DSK  au sein de la banque de Rosneft, face à FMI et BCE, le gaz de Chypre en ligne de mire ?

Mine de rien, Dominique Strauss-Kahn vient de re-trouver un rôle on ne peut plus stratégique sur l’échiquier énergétique – mais également financier – mondial.
Certes, si l’on vous dit que DSK va rentrer au conseil de surveillance de la Banque russe de développement des régions (BRDR), une institution financière contrôlée par le géant russe du pétrole Rosneft, cela ne pourrait que très faiblement vous émouvoir. Et pourtant … une forte odeur de pétrole et de gaz devrait vous donner quelques « indices » …

Si l’on rajoute en effet que le géant gazier russe Rosneft est au cœur du véritable combat que mènent la Russie d’un côté et Union Européenne et USA de l’autre en vue d’obtenir auprès de Chypre des licences d’exploration et d’exploitation dans les champs gaziers offshore de Tamar et de Leviathan – au demeurant fort prometteurs – les choses se précisent.

D’autant plus que les deux parties – la Russie confrontée à la troïka via l’intermédiaire de la BCE – semblent vouloir monnayer l’octroi d’un prêt salvateur  à Chypre … en l’échange de ces licences. Il est donc loin d’être anodin que DSK rentre au sein d’une institution financière chapeautée par un géant gazier russe. Les sommes avancées par une simili « Rosneft Bank » pouvant être accordées en échange d’accès à des ressources énergétiques fort prometteuses. Ressources dont la Russie souhaite contrôler d’une manière ou d’une autre contrôler le volume d’exportations pour éviter qu’elles ne réduisent sa part de marché au niveau des approvisionnements mondiaux. 

Alors reprenons, point par point.

 – DSK au sein de la BRDR recomposée après le départ d’anciens dirigeants de Morgan Stanley

L’ancien patron du FMI fait désormais partie de la nouvelle composition de la BRDR, remaniée à la suite d’un changement de stratégie décidé par Rosneft, nous dit-on. DSK y figure en tant que représentant de la firme de conseil Parnasse.
Si en novembre dernier, le géant pétrolier russe, qui détient 85% de la BRDR, avait indiqué vouloir transformer l’établissement en une « Rosneft Bank » afin de financer ses projets internationaux, il a a toutefois renoncé à cette idée mi-juillet.

A l’automne dernier, Rosneft avait engagé trois cadres dirigeants de la banque d’affaires Morgan Stanley: Rair Simonian, Elena Titova et Walid Chammah, tous les trois intégrant alors le conseil de surveillance de la BRDR. Mais ces derniers ont décidé de  démissionner de cette instance, à moins qu’on leur ait suggéré …
Elena Titova a également quitté son poste de présidente de la banque, remplacée par Dina Malikova, jusqu’alors vice-présidente.

 – Quand Rosneft rapatriait des actifs de Chypre

En mars 2013, le groupe public Rosneft  avait indiqué qu’il allait rapatrier de plusieurs zones du monde réputées pour leur régime fiscal favorable des actifs hérités de l’acquisition de son concurrent TNK-BP. Parmi les pays concernés, Chypre figurait alors en bonne position.
Interrogé sur la situation de l’île chypriote, Igor Setchine, le Président de Rosneft avait annoncé que sa société allait réenregistrer en Russie tous ses actifs « compte tenu des risques dans les zones offshore ».
De telles mesures se traduiront toutefois par une augmentation des impôts payés par Rosneft sur le territoire russe, avait tenu par ailleurs à préciser Igor Setchine. Laissant ainsi entendre qu’à toute chose malheur est bon …
Cette déclaration intervenait notamment alors que le géant pétrolier russe venait de finaliser l’acquisition du TNK-BP, dont certains actifs étaient enregistrés à Chypre et dans les Caraïbes … faisant ainsi de Rosneft le plus grand producteur de brut mondial coté en Bourse, au grand dam de ses concurrents tels que l’américain ExxonMobil (2,3 mln b/j) ou le chinois Petrochina (2,4 mln b/j), lesquels passent désormais à la seconde et troisième place.
Rappelons que de nombreuses sociétés russes sont enregistrées à Chypre en raison de son régime fiscal favorable.

