Au carré VIP du Parc des Princes, on ne parle pas que football

Tant de pouvoir et d’argent en si peu de mètres carrés! Tout en haut, en rang d’oignons, voici Antoine Arnault, fils du PDG de LVMH ; Jacques Veyrat, ex-président du groupe Louis Dreyfus; et Alexandre Bompard, patron de la Fnac. S’ils regardent vers la gauche, ils peuvent voir le fondateur de Free, Xavier Niel – qui a passé une inhabituelle veste noire, comme le carton d’invitation le demandait –, discuter avec Patrick Bruel.

Au-dessus, Pierre et Jean Sarkozy sont séparés par trois sièges d’un autre rejeton de président, Thomas Hollande. Si celui-ci se retourne, il apercevra, derrière l’animateur Nagui, deux ministres de son père : Philippe Martin (Ecologie) et Victorin Lurel (Outre-Mer). Les exigences protocolaires les ont placés au milieu de la tribune, mais pas tout à fait au centre. Au cœur du Carré, la loge hyper-VIP du Parc des Princes, trône Nicolas Sarkozy, encadré par Nasser al-Khe-laifi et Dmitry Rybolovlev. Les bons mots du président qatarien du Paris Saint-Germain (PSG), chuchotés à l’oreille de l’ex-chef de l’Etat, hilare, parviennent même à faire sourire le taiseux oligarque russe, propriétaire de l’AS Monaco.

Happy few et dress code

Sur la pelouse, les deux équipes promises à se disputer le Championnat de France de football cette saison se quittent sur un match nul (1-1). Les stars ont marqué : Zlatan Ibrahimovic pour le PSG, Falcao pour Monaco. Comme à chaque rencontre à domicile, les people ont accouru porte d’Auteuil pour admirer le spectacle offert par le club de la capitale, redevenu séduisant grâce aux millions déversés depuis deux ans par les Qatariens.

« Le Parc est un lieu mondain où il faut se montrer et être vu », observe Charles Villeneuve, qui a déserté le Carré pour s’offrir un siège au Club Etoile, un autre lieu de pouvoir du Parc. Désormais chroniqueur à Canal+, le journaliste, qui dit tenir à sa « liberté de penser », ne se souvient pas qu’on s’y pressait autant quand il était président du PSG, en 2008-2009.

« Ce n’est même plus la peine d’essayer d’avoir une place au Carré pour les gros matchs, soupire un ex-habitué qui n’est ni élu ni millionnaire. Les Qatariens ont verrouillé l’accès pour en faire l’un des endroits les plus courus de Paris, où le sentiment de happy few est très fort. »

La nouvelle dimension du PSG

430 millions d’euros pour le budget du PSG cette saison. Il était de 90 millions avant le rachat du club de la capitale par Qatar Sports Investments en juin 2011. Soit une augmentation de 344% en trois saisons.

393 millions d’euros de chiffre d’affaires réalisé par le club lors de la saison 2012-2013. Il a progressé de 80% en un an, à la faveur, surtout, d’un mégacontrat de sponsoring passé avec Qatar Tourism Authority.

13 salariés sont chargés au club de la commercialisation des loges pour les entreprises et des invitations à l’espace VIP. Ils sont 14 à s’occuper de la billetterie grand public. Un dress code a été instauré : veste, chemise et chaussures de ville sont obligatoires. En principe… Comme le constate un patron présent lors de PSG-Monaco, « ce n’était pas respecté par tout le monde ».

L’accès au salon accolé au Carré, où se tiennent les cocktails signés Lenôtre avant, après le match et à la mi-temps, a été restreint. Seuls quelques spectateurs triés sur le volet, issus des tribunes présidentielles alentour, ont le privilège de partager petits-fours et coupes de champagne avec les VIP du Carré. Témoignage de puissance et précieux sésame, un bracelet, dont la couleur change à chaque match, est remis à l’entrée à ceux-là. « Il est distribué bien moins généreusement qu’à l’époque de Colony Capital [ancien propriétaire du club. NDLR], où nous étions serrés les uns contre les autres dans le salon », poursuit notre ex-habitué.

