Est-on plus heureux quand on s’expatrie ?

Que ce soit à cause de la morosité ambiante ou pour saisir de nouvelles opportunités, certains Français ont des envies d’ailleurs. Ne dit-on pas que l’herbe est toujours plus verte ailleurs? Pourtant, partir d’un pays pour s’installer à l’étranger, cela n’a rien d’anodin et tout le monde ne le vit pas forcément très bien.

D’ailleurs, quelle destination privilégier ? Challenges.fr fait le point avec Mickaël Mangot, enseignant à l’ESSEC et consultant en économie comportementale et économie du bonheur. Il vient de publier « Heureux comme Crésus ? Leçons inattendues d’économie du bonheur » aux éditions Eyrolles.

Lorsqu’on part vivre à l’étranger, quel est l’impact de ce changement de vie sur notre bonheur ?

Il n’existe pas d’études de panel qui suivent sur la durée le bonheur d’expatriés, avant et après leur départ. En revanche, ce que montrent les études académiques de manière unanime, c’est que les expatriés sont moins heureux que les autochtones du pays d’accueil, après contrôle par les différentes caractéristiques observables, et ce quel que soit le pays qui est étudié[i]. Le déficit de bonheur de ceux qui deviennent des immigrés se transmet à leurs enfants si bien que l’écart ne se réduit pas chez les immigrés de deuxième génération.

Comment expliquer qu’on soit souvent déçu?

Différentes raisons à ce mal-être des immigrés ont été avancées et validées par les sociologues : à niveau de vie identique, les immigrés sont victimes de discriminations, ont des relations sociales moins nombreuses et moins satisfaisantes[ii] que les autochtones et éprouvent souvent une certaine nostalgie de leur pays d’origine.

Une autre explication est fournie par les économistes. Ayant souvent migré pour améliorer leur situation financière, les immigrés se montrent à l’arrivée moins satisfaits de leur situation financière que les autochtones à situation financière identique. Sur place, les revenus vont influencer la satisfaction de la vie d’une manière plus prononcée chez les immigrés. Fort logiquement, il y a comme une hypersensibilité aux revenus lorsque l’on a effectué une migration dont la motivation était au moins en partie économique.

Quels facteurs économiques faut-il regarder avant de choisir son pays d’accueil ? 

Il faut regarder le salaire mais également la situation sociale que l’on obtiendra sur place. Comme tout le monde, les expatriés jaugent leur situation personnelle à l’aune de points de référence. Seulement, du fait de leurs trajectoires personnelles, les leurs sont mixtes, incorporant les standards de leur pays d’origine et ceux de leur pays d’adoption[iii]. Ce simple constat permet d’expliquer le déficit de bonheur des expatriés dans les différentes configurations. 

C’est-à-dire ?

En migrant vers des pays plus riches, les expatriés peuvent se retrouver à gagner davantage en revenus absolus que s’ils étaient restés dans leur pays d’origine et simultanément occuper un niveau plus bas de la pyramide sociale. Cela peut être le cas, par exemple, s’ils ne trouvent pas un emploi à hauteur de leur niveau d’éducation et de qualification ou si, dans le pays d’accueil, les salaires des immigrés, à fonction identique, souffrent d’une décote par rapport à ceux des nationaux.

Inversement, en migrant vers des pays plus pauvres pour gagner en qualité de vie, les migrants risquent de se retrouver avec des salaires plus faibles en valeur absolue que les salaires auxquels ils auraient eu droit dans leur pays d’origine, alimentant un second type d’insatisfaction.

Quelle est alors la configuration idéale?

La meilleure configuration est celle où l’on émigre vers un pays au niveau de vie supérieur (par exemple de la France vers la Suisse) et dans des conditions telles que sa situation relative sur l’échelle sociale reste identique ou s’améliore.

Le bonheur des gens sur place aura-t-il aussi une importance ?

Oui, les travaux sur le bonheur comparé des expatriés de différents pays montrent que les expatriés, une fois arrivés dans leur pays d’accueil, sont peu à peu contaminés par le climat psychologique qui règne dans le pays, qu’il soit favorable ou non au bonheur. Ce résultat constitue une invitation à se renseigner sur le bonheur que l’on trouvera sur place avant de choisir la destination pour refaire sa vie.

Quels sont les pays « heureux » vers lesquels il serait judicieux d’émigrer ?

Les pays classés au sommet sur l’échelle de l’évaluation de la vie sont les pays nordiques, les pays anglo-saxons, les Pays-Bas et la Suisse (NDLR: voir tableau ci-dessous). Inversement, il existe des pays d’émigration pour les Français qui figurent à la traîne de ce classement. C’est le cas de l’Allemagne, de Singapour, de Hong-Kong, du Japon…  Pour ce qui est du bien-être émotionnel, notamment la fréquence des émotions positives ressenties quotidiennement, le classement est un peu différent. Cette fois, on retrouve tout en haut, au côté des pays anglo-saxons, la plupart des pays d’Amérique Latine et aussi quelques pays « chaleureux » d’Asie du Sud-Est : la Thaïlande et le Laos.  Sur ce critère, les pays scandinaves, l’Allemagne et les autres pays asiatiques ont plus de mal.

Inversement, le bonheur du pays d’où l’on vient conserve-t-il une importance une fois que l’on est parti?

Oui, il continue effectivement d’influencer le bonheur des expatriés. Les Français qui ont émigré en Europe se retrouvent à l’étranger moins heureux que les émigrés aux caractéristiques comparables mais originaires des autres pays européens. Culturelle, la mélancolie française reste dans les têtes même quand on se trouve en dehors de l’hexagone…

Quelles erreurs ne faut-il pas faire dans le choix de la destination?

Une erreur classique serait de focaliser excessivement sur le climat du pays. Rappelez-vous le début du film The Descendants avec George Clooney, qui raconte les turpitudes d’une famille déchirée à Hawaii. Le film commence par dénoncer l’idée reçue que la vie à Hawaii serait totalement paradisiaque, entre surf, soleil et palmiers… Des travaux ont effectivement confirmé que  l’on exagérait l’impact du climat sur le bonheur. Une étude aux Etats-Unis a montré que le bonheur des Californiens était bien moins supérieur à celui des habitants d’états du Midwest (Michigan et Ohio) que ce que l’on imagine. 

[i] Bartram D. (2011), « Economic migration and happiness: Comparing immigrants’ and natives’ happiness gains from income », Social Indicators Research.

[ii] Wright K. (2010), « It’s a limited kind of happiness: barriers to achieving human wellbeing through international migration », Bulletin of Latin American Research.

[iii] Gelatt J. (2013), « Looking down or looking up: Status and subjective well-being among Asian and Latino immigrants in the US », International Migration Review.

Les pays “heureux” où vous pourriez émigrer…

Classement mondial

                            Indicateur de bonheur

Evaluation de la vie

Fréquence d’émotions positives

1

Danemark

Islande

2

Finlande

Irlande

3

Norvège

Costa Rica

4

Pays-Bas

Canada

5

Canada

Nouvelle-Zélande

6

Suisse

Laos

7

Suède

Panama

8

Nouvelle-Zélande

Thailande

9

Australie

Salvador

10

Irlande

Etats-Unis

11

Etats-Unis

Paraguay

12

Costa Rica

Argentine

13

Autriche

Equateur

14

Israël

Venezuela

15

Belgique

Royaume-Uni

Source: World Happiness Report 2012, Mickaël Mangot “Heureux comme Crésus? Leçons inattendues d’économie du bonheur” (éditions Eyrolles)


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