Etre propriétaire des murs de son entreprise, ça vaut la peine

C’est sans doute un des hommes les plus discrets de Strasbourg. Mais Denis Oussadon est aussi l’un des plus riches. Dans les années 1980, ce commerçant n’avait que quelques boutiques de prêt-à-porter dans le centre-ville. Rapidement, lassé d’avoir à payer un loyer, il rachète les murs de ses boutiques. Puis en rachète d’autres, jusqu’à posséder… 160 sociétés civiles immobilières (SCI), qui gèrent plus de 450 baux. Son patrimoine ? Environ 500 millions d’euros !

Il n’est pas le seul à s’enrichir grâce aux SCI. Prenez les 500 propriétaires d’hypermarchés du réseau Leclerc. Ces indépendants ont monté, à côté de leurs magasins, des structures – les fameuses SCI – propriétaires des murs de leurs hypers et de ceux des boutiques des galeries commerciales attenantes. Des SCI qui leur rapportent cinq à dix fois plus que leurs hypers !

Des SCI qui rapportent très gros

Comme l’explique Bertrand Gobin, auteur de livres sur la grande distribution, « beaucoup de ces franchisés pratiquent des prix le plus bas possible dans leurs hypers, et attirent ainsi des foules considérables qui fréquentent les boutiques de leurs galeries marchandes. Et comme les loyers de celles-ci évoluent avec leurs chiffres d’affaires, leurs SCI rapportent davantage que leurs hypers ».

Certains des barons les plus emblématiques du groupe, comme les Jaud, les Belit, les Courtade…, en possèdent parfois plusieurs dizaines. L’un d’eux, Rémy Nauleau, a ainsi vendu celles qui possédaient ses galeries commerciales de Blagnac et Saint-Orens : 6.000 mètres carrés que l’acheteur, la foncière spécialisée Klépierre, a valorisés 50 à 60 millions d’euros !

Gestion des locaux facilitée

De l’avocat au plombier, du notaire au fabricant de boulons, « quasiment tous les chefs d’entreprise passent par une SCI », constate Philippe Krummenacker, notaire et président de l’Institut notarial de l’entreprise du Conseil supérieur du notariat. Pourquoi ? Parce qu’elles facilitent pour l’entreprise la gestion des locaux professionnels, et pour son dirigeant la préparation à la retraite et à la transmission du patrimoine.

D’où leur succès : elles représentent un tiers des sociétés créées. Comme le souligne notre témoin, Yves Le Gohebel : « Pour ne plus avoir à payer des loyers à fonds perdus, un entrepreneur peut soit faire acheter ses locaux par l’entreprise, soit les acheter lui-même pour les louer à son entreprise. » C’est légal, précise Pascale Pellarin, responsable de l’ingénierie patrimoniale à la Banque Palatine, « à condition de fixer un loyer raisonnable ».

Si le dirigeant fait acheter ses locaux par son entreprise, il va alourdir son bilan et rendre complexe sa revente. En passant par une SCI, il dissocie l’immobilier de l’activité et, en cas de dépôt de bilan, son actif immobilier, à l’abri dans une SCI, échappera aux créanciers. « Scinder les deux est donc un acte de bonne gestion », confirme Christian Micheaud, auteur de Créez et gérez votre SCI (éd. Votreargent.fr, du groupe L’Express).

Deux options fiscales

Une fois le recours à une SCI décidé, se pose le problème de l’option fiscale. Car une SCI peut être considérée soit comme une société à part entière, soit comme le prolongement du patrimoine de son détenteur. Elle est alors dite « transparente », les loyers sont imposés comme des revenus fonciers et, au moment de la revente, son détenteur bénéficie d’abattements intéressants sur l’imposition des plus-values.

« Ses loyers seront d’autant plus fortement imposés que sa tranche marginale sera élevée, mais il bénéficiera d’un traitement relativement favorable à la sortie », résume Kawtar Joua, ingénieure au cabinet de gestion de patrimoine Family Business Group.

Avantages de cette solution : la possibilité d’amortir le prix d’achat et une imposition des loyers limitée à 33,3%. Inconvénient : à la revente, les amortissements sont réintégrés et gonflent la base taxable, qui est imposée par palier à 15%, puis à 33%. Bien peser le pour et le contre. 

L’atout de l’usufruit

« Si on privilégie la trésorerie et que les bâtiments financés ont, avec le temps, peu de chances de se valoriser, on opte pour la SCI à l’impôt sur les sociétés », résume Pascale Pellarin, responsable de l’ingénierie patrimoniale à la Banque Palatine. Sinon, mieux vaut acheter en SCI transparente (à l’IR), pour profiter des abattements pour durée de détention.

Il est possible de créer une société à l’IR et de céder l’usufruit des parts de cette SCI à la société qui utilise les locaux. La durée de l’usufruit est celle du prêt augmentée de quelques années. Cela permet d’amortir le bien, puis, au terme du démembrement, de récupérer la pleine propriété des parts et la taxation des résultats à l’impôt sur le revenu. Seul souci, précise Guillaume Fonteneau, conseil en gestion de patrimoine, « cela implique d’avoir les moyens d’acheter cash ».  


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