– Le gaz de Tamar et Leviathan : un enjeu stratégique pour Chypre, Israël … Etats-Unis et Russie

Rappelons qu’en  décembre 2010 un accord a été signé entre Israël et Chypre en vue de faciliter et de poursuivre les recherches off-shore d’hydrocarbures – de part et d’autre – dans la partie orientale de la Méditerranée … de gigantesques réserves de gaz ayant été alors découvertes dans la zone. Désormais, selon les contrôles de la commission gouvernementale israélienne mise en place pour gérer un fonds d’exploitation des ventes, les recettes prévues des gisements « Léviathan », « Tamar » et « Dalit » se monteraient à 100 voire à 130 milliards de dollars jusqu’en 2040.
Le groupe américain Noble Energy, alors principal opérateur du site indiquait alors pour sa part que  les réserves du gisement offshore de gaz naturel au large d’Israël baptisé Léviathan  étaient estimées à 450 milliards de m3.

« Cette découverte fait potentiellement d’Israël un pays exportateur de gaz naturel », avait alors souligné David Stover, haut dirigeant de Noble Energy, société basé à Houston, Texas. Confirmant ainsi les propos du le ministre israélien des Infrastructures nationales Uzi Landau. Lequel avait affirmé qu’ Israël pourrait devenir un exportateur de gaz … vers l’Europe … au grand dam de la Russie.  « Nous sommes d’ailleurs prêts à collaborer à un tel projet avec des investisseurs étrangers, mais aussi avec la Grèce et Chypre« , avait-t-il même précisé.

 – Chypre / Russie : prêt bancaire salvateur contre licences pour Tamar et Leviathan ?

Simple coïncidence ? Alors que les immenses champs gaziers au large de Chypre – tels que Leviathan –  suscitent d’âpres convoitises, rappelons qu’en juillet 2012, Erato Kozakou-Marcoullis, alors ministre chypriote des affaires étrangères, affirmait que – parmi 27 compagnies – les deux géants gaziers russes Novatec et Gazprom avaient exprimé leurs intérêts vis à vis des 13 sites d’extraction offshores au large de l’île.
« Expression d’intérêts » suivant de peu une information selon laquelle Nicosie était en attente de l’acceptation par Moscou d’un prêt de 5 milliards d’euros … Alors même que le président chypriote d’alors, Demetris Christofias, réputé «proche» du gouvernement Poutine avait jusque là laissé entendre que l’attribution de ce prêt «n’imposait aucune condition» et offrait «un meilleur taux d’intérêt» que l’offre européenne.

 – Quand Chypre négocie avec FMI et BCE … et retoque la Russie sur le gaz

A la mi-décembre 2012, alors même que nous laissions entendre ici-même que les licences d’exploitation de l’immense champ gazier de Leviathan au large de Chypre pourraient être « monnayées » d’une certaine manière via la notation de la dette souveraine du pays et l’accord d’un prêt de la Banque centrale européenne et du FMI, le gouvernement chypriote avait annoncé avoir mis fin aux négociations en cours avec un consortium franco-russe – alliant la branche ENP de Total et le russe Novatec – lequel s’était vu attribuer une licence d’exploration de gaz dans ses eaux territoriales en octobre 2012.

Une annonce qui intervenait quelques jours après qu’un responsable gouvernemental chypriote ait indiqué que Chypre risquait de ne pas pouvoir rembourser des prêts dus en décembre ni verser les salaires des fonctionnaires en l’absence d’un accord rapide avec la troïka formée par l’Union européenne (UE), la Banque Centrale Européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) sur un plan de sauvetage.

