Ces patrons qui craignent d’être virés par leurs actionnaires

Christophe de Margerie, le PDG de Total, est d’un naturel optimiste et chaleureux. Mais, ces temps derniers, il a le moral dans les chaussettes. Même avec près de 3 milliards d’euros de résultat net au premier trimestre, l’humeur grincheuse apparaît dès la première phrase de toute conversation: « C’est mon cours de Bourse », en retrait de 10 points sur l’évolution du STOXX Global Oil & Gas. Il le vit comme un boulet. Certes, Margerie ne se sent pas menacé, comme Denis Hennequin, le PDG d’Accor, abruptement remercié parce que ses actionnaires estimaient que la mise en place de la stratégie, donc le rebond boursier, n’était pas assez rapide. Mais le pétrolier s’inquiète de voir la part de son capital détenue dans des mains étrangères (près des trois quarts) progresser sans cesse. Car les actionnaires anglo-saxons sont impatients, relève Jean-Louis Chaussade, le patron de Suez Environnement: « Nous sommes épargnés, car nous avons gardé dans notre capital depuis notre entrée en Bourse en 2008, outre GDF Suez, une base de 300 000 actionnaires individuels français ou belges. »

Le vrai remède reste cependant un cours de Bourse qui reprend des couleurs. L’action Lafarge a ainsi progressé de 78% en 2012, cinq fois plus que le CAC 40 cette année-là. Et le PDG Bruno Lafont, longtemps critiqué, dort désormais mieux, comme ses actionnaires (GBL et la famille Nassef Sawiris). Revue de détail des patrons dont le sommeil est hanté par des cours boursiers déprimés… par ordre d’insomnie croissante.

GDF Suez

« Votre groupe est entièrement centré sur la création de valeur. » Cette petite phrase du PDG Gérard Mestrallet, prononcée à l assemblée générale de GDF Suez le 23 avril, a été reprise au bond par un petit actionnaire: « Depuis la malheureuse fusion entre GDF et Suez [en 2008], nos titres ont perdu 60 %. » Une descente aux enfers, certes, mais plus contenue, en tout cas depuis début 2011, que celle des autres grands de l’énergie comme EDF. Sans doute est-ce pour cela qu’Albert Frère, actionnaire de référence, maintient sa confiance à Mestrallet. Car GDF Suez traverse une crise systémique, en raison de sa forte exposition sur le gaz en Europe, au moment où le Vieux Continent se retrouve en surcapacités.

« Les centrales à gaz de GDF Suez tournent à 30 % de leur capacité en Europe, dit un analyste. Cela a un impact de 1 milliard d’euros sur l’Ebitda. » A cela vient s’ajouter la question du cadre réglementaire et fscal, qui varie au gré des humeurs des gouvernements.

Pour s’en sortir, Gérard Mestrallet investit dans les pays émergents et réduit ses engagements sur le Vieux Continent. Il reste que les exercices 2013 et 2014 vont être difficiles. GDF Suez espère un rebond en 2015. En attendant, la multinationale fait le gros dos en distribuant de généreux dividendes (1,50 euro par action). « Ce dividende n’est pas entièrement financé par le résultat net, note un analyste. Cette stratégie ne peut donc pas tenir très longtemps. »

Total

Comme son patron Christophe de Margerie, Patrick de La Chevardière, directeur financier de Total, vit les yeux rivés sur son écran Reuter. « L’an dernier, l’action a fait + 2 % par rapport aux autres majors, mais nous restons sous-valorisés », dit-il. Depuis 2011, en effet, c’est 10 points de moins… Pourquoi cette contre-performance? Par le passé, le français a manqué son objectif de production de 3 millions de barils/jour qu’il s’était assigné en 2007 (il en est à 2,3 millions aujourd’hui). Et il a subi la désaffection du marché pour les valeurs « euro ».

Total s’est pourtant montré plus audacieux en investissant dans une dizaine de pays et régions. « Mais le redressement ne se fait pas en un jour, dit Patrick de La Chevardière. D’autant que notre dynamique a été cassée par la fuite de gaz de la plateforme d’Elgin, en mer du Nord [en mars 2012]. Cela nous a coûté 4 milliards d’euros en Bourse. »

Total peut-il remonter la pente? Alexandre Andlauer, analyste à AlphaValue, note que la stratégie d’investissement de l’entreprise repose sur un prix du baril élevé. « Avec un brent à 85 dollars, nous voyons l’action autour de 33-34 euros [37,50 aujourd’hui]. » Un scénario que réfute La Chevardière. Pour le directeur financier, le retour en grâce de Total tient en trois mots: « Il faut délivrer. » C’est-à-dire augmenter la production de 2 à 3 % par an pour atteindre réellement 3 millions de barils/jour, cette fois en 2017.

