Dassault Systèmes décolle dans les sciences de la vie

Recruter 30 000 patients en un temps record, dans un monde où plus personne n’a le droit de se croiser. Depuis la mi-juillet, c’est le défi relevé par Dassault Systèmes, qui épaule l’américain Moderna pour les essais cliniques de son futur vaccin anti-Covid. La biotech s’appuie sur la plateforme Rave Clinical Cloud, conçue par Medidata, filiale du groupe français, experte en « virtualisation » des études cliniques. Cette solution assure le suivi des recrutements et la capture de données effectuée directement par le patient chez lui, voire parfois depuis son smartphone. L’idéal pour limiter la taille des cohortes, les allers-retours dans les centres médicaux… et la propagation du virus. « Les contacts sont minimes et toutes les informations vérifiées en temps réel, détaille Claire Biot, vice-présidente en charge de l’industrie des sciences de la vie de Dassault Systèmes. La moindre erreur de saisie, d’une température ou autre, est aussitôt repérée et rectifiée. » Efficace et capital dans cette course contre la montre pour enrayer la pandémie.

Un virage historique

Moderna n’est pas le seul client de Dassault Systèmes : 60 % des essais en cours autour du Covid-19 sont réalisés sur la plateforme de Medidata. « Ils sont quasi-incontournables », reconnaît un ponte d’un grand laboratoire. De quoi définitivement valider la stratégie du pape français des logiciels industriels 3D et de son directeur général, Bernard Charlès, à la barre depuis vingt-cinq ans : faire de la santé son troisième métier, après les transports et l’industrie. Et même, à terme, son deuxième marché côté recettes. Un virage amorcé dès 2010, avec des projets de recherche dans le public et privé, dans le cancer notamment, suivi du rachat en 2014 d’Accelerys (modélisation moléculaire pour la chimie et la pharmacie). Mi-2019, le tempo s’est accéléré avec la reprise de Medidata. Dassault Systèmes a dégainé 5,8 milliards de dollars pour s’offrir cette star des logiciels pour les essais cliniques – 38 fois son résultat d’exploitation d’alors, selon Invest Securities. La plus grosse acquisition de son histoire.

Avec Medidata, Dassault Systèmes change de braquet dans la santé. « Dans leur panoplie de logiciels et de compétences, il leur manquait les essais cliniques. Medidata comble ce trou » , note Christophe Pouchoy, expert du secteur. Claire Biot complète : « Aujourd’hui, on est présent sur toute la chaîne, de la recherche de médicaments candidats jusqu’à la modélisation ou la simulation pour accélérer leur fabrication, en passant par l’ordonnancement des chaînes de production et le contrôle qualité en temps réel. » Un gain de temps – et d’argent – précieux dans une industrie ultra-gourmande en capitaux, et où la probabilité de passer de la phase d’étude clinique d’un produit ou d’un traitement à sa commercialisation n’est que de 10 %.

De la Big Pharma aux start-up

Christophe Pouchoy poursuit : « Ils ont tout compris, bien avant d’autres, la digitalisation à marche forcée de la santé et le potentiel de ce marché. » Aux côtés de grands noms comme Oracle, IBM ou Veeva, Medidata est un ténor des essais cliniques – un segment estimé à 4 milliards lors du rachat. Quant à celui, plus global, des thérapies digitales (digi therapeutics), il devrait peser 14 milliards en 2027, selon le cabinet Allied Market Research. Cinq fois plus qu’en 2019. Un marché qui va des molécules aux dispositifs médicaux, qui fournit la Big Pharma comme les start-up. Les Gafa ne s’y sont pas trompés : l’an dernier, Verily, filiale d’Alphabet (Google) a noué des accords dans les essais cliniques avec Pfizer, Novartis, Sanofi… La Big Pharma tente aussi de rattraper son retard : en 2018, Roche a racheté l’américain Flatiron, expert du data mining dans le cancer, quand Novartis se dotait de sa Sense Tower, tour de contrôle de ses 500 essais cliniques en cours.

La crise sanitaire permet à Dassault Systèmes de montrer les muscles. Au-delà des études cliniques, il a travaillé sur la modélisation de flux d’air contaminé pour faciliter l’aménagement et la circulation des malades dans les hôpitaux, comme en Moselle, à l’hôpital Saint-François de Marange-Silvange. Le chinois Aden a aussi utilisé ses logiciels pour construire en urgence un hôpital à Wuhan. Sa communauté Open Covid-19, réunissant ingénieurs, fabricants, designers et scientifiques a planché sur des simulations d’éternuements humains pour faciliter la mise au point d’équipements de protection individuelle et de ventilateurs pour les hôpitaux. Le groupe a aussi contribué à moult plateformes de traçage et collecte de données, dont l’appli StopCovid (devenue TousAntiCovid).

