Bolloré/Fourtou : paix armée à la tête de Vivendi

C’est la paix armée à la tête de Vivendi. Mercredi 11 septembre, lors d’un conseil de surveillance exceptionnel, Vincent Bolloré a été intronisé vice-président du conseil de surveillance par Jean-René Fourtou. Les membres du conseil ont assisté un peu médusés aux démonstrations d’affection des deux amis de trente ans. Quelques jours plus tôt, le discours était pourtant violent.

« Ce petit putsch n’est pas possible », lançait le week-end précédent Vincent Bolloré à l’adresse de Jean-René Fourtou. Depuis qu’il est devenu le premier actionnaire de Vivendi, il y a un an, l’homme d’affaires breton s’était montré discret sur ses intentions. En quelques jours, il a décidé de passer à l’offensive et de s’opposer frontalement au président du conseil de surveillance du groupe. Point d’achoppement : la candidature de Thomas Rabe, patron de Bertelsmann, pour remplacer Jean-François Dubos – bientôt retraité – au poste de président du directoire. Jean-René Fourtou a tenu à ce que ce soit le seul nom proposé au vote du conseil de surveillance, fin septembre. Vincent Bolloré estime avoir été mis au pied du mur. Et, pour marquer le coup, s’est lui-même présenté au poste, provoquant le retrait immédiat des candidatures de Thomas Rabe et de Bertrand Meheut, président de Canal+.

La chasse pour le remplacement de Jean-François Dubos a été lancée au début de l’été par Jean-René Fourtou lui-même, et confiée au cabinet Russell Reynolds. Membre du comité de nomination de Vivendi, Vincent Bolloré a participé aux réunions en rongeant son frein : « Il ne disait pas un mot, il se contentait d’observer, tel un chasseur », commente un participant aux discussions. Il n’a pas accepté que la direction opérationnelle du groupe puisse être confiée à un manager allemand avec un profil financier et non industriel. Au-delà de ce choix, « c’est toute la gouvernance de Vivendi que Vincent trouve anormale, et donc temporaire », confie un de ses proches. Paradoxalement, l’accord du 11 septembre va faire durer cet organigramme. Jean-François Dubos reste à sa place et Jean-René Fourtou continue de maintenir l’incertitude sur son départ.

Succession floue

Quel est le calendrier de Jean-René Fourtou ? Cette question taraude Vincent Bolloré, qui estime avoir rempli sa part de l’accord conclu durant l’été 2011 : céder à Vivendi ses deux chaînes de la TNT, et monter au capital pour offrir une base stable – et française – à l’actionnariat de Vivendi. La reste du deal reste dans le flou. Bolloré devait prendre la suite de Fourtou, âgé de 74 ans, à la tête du conseil de surveillance. Le mandat de l’ancien PDG de Rhône-Poulenc court théoriquement jusqu’en mai 2016, mais Bolloré s’impatiente. Au sein du conseil, « même les plus amicaux sont obligés de dire à Jean-René qu’il doit prévoir un successeur », assure-t-on dans son entourage.

Rencentrage sur les contenus

Le patron breton répète à qui veut l’entendre qu’il n’a rien à redire sur la restructuration en cours : « Il fait le job. » En 2012, Vivendi avait décidé de se concentrer sur les contenus et de se séparer de ses filiales télécoms. Au siège de l’avenue de Friedland, les équipes se sont donc transformées en petite banque d’affaires, chargée de passer en revue et de valoriser les actifs du holding. Des opérations pilotées par le président du conseil de surveillance en personne. Sous sa houlette, le duo composé du placide Jean-François Dubos et du dynamique Philippe Capron, le directeur financier, a annoncé fin juillet qu’ils étaient sur le point de régler deux dossiers épineux : la cession de la filiale de jeux vidéo Activision Blizzard et celle de Maroc Telecom. De quoi réduire d’un coup la dette du conglomérat de 17,4 à 6,5 milliards d’euros. Malgré cet activisme, le cours de Bourse n’est pas encore remonté durablement au-dessus des 15 euros, son niveau d’il y a un an. L’occasion, pour Vincent Bolloré, de continuer à grimper au capital, confie-t-on de bonne source.

