Gazoduc entre les deux Corées : reprise des négociations

Gazoduc entre les deux Corées : reprise des négociations

Et si le rapprochement entre les deux Corées était encore une fois liée à une affaire de pétrole et de gaz  ? Avec la Russie comme “intermédiaire”, pour ne pas dire partenaire principal ? Le géant gazier russe Gazprom et la Corée du Sud ont relancé leurs négociations en vue de construire un pipeline transitant par le territoire nord-coréen vers la Corée du Sud.

Reprise des négociations

En fin de semaine dernière, Vitali Markelov, membre du conseil d’administration de Gazprom a en effet annoncé lors d’une conférence de presse la reprise des pourparlers.

«En ce qui concerne le gazoduc passant par le territoire de la Corée du Nord vers la Corée du Sud, ce projet n’est pas nouveau, nous avions déjà commencé à étudier cette question avec la partie nord-coréenne en 2011. Les itinéraires ont été choisis, des négociations ont eu lieu avec la partie nord-coréenne et sud-coréenne. Ensuite, les relations entre les deux pays, la Corée du Nord et la Corée du Sud, se sont détériorées, et les négociations ont été suspendues», a-t-il tenu à préciser.

Désormais, les tensions entre les deux Corées s’amenuisent, ce qui a permis à la Corée du Sud de se tourner à nouveau vers Gazprom en vue de discuter de la reprise du projet.

Le 30 Mars, s’exprimant lors du forum sur l’énergie à Séoul, le Ministre des affaires Étrangères Kang Kyung-hwa, a déclaré que l’amélioration de la situation de la sécurité sur la péninsule coréenne rendait désormais envisageable de débuter la construction d’un gazoduc entre la Russie et la Corée du Sud via la Corée du Nord.

La voie vers une concrétisation du projet ouverte dès 2011

Longtemps considérée comme une utopie, le projet de construction d’un pipeline à travers la Corée du Nord permettant de relier les gisements gaziers de Sibérie russe à la Corée du Sud a franchi un pas vers sa concrétisation  en octobre 2011.

«Ce n’est pas un rêve farfelu. C’est un projet où chacun sera gagnant», avait alors affirmé le président sud-coréen Lee Myung-bak, lequel souhaitait conclure ce dossier avant la fin de son mandat en 2013.

Après le feu vert donné par Kim Jong-il au président russe Dmitri Medvedev lors d’un sommet en Sibérie le 24 août 2011, le géant du gaz sud-coréen Kogas souhaitait obtenir des garanties de la part de Moscou.

Un des défis majeurs à relever : régler les obstacles sécuritaires et économiques du projet pharaonique de 1700 km de long.

Russie / Corée : effacement de la dette contre gazoduc, une alternative au marché européen

Les sanctions brandies par les Occidentaux en avril 2014 pour tenter de freiner les velléités hégémoniques de Poutine en Ukraine pourraient s’avérer être des armes à double tranchant, le chef du Kremlin profitant de l’occasion pour développer ses relations avec la Chine, le Japon et la Corée du Sud, écrivais-je en avril 2014. Ajoutant que Moscou pourrait saisir là l’opportunité de trouver de nouveaux marchés autre que l’Union européenne pour écouler son bien précieux gaz.

C’est dans un tel état d’esprit que Moscou  avait alors effacé 90 % de la dette nord-coréenne, soit la quasi-totalité des 10 milliards de dollars de dettes contractées par le pays. Poutine n’ayant rien d’un philanthrope, la “largesse” russe pourrait au final faciliter la construction d’un gazoduc vers la Corée du Sud.

L’annulation de 90 % de la dette nord-coréenne avait ainsi été votée par les députés russes de la Douma, ratifiant un accord négocié en 2012. Le solde des derniers 10 % restants seront quant à eux rééchelonnés sur vingt ans, par versements tous les six mois.

Le vice-ministre russe des Finances, Sergueï Stortchak, avait lui-même déclaré que cette somme pourrait servir au financement de projets communs en Corée du Nord, parmi lesquels figure la construction d’un gazoduc pour relier les gisements gaziers de Sibérie russe à la boulimique Corée du Sud.

Rappelons que ce projet est développé depuis déjà quelques années par le géant gazier russe Gazprom. L’objectif premier étant de livrer à la Corée du Sud 10 milliards de mètres cubes de gaz par an. Le gazoduc constitue également un élément indispensable pour la stratégie d’expansion asiatique de Gazprom, qui cherche à tout prix un débouché à ses pipelines en provenance de Sakhaline et de Sibérie.

 Un gazoduc qui s’inscrit dans un projet gagnant-gagnant

Lors du sommet entre Dmitri Medvedev (alors Président russe) et son homologue nord-coréen Kim Jong-il qui s’est tenu en Sibérie en août 2011, la Fédération de Russie et la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) ont convenu de la mise en place d’une commission spéciale pour la création d’un gazoduc entre la Russie, la RPDC et la Corée du Sud. Commission qui devrait notamment déterminer le volume transporté et le montant des droits de transit versés à la RPDC.

Si les autorités sud-coréennes n’avaient pas immédiatement réagi à cette annonce, le président sud-coréen Lee Myung-bak avait par la suite déclaré à New York qu’il considérait ce projet comme “gagnant-gagnant” pour toutes les parties impliquées (Moscou, Pyongyang et Séoul).p
Malgré la campagne hostile au projet de gazoduc trans-coréen conduite par certains médias conservateurs sud-coréens, lesquels avaient pointé du doigt les risques éventuels de “siphonnage” du gaz lors de son transport ainsi que de rupture des approvisionnements en cas de détérioration des relations Nord-Sud, le président sud-coréen s’était montré favorable au projet.

Grâce à la mise en place de ce gazoduc, la Corée du Sud, aujourd’hui le deuxième importateur mondial de gaz, approvisionnée exclusivement par voie maritime, pourrait réduire ses coûts d’approvisionnement en gaz naturel jusqu’à 30 %.

Les droits de transit perçus par la Corée du Nord pourraient s’élever quant à eux à 100 millions de dollars par an.

Le marché asiatique : une alternative aux débouchés européens

Rappelons par ailleurs, qu’en 2013 et 2014, lors d’adresses multiples au parlement russe, Vladimir Poutine avait assigné aux députés la tâche de développer activement les liens avec l’Asie orientale. En septembre 2013, le ministère pour le développement de l’Extrême-Orient russe avait vu quant à lui l’étendue de ses pouvoirs élargie de manière substantielle.

Un développement des relations avec l’Asie permettrait ainsi en quelque sorte de s’assurer de nouveaux débouchés dans l’éventualité de l’adoption de sanctions sévères contre la Russie.

Sergueï Men, partenaire associé du cabinet d’investissements de Hong-Kong Eurasia Capital Partners, estimait alors l’Asie pouvait devenir, pour la Russie, une alternative à part entière à l’Union européenne. Ses arguments : les pays d’Asie du Sud-Est constituent le marché à la croissance la plus rapide pour les produits clés de l’export russe : hydrocarbures, métaux, chimie, alimentaire.

Sources : ats, Kommersant, Le Courrier de Russie, Sputnik, Le Figaro, Gazprom

Elisabeth Studer – www.leblogfinance.com – 22 juin 2018


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