Communication de crise: les conseils à donner au patron d’Air France

Que doit faire Alexandre de Juniac au Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI ce week-end?

La compagnie doit surtout faire de la pédagogie concernant son enjeu global au lieu de faire  un petit film envoyé partout dans le monde montrant des salariés heureux de travailler à Air France. 

Je suis partisan d’une journée de débats ouverts sur comment faire pour qu’Air France soit viable. Mais le niveau des rémunérations rend difficile ce genre de chose. Elles ne sont pas spécialement élevées par rapport aux Etats-Unis ou en Asie. Pourtant les rémunérations de certains dirigeants du groupe apparaissent comme intolérables dans le contexte économique et social français. Cette petite question-là empêche de faire une pédagogie complète. Si vous dites aux gens de travailler plus pour gagner moins, vous ne pouvez le dire que si votre rémunération apparaît raisonnable.

Il y a une inélasticité de la rémunération des dirigeants comparée à la performance de l’entreprise (retraite dorée ou chapeau). Comment voulez-vous parler de salaires ? Normalement c’est le résultat qui est récompensé, pas le fait d’arriver à un poste. Si vous voulez entraîner le corps social, vous devez vous montrer exemplaire en tant que leader. Quand vous demandez des efforts aux gens, il faut que vous soyez concernés aussi.

La stratégie de crise d’Air France a-t-elle jusque-là fonctionné?

Je ne trouve pas. La communication d’Air France sur son défi stratégique central n’a jamais été efficace. Les gens ont été très frappés par la chemise blanche et l’agression des dirigeants. La communication d’Air France est peu pédagogique. Elle manque de franchise et de courage nécessaire pour mettre les choses sur la table. Elle se retrouve piégé au maximum car le politique ne veut pas de grosses crises dans le contexte actuel et le gouvernement veut une issue rapide des négociations. Les syndicats dont le SNPL ressortent en situation de force.

Comment est né cette crise?

Cette crise provient de la mondialisation et les nouvelles technologies qui transforment les activités de tout le monde. Il n’y a pas de honte à cela. Quand vous êtes une compagnie aérienne occidentale, que vous connaissez d’importants bouleversements ces dernières années face à des compagnies étrangères avec des coûts salariaux biens moins élevés avec des capitaux plus importants, l’enjeu est de faire comprendre la nécessité de cette transformation. Alors pourquoi Air France n’y arrive pas? Les dirigeants de l’entreprise ont eu peur de dire que le monde nouveau devrait contraindre le fonctionnement de la société à évoluer. Soit on s’adapte, soit on disparaît. Faute d’avoir fait ce travail pédagogique, forcément on connaît des crises. Le SNPL a lui au contraire parfaitement su gérer sa communication. Cela fait plusieurs années que le SNPL fait très attention avec des conseils en communication, du média training pour des dirigeants. Chacun espère sauver sa barque.

La direction est victime de sa non transparence antérieure: elle dit que s’il n’y a pas effort du SNPL, il y aura des conséquences sur l’ensemble des salariés. Le SNPL a dit qu’il fallait tout revoir, tout renégocier. Il s’est présenté en défenseur de l’ensemble des salariés de manière intelligente. Chacun sait qu’il y a pourtant une vraie fracture entre les personnels au sol et les navigants. Ceux qui ont toujours bloqué les efforts et qui n’ont pas respecté leurs engagements sont historiquement le SNPL (le SNPL a été condamné par le TGI de Bobigny ce vendredi 16 octobre à appliquer pleinement le précédent plan de restructuration).

L’Etat a également un rôle non négligeable dans cette crise. S’il n’avait pas été actionnaire de l’entreprise, le gouvernement aurait attaqué les patrons qui ne font assez de dialogue social, n’entraînent pas assez les troupes dans la compréhension des enjeux. Manque de chance, l’Etat est responsable chez Air France d’avoir laissé des dirigeants endormir les dossiers et de ne pas avoir affronter les enjeux.

Cette crise d’Air France n’est-elle pas symbolique?

Oui totalement. Nous avons un effort colossal à réaliser en faveur des entreprises sinon elles vont s’éteindre. Il y a une dyschronie entre la population qui ressent tout cela, et une élite qui demande à la celle-ci de faire des efforts alors qu’ils n’en font pas.

L’intérêt maximum de cette crise d’Air France est qu’elle figure le défi du pays: des mutations et des réformes profondes à faire avec des dirigeants d’entreprises et des hommes politiques disent qu’il faut le faire avec un déficit d’exemplarité et de pédagogie. Sauf que la pédagogie demande du courage.

Enfin il y a une incohérence total de l’Etat. Quand vous ouvrez des créneaux dans les aéroports nationaux pour des compagnies étrangères alors que leurs pays d’origine n’en ouvrent pas à dûe proportion, l’Etat se comporte en meurtrier inconséquent qui va chercher de l’argent à court-terme y compris contre ses intérêts de long terme. C’est un condensé du drame français. 

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