Analyses et opinions : Le pari allemand de Macron

Le général de Gaulle a dû se retourner dans sa tombe lorsque, dimanche, deux journalistes intervieweurs ont appelé son successeur à l’Elysée par son prénom et son nom, et jamais par son titre. On est heureusement loin du grossier « Casse-toi, pauvre con » de Nicolas Sarkozy ou de l’escapade en scooter de François Hollande, mais, il n’empêche, une nouvelle étape a été franchie dans la désacralisation du « monarque républicain » que le fondateur de la Ve République avait voulu installer à la tête de l’Etat.

Bon gré mal gré, Jupiter est descendu de l’Olympe pour ferrailler dans l’arène politique. Plus que jamais, le président de la République est un « super-Premier ministre ». Il le fait avec d’autant plus d’efficacité que les Français sont encore subjugués par son intelligence et son brio. Qu’en sera-t-il dans un an lorsque l’usure du temps aura commencé à faire son oeuvre et que les Français se préoccuperont davantage des résultats de sa politique que de ses dons de dialecticien ?

Emmanuel Macron est d’autant plus contraint de descendre dans l’arène qu’il a placé la réforme de la zone euro au coeur de sa stratégie interne et externe, et que cette réforme patine.

L’an passé, c’était à qui en Europe applaudirait le plus fort à l’arrivée à l’Elysée d’un européen convaincu. Mais, aujourd’hui, son activisme inquiète. Y compris l’Allemagne de Mme Merkel. Les projets « macroniens » de réforme de l’Europe, comme la création d’un budget de la zone euro, sont vus par les Allemands comme la volonté française de les faire payer selon le vieux slogan « L’Allemagne paiera ! ».

D’ailleurs, c’est vrai : une union monétaire, pour bien fonctionner, nécessite des mécanismes de compensation entre les gagnants et les autres. Et, en particulier, comme le demande Paris, des systèmes automatiques de secours en faveur des pays les plus faibles en cas de crise internationale, comme celle des subprimes, en 2008.

Outre-Rhin, les mises en garde se multiplient dans les milieux politiques et les médias contre les projets français. « L’Allemagne est passée du tapis rouge aux lignes rouges », synthétise l’économiste Henrik Enderlein, et Emmanuel Macron a désormais devant lui une chancelière politiquement affaiblie et à la marge de manoeuvre réduite.

Est-ce à dire que les deux dirigeants ne parviendront pas à une position commune d’ici au sommet européen de juin ? C’est peu probable, car un tel échec ne serait dans l’intérêt de personne.

Avec Trump qui la boude, la Grande-Bretagne qui négocie le Brexit, la Russie qui cherche à déstabiliser l’est de l’Europe, la chancelière ne peut se passer du partenariat avec Paris. Quant au président français, il a besoin d’un succès européen pour son opinion publique, à laquelle il a demandé des sacrifices en pariant que cela apporterait le soutien allemand à ses projets.

Evidemment, tout passera par des « compromis » entre Paris et Berlin, comme l’a dit, jeudi, Merkel à Macron. Le tout sera de savoir où s’arrêtera le curseur entre les ambitions françaises et les réticences allemandes. Il ne faudrait pas que le pari de Macron se révèle être un marché de dupes.

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