Comment (et pourquoi) Google aide les start-up françaises

Le buffet est américain: « mashed potatoes » au boeuf avec « gravy » (sauce) à volonté, Coca-Cola, salades et brownies. Le lieu est français: ce 20 octobre, nous sommes chez Numa, incubateur et accélérateur de start-up, rue du Caire, dans le centre de Paris.

Il n’est pas (encore) l’heure de déjeuner: dans une grande salle, des créateurs d’entreprise expérimentés, appelés les « mentors », expliquent à une trentaine d’entrepreneurs junior quelle est leur activité, et leur dispensent des conseils pour réussir.

Les uns et les autres ont été  invités par Google  dans le cadre du programme « Start up launch », qui a pour but de favoriser l’éclosion et le décollage des start-up.

Le « Google analytics » des fermiers brésiliens

Debout près d’une table haute, face à l’audience, un jeune entrepreneur brésilien explique par exemple en quoi sa jeune pousse est le « Google analytics » des fermiers du Brésil. Le « brief » est court, très court, mais son entreprise et le Brésil font rêver: l’assistance est subjuguée.

Dûment badgés, les futurs chefs d’entreprise prennent des notes. A l’heure du déjeuner,  Thibaud Hug de Larauze, un start-uper qui a créé « Backmarket », un site qui vend des PC reconditionnés, explique pourquoi il est venu: « c’est l’occasion de rencontrer des entrepreneurs qui ont connu exactement les mêmes problématiques que nous: leurs conseils peuvent être vraiment très utiles », dit-il en dégustant son café américain.

Soigner le « branding »

Nicolas Heft, lui, est venu chercher des conseils pour sa start-up, Roomister. Un bon point pour lui: son business-model est très simple à expliquer. « Il s’agit de créer le « Airbnb » des espaces de bureau, qui pourront ainsi être loués à l’heure quand ils sont libres ».

Discrètement assis dans un coin de la salle, Tariq Krim, fondateur de Netvibes et PDG de Jolicloud, fait partie des mentors les plus sollicités. « J’ai accepté l’invitation de Google de devenir mentor car la phase de démarrage des start-up est une problématique qui me passionne, explique-t-il: Je leur répète sans cesse trois conseils fondamentaux : d’abord, définir leur « mission », au sens fort du terme; ensuite, soigner le « branding » (image de marque NDLR) et la séduction. Enfin, faire très attention aux détails et à l’exécution: c’est là que tout se joue, en général. »

Discuter avec Vint Cerf ou Eric Schmidt…

Le « Start up launch » est loin d’être la seule initiative de Google en faveur des jeunes pousses: l’entreprise américaine est ainsi partenaire fondateur du Camping, un accélérateur de start-up, depuis sa première promotion en 2011. Google lui apporte environ 90.000 euros de bourses par an pour les start-up qu’elle « couve », et, surtout,  donne accès à des mentors de haute volée chez Google, comme Eric Schmidt, Vint Cerf, ou David Drummond, qui sont passés donner des masterclass au Camping lorsqu’ils venaient à Paris.

« Lorsqu’en 2013, Silicon Sentier a voulu s’agrandir pour devenir NUMA, nous avons encore été au rendez-vous, affirme un porte-parole de Google France. En tant que partenaires fondateurs, nous avons investi 1 million d’euros afin de les aider à développer le bâtiment et ses activité, et nous travaillons de près avec eux sur de nombreuses initiatives. » Un document produit par l’entreprise indique que, grâce à l’aide apportée par l’entreprise américaine, les start-up de Numa peuvent :

  • « utiliser gratuitement un studio vidéo avec équipement professionnel afin de communiquer avec leurs communautés ou pour se faire connaître sur YouTube (ou ailleurs 🙂 auprès du grand public ;
  • bénéficier d’échanges privilégiés en petit comité avec des experts de Google sur une grande variété de sujets – depuis le développement HTML5 jusqu’aux business plan, à la communication, etc.
  • tester leurs applications sur des terminaux Android en tous genres au sein d’un « devices lab » équipé de plus de 20 types d’appareils (d’autres viendront s’y ajouter au fil du temps). »

L’implication de l’entreprise californienne ne se limite pas à Numa : « nous faisons de notre mieux pour accompagner les acteurs qui, à Paris et ailleurs, font bouger les lignes pour les startups. Nous sommes ainsi partenaires récurrents de Startup Assembly, que nous avons soutenu dès sa première édition, de France Digitale, que nous soutenons financièrement et dont nous hébergeons régulièrement les événements, et du Web2Day de Nantes – le plus grand événement startups en France hors de Paris ! »

S’insérer dans l’écosystème des start-up

Pourquoi Google s’implique-t-elle autant dans l’écosystème des start-up françaises ? « Sergei Brin et Larry Page ont bénéficié de nombreux soutiens à la création de leur entreprise, poursuit le porte-parole: il s’agit pour eux de « give back », c’est-à-dire de rendre aujourd’hui l’aide reçue à l’époque ».

Une motivation qui tend à faire couler des larmes de joie et qui tend à renforcer la confiance dans la nature humaine, mais d’autres livrent des explications plus rationnelles : « Ils ont besoin de s’intégrer dans l’écosystème français, exactement comme Microsoft il y a 30 ans », explique Olivier Cimelière, auteur du blog « Le communiquant », où il a publié un billet sur les sociétés américaines qui cherchent à se « franciser », et lui-même ancien salarié de Google.

« A l’époque, poursuit-il, les équipes de Microsoft avaient débarqué en Europe avec leurs gros sabots de conquérants, en se disant qu’ils allaient « casser la baraque », et regardaient les start-up de haut. Ils ont dû changer d’attitude, car la greffe ne prenait pas: ils ont donc demandé à un Français, Julien Codorniou, de créer BizSpark, une plate-forme d’aide aux start-ups qui a tellement bien fonctionné qu’elle a été déployée à l’international, et Google s’est inspiré de cette attitude plus conciliante. »

Effectivement, Constance Parodi, à l’époque directrice de la communication corporate de Microsoft France, expliquait alors : « Nous souhaitions dépasser les polémiques du moment en donnant la parole et en confrontant les idées entre Microsoft et son environnement français sur les enjeux du numérique. »

Un autre expert, qui ne souhaite pas être cité, ajoute que ce système d’aides permet à Google d’identifier des produits ou services qui peuvent devenir à terme des blockbusters, et de contrebalancer l’image négative qui se dégage de polémiques liées à l’optimisation fiscale, à l’exploitation des données personnelles ou au caractère de plus en plus monopolistique du moteur de recherche en France et en Europe. »

De ces explications, les jeunes entrepreneurs de la rue du Caire n’ont cure: ils ont pu rencontrer des « huiles » de Google, discuter avec Tariq Krim, qui fait figure de « star » dans l’univers des start-uppers, et échanger des cartes de visite avec leurs pairs. Pour eux, « Big brother » signifie avant tout « Grand frère »…

 


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