Attendue depuis des mois, la cession des 53% détenus dans Maroc Telecom pourrait être bouclée avant la fin de l’année. Le groupe français est entré en négociation exclusive avec l’opérateur émirien Etisalat, afin de céder sa participation pour 4,2 milliards d’euros. De source interne, on assure que la vente devrait aller à son terme, malgré les deux ou trois points diplomatiques à régler. Le royaume chérifien est en effet très concerné par l’avenir de son premier groupe de télécommunications. Mais les relations avec Abou Dhabi sont au beau fixe.

La reprise d’Activision Blizzard par son management se conclura plus vite encore. Elle rapportera 6,2 milliards d’euros à Vivendi, qui en conservera 12%. Cette vente peut paraître paradoxale, car le numéro un mondial des jeux vidéo est une société de contenus rentable. « En réalité, Activision est très vulnérable, explique un connaisseur du dossier. Il est contraint de réaliser un coup chaque automne, et se retrouve très dépendant des équipes de créatifs, courtisées de toutes parts. En outre, il n’est pas encore prêt pour les révolutions technologiques à venir dans le jeu vidéo. »

Le désengagement de l’opérateur brésilien GVT demeure en revanche au point mort. Il pâtit de la mauvaise conjoncture brésilienne et de son profil atypique, avec une présence dans la télévision.

Accord dévalorisant

Le cas de SFR est le plus complexe. C’est ce qui explique l’autre grande annonce du conseil de surveillance de Vivendi: « mettre à l’étude une scission du groupe », entraînant la séparation du deuxième opérateur français du reste du groupe. De quoi permettre d’abord de continuer la réorganisation de SFR sans handicaper le reste du conglomérat. L’hémorragie commerciale a été stoppée au prix d’une politique tarifaire agressive, qui a entraîné une chute de 17,4% des revenus dans le mobile. Destiné à compenser cette baisse de recettes, le plan de restructuration lancé l’an dernier « est légèrement en avance sur l’objectif, et permettra une économie de plus de 300 millions d’euros, soit 9% des coûts », a expliqué Sandrine Dufour, en charge des finances de l’opérateur, lors de la présentation des résultats semestriels.

Parallèlement, l’accord conclu avec Bouygues Telecom au cœur de l’été pour mettre en place un partage de réseaux est « enfin l’occasion de reprendre la main, ce qui n’était pas arrivé depuis un moment », dit-on chez l’opérateur. L’alliance a le mérite de gêner Free, qui a d’ailleurs bien l’intention de venir perturber les négociations. Mais elle ne fait pas forcément les affaires de Vincent Bolloré, qui redoute que cette mutualisation de réseaux ne déprécie la valeur de SFR. L’option la plus vraisemblable, confortée par l’idée de scission, est une mise en Bourse de SFR seul d’ici l’été prochain.

Quels investissements?

La réalisation de ces chantiers permet progressivement au management de Vivendi de redonner une marge de manœuvre financière au groupe. Mais comment l’utiliser ? « Le projet ne peut pas uniquement être de rétrécir Vivendi », explique un proche du groupe. « Le débat est aujourd’hui de savoir ce qu’on fait avec tout ce cash », souligne un autre. Cette deuxième phase est encore en gestation. Et Vincent Bolloré est décidé à jouer un rôle charnière dans les choix stratégiques à venir. Tout reste à écrire.

Symbole de la nouvelle orientation industrielle voulue par son premier actionnaire, Vivendi boucle le rachat d’EMI par Universal Music. Ce rapprochement en fera le leader mondial du secteur. Les investissements pourraient donc se concentrer sur Canal+. « Cela reste une machine fantastique, explique-t-on au siège. Et il y a aussi Studiocanal, qui a doublé de taille en quelques années et a une vocation beaucoup plus globale. »

Jean-René Fourtou vient de s’offrir un sursis pour jeter les bases de cette nouvelle ère de Vivendi. Mais il le fera sous la surveillance étroite de son allié breton.


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