourds dans le S&P 500 que comparativement à l’indice des grandes valeurs américaines, note-t-on chez Bank of America Merrill Lynch, les actions des entreprises européennes sont en « bear market », c’est-à-dire orientées à la baisse depuis 2006. Et au sein même des marchés américains, fait remarquer BoAML, les actions du secteur de l’énergie sont, relativement au S&P 500, au plus bas depuis 1941 et l’attaque de Pearl Harbor.

C’est le retour de l’« exubérance irrationnelle ». Les stratégistes de la banque mettent également en avant l’emballement autour des actions du constructeur de voitures électriques Tesla (x4 en six mois), de Virgin Galactic (x5 en moins de trois mois), l’entreprise de Richard Branson dédiée aux voyages dans l’espace introduite en Bourse en octobre, ou de Stamps.com (x2 en deux semaines). Les cours du palladium s’envolent avec les nouvelles normes antipollution dans l’automobile.

D’autres conséquences des taux bas

Les conséquences des taux d’intérêt très bas (à des niveaux inédits depuis 5000 ans) ne s’arrêtent pas là. Alors que les investisseurs vont chercher du rendement là où il y en a, les stratégistes constatent une « poussée » des ETFs avec comme sous-jacents le « private equity ». Et toujours dans l’univers du non-côté, les stratégistes de Bank of America Merrill Lynch notent d’« énormes » émissions de CLO, de la dette d’entreprise titrisée (Apollo en a émis pour plus de 2 milliards de dollars), un acronyme qui rappelle beaucoup la crise des subprimes (au lieu de CLO, il s’agissait de MBO, de la titrisation de dette basée sur les emprunts immobiliers). Tout aussi inquiétant : le rachat, la semaine dernière, par Ally, le financeur numéro 1 aux Etats-Unis des achats de voitures, du prêteur subprime CardWorks, qui octroie des cartes de crédit à des ménages qui ont un gros risque d’insolvabilité. 

La semaine dernière, à l’occasion de sa communication mensuelle, la Fed, la banque centrale américaine a reconnu que sa politique monétaire de taux ultra bas avait créé des risques de déstabilisation des marchés financiers. « Plusieurs membres [du comité de politique monétaire] ont observé que les valorisations des actions, de la dette des entreprises et des prêts immobiliers étaient élevées et ont attiré l’attention sur les niveaux d’endettement importants des entreprises », pouvait-on lire dans les minutes de la dernière réunion du comité, celle de la fin janvier.

Pour Bank of America Merrill Lynch, le prix des actifs à risque devrait continuer à grimper au cours du deuxième trimestre, avec un S&P 500 qui visiterait des nouveaux records, avec une poussée à 3500 points environ, ne serait-ce que parce que la Fed continuera à acheter jusqu’à la fin avril pour 180 milliards de bons du Trésor par mois. Politiquement, avant les élections présidentielles américaines, la Bourse sera également soutenue par l’investiture, dans le camp démocrate, d’un candidat pro-business ; son nom sera probablement connu d’ici à la mi-mars.


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