Après les perturbateurs endocriniens, conflit d’intérêt sur les études liées aux OGM

Ironie du sort ? Hasard de calendrier ? Alors que la justice européenne vient de confirmer jeudi l’autorisation par la Commission européenne de la mise sur le marché de produits contenant du soja OGM de l’américain Monsanto, arguant notamment que « l’évaluation de la toxicité potentielle et le risque allergénique de l’OGM ont été évalués de manière adéquate« , une étude publiée le même jour par l’Inra dans la revue américaine PLOS One indique qu’une forte proportion des études scientifiques consacrées à l’efficacité ou la durabilité des plantes à organismes génétiquement modifiés présentent des conflits d’intérêts financiers. Le fait même que la question nécessite une étude et que le tribunal européen soit obligé de spécifier que l’évaluation ait été réalisée conformément aux exigences nous alertent d’ores et déjà sur l’ampleur du problème.

Selon Thomas Guillemaud, directeur de recherche à l’Institut national de recherche agronomique (Inra), qui a signé l’étude avec deux autres chercheurs,  40 %, soit 229, des 579 articles consacrés aux OGM qu’ils ont recensés dans le cadre de l’étude et caractérisés présentent un conflit d’intérêt financier. Tout de même …

Les trois chercheurs ont travaillé durant un an pour répertorier et analyser un corpus d’études scientifiques parues dans le monde entier sur l’efficacité et la durabilité des semences OGM Bt. Ces plantes transgéniques, notamment maïs, coton et soja, produisent des protéines d’une bactérie, Bacillus thuringiensis toxiques pour certains insectes ravageurs qui détruisent les récoltes.

Sur les 672 études passées en revue, 404 sont américaines et 83 chinoises. Les études sur les OGM consacrées à d’autres sujets, tels que les risques toxiques alimentaires, ou aux conséquences environnementales ont été écartées. Les articles dont le financement ne pouvait pas être identifié ont été écartés de l’étude, ce qui explique la différence entre le corpus initial de 672 articles et les 579 finalement gardés.

Les chercheurs ont réparti les études en trois catégories, celles dont la conclusion était globalement favorable aux OGM, défavorable, ou neutre. Ensuite, article par article, ils ont analysé les affiliations déclarées des auteurs à des groupes semenciers ou de biotech produisant des OGM ou à des sociétés de lobbying travaillant pour eux. Ils ont également examiné la façon dont les études elles-mêmes avaient été financées. « Une étude présentant un conflit d’intérêt est une étude dont au moins un des auteurs déclare une affiliation dans un de ces groupes semenciers ou de biotech, ou qui est au moins partiellement financée par eux« , a précisé Thomas Guillemaud.

« Le point le plus important est que nous avons aussi démontré qu’il existe une association statistique entre la présence de conflits d’intérêts et une conclusion d’étude favorable aux OGM », a déclaré le chercheur. Ajoutant que « lorsqu’une étude présente des conflits d’intérêts, cela augmente de 49 % la probabilité que ses conclusions soient favorables aux OGM ».

Parmi les articles sans conflits d’intérêts (350), 36 % (soit 126 articles) sont favorables aux intérêts des sociétés produisant les OGM Bt alors que parmi les articles avec conflits d’intérêts (229 articles), 54 % (123 articles) sont favorables aux intérêts des sociétés produisant les OGM Bt.

« Nous pensions qu’il y aurait des conflits d’intérêts mais nous ne pensions pas qu’il y en aurait autant », a déclaré au final M. Guillemaud. Monsanto et conflits d’intérets semblent donc décidément aller de pair …

Dans un entretien au journal Le Monde publié fin mai 2016, Ségolène Royal, la ministre de l’Ecologie, avait ainsi menacé de poursuivre la Commission européenne si les critères censés réglementer les produits reconnus comme des perturbateurs endocriniens devaient être un peu trop servir les intérêts des industriels au détriment de la santé des concitoyens, laissant entrevoir des pressions des lobbies. Selon la ministre de l’Ecologie, la France pourrait le cas échéant se joindre à la Suède, pays qui, selon elle, est décidé à poursuivre la Commission.

« Si une substance est un perturbateur endocrinien avéré, elle doit être retirée du marché », avait par ailleurs martelé Ségolène Royal, faisant référence la dangerosité du glyphosate contenu dans le Round up de Monsanto. Selon elle, avant de définir les critères permettant de cibler de tels produits, Bruxelles a commandé une étude d’impact économique dont les conclusions n’ont pas été rendues publiques, ni même transmises aux autorités françaises.

« La société accepte de plus en plus mal que les lobbys pèsent sur des décisions prises dans le secret », avait-elle conclu. Faisant référence à l’étude d’impacts socio-économiques d’éventuelles réglementations prises sur des polluants chimiques, commandée par les industriels eux-mêmes. Une étude tenue  secrète qui fait craindre à certains que la Commission européenne définisse les critères des perturbateurs endocriniens en fonction de considérations économiques.

Suspecté par l’OMS d’être cancérigène pour l’homme ( il a été classé « cancérogène probable pour l’homme » par le Centre international de recherche sur le cancer, le CIRC ), la dangerosité du glyphosate est contestée par une étude de l’Autorité européenne de sécurité des aliments ( EFSA ).

Alors que l’Union européenne a été pointé du doigt à maintes reprises pour son manque de transparence, dans le dossier du glyphosate notamment, l’EFSA a décidé, fin septembre, de « communiquer les données brutes utilisées dans l’évaluation récente de la sécurité du glyphosate par l’UE ». Cette décision fait suite à une requête de quatre élus du Parlement européen et d’une association. Leur demande devant être satisfaite au plus tard le 9 décembre 2016.

Les premières conclusions de l’EFSA, contraires aux affirmations du Centre international de recherche sur le cancer (Circ), avaient fait réagir la communauté scientifique et la société civile. Ces dernières critiquaient l’absence de publication des données brutes à la base des résultats ainsi que l’appartenance de certains experts du groupe de recherche à des groupes industriels tels que Bayer ou BASF.

96 scientifiques avaient alors écrit au commissaire chargé de la santé et de la sécurité alimentaire, Vytenis Andriukaitis, pour contester la crédibilité de l’étude. Le membre de la Commission donnait alors un conseil aux auteurs de la missive : « Les scientifiques doivent éviter de prendre part au processus politique ».

Elisabeth Studer – 18 décembre 2016 – www.leblogfinance.com

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