Une diversification opportune

« Dans la santé, Dassault Systèmes est l’un des seuls à avoir une offre aussi large. De quoi l’aider à relever un défi majeur du secteur : l’interopérabilité des logiciels, permettant le transfert sûr et rapide des données entre les outils et les étapes, analyse Christophe Pouchoy. Une offre qui sert aussi unautre défi majeur, le cross sel-ling – la vente à un client intéressé par un produit plein de produits complémentaires. » Les sciences de la vie représentent aujourd’hui 20 % des ventes et effectifs du groupe (4 000 personnes). Cela a permis d’embaucher de nouveaux profils (chirurgiens, docteurs en pharmacie…) et d’incuber une flopée de start-up. « Cette diversification dans un secteur solide tombe à pic, versus l’aéronautique ou l’automobile en difficulté, dit Hélène Coumes, spécialiste de la valeur à Alphavalue. Il y aura probablement d’autres opérations de taille plus réduite dans la santé. » Lors du rachat de Medidata, dont les revenus sont d’abord générés par abonnement, Dassault Systèmes lui prédisait un taux de croissance annuel du chiffre d’affaires compris entre 13 et 15 %, jusqu’en 2023, assorti de 2 points de hausse de marge opérationnelle chaque année. De quoi garder la forme.

SECTEUR EN GRANDE FORME

14 milliards de dollars pour les thérapies digitales en 2027 (2,8 aujourd’hui).

4 milliards pour les essais cliniques en 2019.

13 des 15 médicaments les plus vendus dans le monde reposaient, en 2018, sur la technologie de Medidata (filiale de Dassault Systèmes).

SOURCES : SOCIÉTÉ, ALLIED MARKET RESEARCH.

Le rêve d’un double digital humain

Créer un jumeau numérique du corps humain. C’est le nouveau graal de Dassault Systèmes depuis son incursion dans les sciences de la vie. « Après les choses, le vivant » , a ainsi professé Bernard Charlès, son directeur général, lors de la présentation des résultats du groupe début février. Comme il l’a fait il y a trente ans, en créant le premier digital twin du Boeing 777, l’éditeur de logiciels rêve de réaliser un double digital de l’homme, qui permettrait à la médecine de modéliser, explorer et tester le corps humain comme d’autres industriels le font avec les bâtiments, les avions ou les voitures. Un outil qui permettrait à un chirurgien de mieux préparer une opération ou à un laboratoire de mesurer à moindre risque l’efficacité et les effets d’un médicament. En matière de digital twins , Dassault Systèmes s’appuie depuis 2012 sur sa plateforme de conception 3DExpérience et avance, brique par brique, dans le corps humain. Dans le cadre d’un consortium lancé en 2014, réunissant chercheurs, cardiologues, chirurgiens et fabricants, il a déjà élaboré un cœur digital 3D, approuvé par la FDA, utilisé pour le diagnostic et le traitement de maladies cardiovasculaires. Il travaille aujourd’hui sur un jumeau numérique du cerveau.

Ses équipes ont aussi travaillé surla modélisation de flux d\'air contaminé pour faciliter l\'aménagement et la circulation des malades à l\'hôpital, comme dans celui de Saint-François de Marange-Silvange (Moselle).

Ses équipes ont aussi travaillé surla modélisation de flux d’air contaminé pour faciliter l’aménagement et la circulation des malades à l’hôpital, comme dans celui de Saint-François de Marange-Silvange (Moselle).

(Photos : SP)

Après un cœur digital 3D, approuvé par la FDA, Dassault Sytèmes travaille à un jumeau numérique ducerveau. Avec en ligne de mire l\'ambition de reproduire tout le corps humain.

Après un cœur digital 3D, approuvé par la FDA, Dassault Sytèmes travaille à un jumeau numérique ducerveau. Avec en ligne de mire l’ambition de reproduire tout le corps humain.

(C. Consolini/Hans Lucas/AFP)

Le groupe a également contribué à des plateformes de traçage et collecte de données, dont l\'appliTousAntiCovid.

Le groupe a également contribué à des plateformes de traçage et collecte de données, dont l’appliTousAntiCovid.

(C. Consolini/Hans Lucas/AFP)

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