« Le gouvernement a décidé de mettre fin aux négociations directes car elles se sont avérées insatisfaisantes », avait ajouté le porte-parole du gouvernement chypriote, sans fournir de plus amples détails. Ajoutant toutefois que les autorités allaient désormais négocier l’attribution du bloc 9 avec un consortium établi entre le groupe pétrolier italien ENI et le sud-Coréen Kogas. Ce qui est désormais chose faite depuis janvier 2013. La compagnie française Total demeurant quant à elle toujours dans la course en ce qui concerne l’exploitation du bloc 11. Le gouvernement ayant parallèlement décidé de négocier avec elle l’attribution du bloc 10.

 – Vers un participation accrue de la Russie dans la Banque (nationale) de Chypre ?

Lundi 18 mars le ministre chypriote des Finances, Michalis Sarris, s’est rendu à Moscou en vue de discuter de la possibilité d’allouer un crédit à la nation chypriote voire même d’étendre de 2,5 milliards d’euros les sommes empruntées tout en traitant d’une éventuelle réduction des intérêts de ce prêt. Autres scenarii à l’étude : une participation accrue de la Russie dans la Banque (nationale) de Chypre ainsi que la participation d’investisseurs russes dans la Banque populaire de Chypre.
Certes, le géant gazier russe Gazprom démentait parallèlement avoir proposé un soutien financier aux banques chypriotes de permis de prospection dans la zone économique exclusive du pays.
Une déclaration faisant suite aux allégations de la chaîne chypriote Sigma TV laissant entendre que le groupe russe avait émis de telles propositions. Selon elle, des représentants de la partie russe auraient adressé une lettre au président chypriote Nicos Anastasiadis dans ce sens, l’opération permettant à Nicosie le cas échéant de ne pas se soumettre aux conditions drastiques imposées par ses créanciers internationaux que sont le FMI et l’Union européenne.

– Le lobby bancaire US s’attend à ce que Chypre demande des prêts supplémentaires

Précisons enfin que  dans un rapport publié à la mi-mars, l’Institut de la finance internationale, lobby bancaire très influent, basé à Washington,  avait indiqué que les pertes très importantes que devront supporter les déposants et les impacts du plan sur le secteur financier chypriote pourraient conduire à une récession de près de 20% entre 2013 et 2015.
Le lobby bancaire considérant également qu’un nouveau plan d’aide pourrait à terme s’avérer nécessaire, obligeant Chypre à recourir à de nouveaux prêts …. et à se tourner vers le lobby bancaire US et notamment Goldman Sachs ? Allez savoir …
L’IIF avait par ailleurs indiqué que les créanciers de la troïka seraient bientôt les principaux détenteurs de la dette chypriote, une position leur garantissant un statut préférentiel en cas de faillite … et qui devrait – selon lui – limiter le nombre d’investisseurs disposés à acquérir de la dette chypriote.
Une manière comme une autre d’attirer la nouvelle brebis galeuse de l’Union européenne vers les banquiers US, tout en tentant de restreindre l’étendu d’éventuelles propositions (voire des prêts ? ) que la Russie pourrait être tentée d’offrir en échanges de licences d’explorations d’hydrocarbures du gisement fort prometteur de Leviathan, située en off-shore au large de l’île chypriote, indiquions-nous d’ores et déjà. Rappelant que d’importants majors pétrolières et non des moindres – telles que ExxonMobil, ConocoPhillips et Chevron – sont également engagées dans la « bataille ».

 – DSK : un ancien du FMI pour contrer troïka  et Etats-Unis ?