Saint-Gobain

Encore un moment difficile pour Pierre-André de Chalendar, à la tête de Saint-Gobain depuis 2007: le 25 avril, il annonçait le recul de ses ventes de près de 5 % au premier trimestre. Et s’il continue de promettre que le point bas est proche, les investisseurs doutent. A l’instar de cet analyste d’une banque suisse, craintif: « Nous ne partageons pas l’optimisme du management. » Il garde en mémoire un avertissement sur ses résultats, qui a accentué la chute du cours de Bourse (16 points de moins que ses confrères européens depuis début 2011). Chalendar s’est un peu fouetté depuis. Un autre analyste s’en félicite: « Le management semble considérer une stratégie plus shareholder friendly. »

Voilà qui plaira à Wendel, entré au capital du géant français de l’habitat en 2007, autour de 80 euros l’action, son plus haut historique, contre 30 euros aujourd’hui. Si les relations se sont « apaisées » depuis lors, selon un ancien dirigeant de Wendel, le premier actionnaire de Saint-Gobain (17,3 %) a accueilli avec bonheur l’annonce de la vente de la branche américaine de Verallia pour 1,2 milliard d’euros, attendue depuis… cinq ans.

EDF

Le cours de Bourse n’est pas un sujet d’inquiétude pour Henri Proglio. « Le jour où le marché réalisera les vraies performances et les vraies perspectives du groupe, il se corrigera tout seul », dit à Challenges le PDG d’EDF. Pour l’instant, l’action affiche 16 points de retard en vingt-huit mois par rapport à ses pairs européens. Et a été divisée par cinq par rapport au sommet de fin 2007, quand EDF fut brièvement la première capitalisation du CAC 40.

La raison de cette dégringolade tient à la crise et au statut français de l’électricien, avec la présence de l’Etat au capital à hauteur de 85 %. « Les réductions de coûts et les ajustements de masse salariale sont plus difficiles à accomplir », note Matthieu Courtecuisse, président du cabinet Sia Conseil.

Pour le reste, les actionnaires sanctionnent le manque de visibilité du groupe sur le nucléaire avec, d’un côté, la fermeture annoncée de la centrale de Fessenheim, et, de l’autre, la question de la durée de vie des autres centrales, qui n’est pas tranchée.

France Télécom

Quand Stéphane Richard est nommé directeur général en mars 2010, le cours de Bourse de France Télécom atteignait 18 euros. Trois ans plus tard, il a perdu la moitié de sa valeur, l’une des pires contre-performances du secteur des télécoms. Jugé à cette seule aune, Stéphane Richard serait condamné. Risque-t-il d’être remplacé par Anne Lauvergeon, comme cela a été évoqué? Début janvier, Fleur Pellerin, ministre déléguée à l’Economie numérique, a mis fin aux rumeurs en martelant qu’il n’y « avait pas de plan ou d’agenda caché ».

Stéphane Richard sait que son meilleur atout reste d’inverser la tendance boursière. Il a donc pris son bâton de pèlerin pour convaincre les investisseurs. Il était au début d’avril à New York, juste après un road show à la City. Les analystes ont diversement reçu le message. Standard & Poor’s a dégradé France Télécom de A- à BBB+ le 22 avril. « Nous estimons que l’excédent brut d’exploitation de France Télécom déclinera en 2013 plus qu’attendu. » 

Même son de cloche chez Goldman Sachs, qui estime que les mesures prises par Stéphane Richard « ne seront pas suffisantes ». La publication des résultats trimestriels a pourtant été suivie d’un net rebond du cours, de 7%. « La donne est en train de changer, prédit un analyste. Stéphane Richard est celui qui a le mieux anticipé l’arrivée de Free. Il a limité la baisse de son résultat d’exploitation au-dessus de 30%. » Pas de changement radical de stratégie à attendre dans les prochains mois. Et, après avoir connu une période de doute, le PDG de France Télécom a annoncé qu’il serait candidat à sa propre succession en 2014.

Veolia Environnement

Avant l’annonce fracassante de la « démission » de Denis Hennequin du groupe Accor, c’est Antoine Frérot, à la tête du leader mondial de l’environnement, Veolia Environnement, qui tenait le rôle d’homme à abattre du CAC 40. Deux ans qu’il est sur la sellette, attaqué par un prédécesseur rancunier – Henri Proglio -, surveillé de près par un chasseur de têtes – Spencer Stuart – et des actionnaires – la famille Dassault, à 6 % du capital – impatients de sortir. Problème: le cours de Veolia plafonne à 10 euros depuis des mois, quand les Dassault, entrés à 18 euros en moyenne, exigent d’atteindre 15 euros.

Face à une telle chasse à l’homme, Antoine Frérot ne ménage pas ses efforts pour prouver ses mérites. Depuis les résultats catastrophiques enregistrés en 2011, cet homme, trop souvent qualifié de « mou », multiplie les signaux vis-à-vis de la Bourse: 5 milliards d’euros d’actifs cédés, fermeture de filiales dans des dizaines de pays, et réorganisation prochaine du management pour « casser » les baronnies et mener à bien le plan stratégique – enfin – défini. Mais la mesure qui a le plus séduit les analystes est sans doute la nomination d’un cost killer à ses côtés: François Bertreau, parti de Norbert Dentressangle, est même qualifié d' »homme de la situation » par les analystes de la Société générale. Pas très flatteur pour Antoine Frérot…


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