Hopps, rival de La Poste, dans la tourmente, 20.000 emplois menacés

C’est l’histoire d’un empire industriel de 22.000 personnes qui s’est imposé comme le principal concurrent de La Poste dans son secteur mais dont l’avenir s’inscrit aujourd’hui en pointillés. Hopps, un des leaders français de la logistique, propriétaire d’Adrexo qui produit les tracts publicitaires des grandes enseignes comme Carrefour et Castorama, ou de la pépite Colis Privé dont Amazon détient un peu moins d’un quart du capital, affronte depuis plusieurs mois une situation délicate. La première alerte date du mois de juin lorsque les 17.000 salariés d’Adrexo reçoivent leur salaire en deux fois. Puis, en août, KPMG et Ernst & Young (EY), commissaires aux comptes de Hopps, saisissent le comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), structure de Bercy qui a pour mission d’aider les entreprises en difficultés. Ces derniers indiquent dans un courrier révélé par Le Parisien et dont Challenges a obtenu copie que la « continuité de l’exploitation » est menacée.

La décision provoque alors la stupeur des salariés du groupe. « Personne ne comprend comment l’entreprise a pu en arriver là, c’est l’affolement général dans les différentes filiales. La situation est catastrophique » réagit-on à la CGT. « Nous sommes inquiets, appuie Philippe Viroulet, syndicaliste (CAT) chez Adrexo. Depuis fin 2018, et plus encore depuis le mois de juin, de nombreux fournisseurs ne sont pas payés afin que les salaires puissent être versés ». De leurs côtés, et à rebours du climat ambiant, les dirigeants de Hopps assurent que tout est rentré dans l’ordre. « Nous avons vécu une période compliquée lors de la crise des gilets jaunes qui a engendré une baisse de notre activité, affirme Frédéric Pons, coprésident de Hopps. Mais les choses aujourd’hui se présentent bien. Nous venons notamment de lever 30 millions d’euros (auprès du fonds GDP Vendôme, de la Caisse d’Épargne et du Crédit Agricole) et nous conclurons une opération identique, voire même de 50 millions d’euros, d’ici la fin de l’année. Nous avons les offres, nous n’avons plus qu’à choisir ». Et le patron de 53 ans d’ajouter, cash : « plutôt que de crier au loup, certains feraient mieux de nous soutenir car notre groupe peut générer demain des milliards d’euros. Mais pour cela il faut arrêter de nous mettre des bâtons dans les roues et de remuer la merde ».

Projet « Phoenix » et gilets jaunes

Hopps (540 millions d’euros de chiffre d’affaires) est le produit de trois entrepreneurs : Frédéric Pons, Éric Paumier et Guillaume Salabert. Ce trio de quinquagénaires, baptisé « PPS » en interne, a intégré en 2018 le classement des fortunes de Challenges et pointe avec 240 millions d’euros de patrimoine professionnel à la 368e position. Une réussite financière que les trois hommes ont bâtie en reprenant plusieurs actifs décotés de Spir Communication, la machine à cash du groupe Ouest-France. Valorisé 1,5 milliard d’euros dans les années 2000 après des investissements judicieux dans des sites de petites annonces comme Leboncoin.fr ou Logic-immo.com, Spir Communication possède aussi des filiales moins bankable comme Adrexo colis (futur Colis privé) que reprennent Frédéric Pons et Éric Paumier en 2012. Quatre ans plus tard, les deux hommes, associés à Guillaume Salabert, lorgnent la totalité d’Adrexo. Fondée en 1979, l’entreprise s’est imposée comme le premier opérateur privé de la distribution d’imprimés publicitaires. Seulement elle perd plus de trente millions d’euros par an et se voit placer sous mandat ad hoc en 2016. Le sort d’Adrexo est alors entre les mains du CIRI et notamment du cabinet du ministre de l’Économie, Emmanuel Macron. « La vente de l’entreprise était potentiellement explosive car plusieurs milliers d’emplois étaient en jeu, il ne fallait pas faire n’importe quoi » se souvient un haut-fonctionnaire, bon connaisseur du dossier. D’autant plus que les 17.000 personnes qui travaillent pour Adrexo ne roulent pas sur l’or avec des salaires mensuels compris entre 300 et 800 euros pour ces jobs à temps partiel. « Ce sont des gens qui ont des petites retraites, qui cumulent plusieurs emplois, des gilets jaunes en somme » précise-t-on du côté de la CGT.

