Analyse et Stratégie : Pourquoi la Bourse avait-elle jusque-là si bien résisté au coronavirus ? Aurel BGC confronte « ce que le marché croit » et la réalité

« Le comportement des marchés financiers, notamment actions, peut parfois paraître ‘irrationnel’ ou s’appuyer sur des fondements fragiles ou faux. La réaction de Wall Street face aux incertitudes générées par le Covid-19 pourrait en attester. » D’emblée, le chef économiste d’Aurel BGC adopte un ton de procureur. Dans une note matinale, Christian Parisot passe en revue les thèses qui circulent sur les marchés et qui font monter les actions. Le but n’est pas de les démonter systématiquement, mais de les pondérer avec la réalité. Ou plus exactement, sa vision de la réalité.

1.   Plus qu’une simple idée, celle-là est parole d’évangile. Les investisseurs, note Christian Parisot, sont convaincus que « les banquiers centraux interviendront massivement en cas d’impact négatif sur la croissance mondiale du Covid-19. » Par exemple, alors que la Banque centrale européenne a « peu de marge de manœuvre », la Réserve fédérale américaine « pourrait baisser ses taux d’intérêt dès le 18 mars. » Certes, le patron de la Fed, Jerome Powell « a promis une intervention massive en cas de récession de l’économie américaine. Mais, contrairement à l’année dernière, il n’y aura pas de ‘baisse préventive’ des taux directeurs. Seule une dégradation du marché du travail et/ou une violente chute d’activité dans le secteur industriel induira une réponse. » Pour ce qui est sûr, souscrit Christian Parisot, la capacité des banquiers centraux « à apporter des liquidités aux marchés ne permet pas d’anticiper une correction profonde et durable des marchés d’actions, même en cas de forte hausse des risques. » Les taux d’intérêt sont déjà très bas, ce qui favorise l’« effet Tina ». There Is No Alternative. Pour faire simple, il n’y a que les actifs à risques, ce que sont les actions, qui rapportent. L’épargne n’est pas rémunératrice, ni l’achat de titres de dette d’Etats ou d’entreprises bien notés (pour lesquels les agences de notation, comme Standard & Poor’s, jugent que le risque de défaut est très faible).

2.   « Les Etats vont mettre en place des politiques de relance budgétaire massive. » Ce que la Chine a déjà fait. Et, cette nuit, Hong Kong a annoncé un plan d’aide de 120 milliards de dollars hongkongais (14 milliards d’euros), incluant pour l’essentiel le versement à chaque résident permanent de plus de 18 ans de 10.000 dollars de Hong Kong (près de 1.200 euros). Mais pour ce qui est des Etats-Unis et de l’Europe, Christian Parisot explique que la mise en place de politiques de relance est loin d’être acquise. Compte tenu des élections présidentielles américaines, « même en cas de dégradation de l’activité, l’administration Trump n’obtiendra pas un plan de relance massif en 2020. » En Allemagne, la coalition chancèle. « Seule une forte dégradation de l’économie européenne permettrait d’anticiper un plan massif et coordonné de relance. Ce scénario semble improbable pour 2020. Les divergences sur le futur budget de l’Europe ne sont pas rassurantes. »

3.   « Un rebond rapide de l’économie mondiale s’opérera dans les prochains mois. Le Covid-19 n’est qu’un élément ponctuel et sera vite oublié. » Sur ce point, le Fonds monétaire international ne donne pas tort aux investisseurs. D’après la première estimation du FMI, le coronavirus ne coûtera que 0,1 point de croissance à l’économie mondiale en 2020 qui, finalement, sera de 3,2% et non plus de 3,3% comme prévu en janvier. Christian Parisot est, lui, plus sceptique. « Même en cas de scénario rose sur le développement de l’épidémie, un rebond rapide de l’économie mondiale est peu probable. »

« Le virus a mis en avant l’extrême dépendance du monde à la Chine. » L’économiste juge « probable » une hausse des défaillances d’entreprises et le durcissement des conditions de crédit pour celles les plus exposées à la Chine. Le secteur automobile, déjà mis à mal par les nouvelles antipollution, le défi de l’électrique et la baisse des ventes de voitures, « est particulièrement fragilisé par cette crise. » Volkswagen vend par exemple presque la moitié de ses modèles en Chine où les constructeurs ont des usines et se fournissent en pièces détachées. 

Christian Parisot fait par ailleurs remarquer qu’« une partie de l’activité perdue ne sera jamais rattrapée, notamment dans les services. Le tourisme, le secteur des transports, notamment aérien, ne bénéficieront pas d’un ‘effet rattrapage’. » En outre, au vu des stocks de pétrole, d’acier, ou cuivre – des matières premières que la Chine n’a pas utilisées étant donné le coup d’arrêt de son activité -, les producteurs seront encore longtemps affectés par le coronavirus.

Sans compter que « le pic de diffusion du virus est loin d’être atteint. Le risque de pandémie restera présent encore plusieurs mois, au moins jusqu’en mai, et donc restera un frein à l’activité économique et sur le moral des chefs d’entreprises dans de nombreux pays. »


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