De là à ce que la Russie et qui plus est Rosneft ait choisi expressément DSK pour affronter BCE et FMI, en tant que fin connaisseur des arcanes du milieu, il n’y a qu’un pas …
D’autant plus que l’ancien patron du FMI est proche d’Israël, pays partenaire de Chypre au sein de l’accord conclu en décembre 2010 pour délimiter leurs zones économiques exclusives voisines afin de faciliter la prospection.
L’ancien patron du FMI pourrait avoir également quelques comptes à régler, alors que – ne l’oublions pas – sa chute est intervenue le 16 mai 2011, soit le jour même où le déficit US atteignait un seuil pour le moins stratégique.
Car l’affaire DSK aura tout de même eu du bon pour les Etats-Unis : cacher la dette abyssale du pays que le monde de la finance ne saurait voir … en plombant l’euro au passage.
Alors que le monde entier avait les yeux rivés sur Dominique Strauss-Khan, le Trésor américain avait annoncé la mise en oeuvre de nouvelles mesures financières d’urgence. Objectif : permettre à l’Etat fédéral américain au bord du gouffre de continuer de fonctionner,  la limite légale de la dette publique devant être atteinte dans la journée. Obama ne remerciera jamais assez Strauss-Khan pour son soutien politique bien involontaire ….
Dans une lettre adressée au chef de la majorité démocrate au Sénat, Harry Reid et aux principaux dirigeants du Congrès, le secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, avait ainsi indiqué que le ministère allait cesser temporairement d’alimenter les caisses de retraites de fonctionnaires des sommes dont il est redevable.
Selon le Trésor, cette stratégie financière devait permettre de dégager une marge de 224 milliards de dollars. Mesures qui devraient permettre à l’Etat de poursuivre ses émissions de titres de dette jusqu’au 2 août 2011, conformément au calendrier prévu et sans augmenter son endettement net.
Mais le bord du gouffre n’était pas loin : au-delà du 2 août 2011, l’Etat américain n’aurait plus fonctionné en l’absence de relèvement du plafond de la dette. Se retrouvant alors en situation de défaut de paiement sur certaines de ses obligations, ce qui aurait eu « des conséquences économiques catastrophiques », soulignait alors Timothy Geithner.

 – Quand DSK voulait s’affranchir du dollar

Rappelons enfin qu’en février 2010, Dominique Strauss-Kahn, alors directeur général du Fonds monétaire international, avait indiqué qu’il envisageait la création à long terme d’un nouvel actif de réserve mondial, différent des Droits de tirage spéciaux. Le FMI renouvelant alors son intention de tenter de s’affranchir du dollar et de ses « faiblesses », alors que la valeur des DTS, l’unité de compte du FMI , est déterminée chaque jour par un panier composé des quatre grandes monnaies de réserve internationales (dollar, euro, yen, livre).

Cette annonce de DSK avait de quoi inquiéter Washington, d’autant plus qu’elle intervenait alors que le patron du Fonds Monétaire venait d’affirmer son intention de nommer comme « conseiller spécial » le vice-président de la banque centrale chinoise , Zhu Min .

Déjà, en janvier 2010, le directeur général du Fonds monétaire international avait affirmé qu’il n’était pas impossible à long terme d’avoir un système monétaire international où le dollar domine moins. De multiples devises de réserve pouvant parallèlement voir le jour.
Des propos loin d’être totalement innocents qui ont pu attirer les foudres des Etats-Unis sur DSK. Un éventuel affranchissement du Dieu dollar pouvant sérieusement déranger outre-Atlantique …
En mars 2009, déjà, Pékin avait proposé de donner aux DTS un rôle accru au sein du système monétaire international, jugeant ce dernier trop centré sur le dollar. Quelques jours avant la réunion du G20, Zhou Xiaochuan, le gouverneur de la Banque Centrale de Chine avait ainsi publié un essai dans lequel il accusait indirectement les Etats-Unis d’être responsables de la propagation de la crise à l’échelle mondiale; pointant du doigt les méfaits du dollar et réclamant l’adoption d’une nouvelle monnaie de réserve internationale pour remplacer le billet vert et l’instauration d’un système placé sous les auspices du Fonds monétaire international (FMI).

Sources : AFP, Ria Novosti, La Voix de la Russie, Europolitique

Elisabeth Studer – www.leblogfinance.com  – 04 aout 2013


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