Comment Wuhan a terrassé le coronavirus?

uhan. La crise sanitaire est passée. Au point qu’il est difficile d’imaginer, qu’il y a huit mois, cette mégapole de 11 millions d’habitants a vécu sous un régime très stricte de confinement. Un européen en visite dans cette ville chinoise serait surpris de constater que le masque n’est même plus obligatoire, que les discothèques sont bondées et les marchés noirs de monde … Depuis le mois de mai, aucune contamination au virus n’a été dénombré. Comment cette population aussi importante que l’agglomération parisienne a-t-elle terrassé le virus? Quelle a été la « méthode chinoise »? Faut-il croire les chiffres des autorités chinoises?  Pascal Crépey, enseignant-chercheur en épidémiologie et biostatistique à l’Ecole des Hautes Etudes en santé publique, à l’origine d’une étude sur le premier confinement en France, revient sur la crise sanitaire qui a démarré il y a près d’un an dans cette ville chinoise. 

Challenges- L’épidémie de Covid-19 est partie de Wuhan en Chine, avant de se propager à l’échelle internationale. Comment peut-on expliquer le contraste entre la situation européenne et chinoise? 

Pascal Crépey- Les mesures de contrôle de l’épidémie appliquées à Wuhan n’ont pas du tout été les mêmes que celles qui ont été appliquées dans le reste du monde. On peut effectivement se demander s’il aurait fallu appliquer des mesures similaires en Europe ou aux États-Unis, toutefois cela aurait-il été vraiment envisageable ? Le confinement tel qu’il a été organisé à Wuhan est totalement différent [Il était interdit pour la population de se rendre dehors, le ravitaillement en vivres était assuré en pied des habitations, NDLR] que ceux qui ont été réalisés en Europe, première et deuxième vague incluse. Il n’est absolument pas certain que la population aurait été capable de se plier à des mesures draconiennes pour une durée de temps aussi longue que celles vécues par la population de Wuhan.

On parle désormais de plus de 160 jours sans aucune contamination Covid-19 sur le territoire de Wuhan. Au début de l’épidémie les chiffres avaient été fortement biaisés notamment sur le nombre de morts, est-ce encore le cas aujourd’hui ?

Le biais de chiffres reste possible, il y aurait des raisons de croire que les chiffres ont été faussés. Dans le feu de la crise vécue à Wuhan, il n’était pas dans les priorités des autorités de faire des tests sur les personnes qui venaient de décéder : que se soit chez elles ou dans les couloirs des hôpitaux. Qu’il y ait eu une sous-estimation du nombre de morts et du nombre de cas dans un contexte de crise, de moyens dépassés, d’absence de tests, ce n’est pas vraiment très étonnant. Nous ne sommes pas forcément obligés d’expliquer ce biais par une manipulation des chiffres on peut simplement l’expliquer par un contexte de tension extrême sur les services hospitaliers et donc sur les moyens de surveillance épidémiologique.

On peut expliquer assez facilement la situation à Wuhan d’un point de vue strictement épidémiologique. A partir du moment où la dynamique de l’épidémie est cassée, et que le nombre de reproduction de l’épidémie est en dessous de 1 pendant une période suffisamment longue, il est logique et attendu que l’épidémie s’éteigne. Si l’épidémie s’éteint et qu’il n’y a plus de personnes porteuses du virus pour continuer de le transmettre, un redémarrage épidémique n’est possible que par le biais des importations de l’étranger. Or, ces importations sont plutôt bien contrôlées au niveau de la Chine.

Pour vous, le fait de vivre normalement ne peut pas être synonyme de recrudescence de cas de Covid-19?

S’il n’y a plus de circulation du virus dans la province et dans la ville, il n’y a pas de raison que les personnes s’infectent. En revanche, s’ils ne prennent pas de précautions vis-à-vis d’éventuelles importations venant de provinces ou de pays où le virus circule, à ce moment-là, ils risquent d’observer une nouvelle vague épidémique.

D’autre part, il faut également prendre en compte que la Chine vaccine désormais sa population. Même si toutes les caractéristiques de ce vaccin ne sont pas encore connues, notamment sur les données relatives à l’efficacité, cela pourrait expliquer le relatif « retour à la normale » de la ville de Wuhan. 

Quels seraient les points à retenir de la gestion de la crise à Wuhan, dont l’Europe pourrait s’inspirer ?

Rien qu’au niveau de l’Europe réaliser des comparaisons viables reste extrêmement difficile. Les mesures appliquées en Suède, en Espagne, en Allemagne, au Royaume-Uni ou en France présentent des limites si l’on souhaite les comparer. Vous vous imaginez bien que les relations que peuvent avoir les populations avec leurs gouvernants en Europe et en Chine sont bien différentes. Dans cette dernière, les populations sont bien plus habitués aux règles draconiennes. A partir du moment où les variables de l’équation ne sont pas les mêmes, c’est difficile de tirer des enseignements et de voir quels sont les éléments qui ont contribué au « succès » du contrôle de l’épidémie en Chine, pour éventuellement les reproduire en Europe.

Que pensez-vous de l’hypothèse qui réémerge à savoir que le coronavirus se serait échappé d’un laboratoire de virologie à Wuhan ?

Peu importe l’origine du Covid-19, qu’elle soit d’origine naturelle, accidentelle ou malveillante. Dans sa finalité, cela ne change pas grand-chose aux stratégies de lutte et de contrôle de l’épidémie. Ce sont des sujets qui peuvent être intéressants pour l’histoire ou la politique mais d’un point de vue strictement santé publique, l’urgence ne porte pas sur cet élément.

Je ne dis pas qu’il ne faut pas enquêter et essayer de comprendre comment le virus est apparu mais ce qui est certain c’est que quel que soit son mode d’apparition, il faut trouver les moyens les plus efficaces de lutter contre lui.  

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