D’autres loges très rentables

La nouvelle attractivité du PSG ne remplit pas que le Carré. Les 2850 sièges des « espaces d’hospitalité », c’est-à-dire les loges pour les entreprises, affichent complet. La gamme de produits a été étoffée, et la qualité revue à la hausse (les salons ont été refaits par les designers Nicolas Adnet et Patrick Jouin), ce qui a permis d’augmenter considérablement les prix depuis deux ans: le business seat va de 3.800 euros pour la saison dans l’Espace des capitaines à 12.100 euros au Club Etoile.

A titre de comparaison, la loge la plus coûteuse du nouveau stade Jean-Bouin, où jouent les rugbymen du Stade Français, est vendue 6160 euros. Les loges assureront au PSG une recette d’au moins 20 millions d’euros cette année, contre 7 millions avant l’arrivée des Qatariens. « Nous visons 35 millions en 2016″, annonce Frédéric Longuépée, le numéro trois du club. Les travaux de rénovation engagés au Parc feront passer le nombre d' »hospitalités » à 4.400. Soit 10% de la capacité du stade.

Placements stratégiques

« Nous sommes heureux du travail réalisé sur le Carré, se réjouit modestement Frédéric Longuépée, directeur général adjoint du PSG. Les mondes politique, économique et sportif s’y réunissent sans que nous ayons à faire de la prospection. Nous gérons la demande. » Ce qui nécessite de la diplomatie. Le placement des célébrités doit respecter une certaine hiérarchie – « prendre en compte la qualité de l’invité », dit Frédéric Longuépée – sans froisser les susceptibilités. Et ce n’est pas toujours gagné.

Le soir de PSG-Monaco, l’adjointe au maire de Paris, Anne Hidalgo, est ainsi assise à la hauteur de Nicolas Sarkozy. Sa rivale dans la course à l’Hôtel de Ville, Nathalie Kosciusko-Morizet, est renvoyée quatre rangs plus haut, derrière une barrière et les joueurs blessés du PSG. Cruel.

L’affaire est « éminemment stratégique », selon Alain Cayzac, qui a droit à son siège en tant qu’ancien président du club. Pour les Qatariens, le Parc est le meilleur endroit pour faire la connaissance des cercles de pouvoir français. Alors l’attribution des 200 places du Carré, naguère appelé Corbeille, est supervisée au plus haut niveau. « C’est regardé par la direction générale du club et l’actionnaire », confirme le directeur général adjoint.

Que se passe-t-il dans cet espace où règne l’entre-soi ? « En général, les gens échangent des banalités, mais parfois y sont évoqués des dossiers ou des affaires », témoigne Charles Villeneuve. « Le Carré est un tout petit milieu, très people mais aussi très business », raconte un dirigeant en vue dans le marketing sportif qui y va régulièrement.

Res relations publiques

Une cinquantaine de places sont réservées aux sponsors officiels du club – parmi lesquels Orange, Citroën, PMU, Nike, Emirates et Go Sport. Leurs dirigeants en profitent pour faire des opérations de relations publiques avec leurs clients et partenaires, mais pas seulement. « C’est un endroit extraordinaire pour rencontrer des gens issus d’univers différents, explique un autre habitué. L’ambiance est beaucoup moins formelle que dans les autres lieux de pouvoir : on vient pour le foot ! Et puis, à force de se voir tous les quinze jours pour les matchs, on finit par créer des liens sur lesquels on peut espérer capitaliser plus tard. » 

Avocats, banquiers et hommes d’affaires qui peuplent le Carré et les loges l’ont bien compris. C’est l’occasion de croiser les représentants des fonds d’investissement qatariens et des grandes entreprises liées à Doha – l’opérateur de télécoms Ooredoo, Qatar National Bank et BeIn Sport, la chaîne française d’Al-Jazira, sont sponsors du PSG. L’entregent de Nasser al-Khelaifi, flanqué de ses fidèles, Ahmed Bessedik et Youssef al-Obaidly, permet les rapprochements.

En surplomb de cette tribune VIP, comme un symbole, le jeune émir de Doha, cheikh Tamim, a d’ailleurs une loge privative, chauffée et vitrifiée, qu’il occupe pour les grosses affiches. « Les Qatariens se servent du spectacle pour continuer discrètement les conversations, pense Charles Villeneuve. Tout cela est inscrit dans une stratégie de soft power, dont le foot est l’un des relais. » Pour beaucoup, avoir sa place au Carré est un privilège. Pour Doha, c’est une bénédiction.


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