Dans ce contexte difficile, l’offre formulée par « PPS » est jugée la meilleure par l’exécutif alors que plusieurs fonds se sont aussi positionnés. « Les trois avaient un peu des profils de cow-boys mais ils étaient dynamiques, visionnaires d’un certain côté et leur projet industriel, basé sur une synergie entre le colis et le réseau d’Adrexo, tenait véritablement la route », poursuit le même haut-fonctionnaire. Pour les trois hommes, le deal frise le jackpot. Ouest-France leur verse une soulte (somme payée par le vendeur à l’acheteur) de 65 millions d’euros pour faire face à la crise que connaît la société, efface une dette de 17 millions d’euros due par Adrexo à Spir Communication et fait cadeau du splendide siège de sa filiale à Aix-en-Provence qui est estimé à 10 millions d’euros – il a depuis été revalorisé aux alentours de 20 millions d’euros. De son côté, l’État annule une dette Urssaf de 21 millions d’euros. En échange, les nouveaux dirigeants d’Adrexo s’engagent à ne procéder à aucun licenciement dans les deux ans. Et donnent un nom évocateur à leur projet de relance d’Adrexo : « Phoenix ».

Accumulation de soultes

En janvier 2017, Hopps (holding opérationnelle de « PPS ») voit le jour. Le trio, qui entend faire de la nouvelle société un champion français en e-logistique multiplie alors les acquisitions et… les soultes. En 2018, le groupe perçoit ainsi 60 millions d’euros après le rachat de Dispeo, filiale logistique des 3 Suisses et 8 millions d’euros après celui d’ADS, autre société de e-commerce, vendue par le Japonais Rakuten. En deux ans, Hopps aura ainsi perçu plus de 130 millions d’euros de cash. Sauf que malgré cet apport, la trésorerie du groupe – 15 millions d’euros – peine à se reconstituer alors que les pertes sur les trois dernières années restent inférieures aux sommes collectées via les soultes. « On se demande vraiment où est passé cet argent, s’interroge un ancien salarié de l’entreprise. Entre les soultes et les emprunts, Hopps a consommé plus de 250 millions d’euros et n’a perdu que 130 millions d’euros depuis 2017. Les trésoreries des différentes filiales du groupe devraient être plus conséquentes qu’elles ne le sont, notamment concernant Adrexo et Dispeo ». D’après plusieurs sources syndicales, le commissaire aux comptes de cette dernière société a déclenché en avril 2019 un droit d’alerte compte-tenu de la faible trésorerie à disposition. Chez Adrexo, le syndicat CAT, qui s’appuie sur un rapport fourni par un expert-comptable indépendant, estime lui que la validation 2018 des comptes par les commissaires aux comptes pose question. Des soupçons que rejettent avec force les trois actionnaires du groupe. « Les chiffres avancés par les uns et les autres sont faux, l’argent qui est entré dans l’entreprise a été réinvesti dans du matériel, les salaires ou utilisé pour développer le groupe en acquérant d’autres sociétés » plaide Frédéric Pons.

Depuis 2016, Hopps a ainsi racheté 17 sociétés, principalement dans le domaine de la logistique mais également dans des secteurs plus surprenant comme les cosmétiques (DLG) ou les chaussures (Pataugas). Une politique proactive qui ne passe pas vraiment du côté des syndicats. « L’argent des soultes sert à acheter d’autres entreprises et pas à remettre à flot celles qui sont déjà dans le groupe et qui vont mal » juge-t-on à la CGT. « Une partie de la soulte d’Adrexo a été affectée à Colis Privé, qui est cajolée par les actionnaires, alors qu’il serait préférable de soutenir les filiales en difficultés » abonde Philippe Viroulet. Là encore, les trois dirigeants assurent défendre les intérêts de Hopps. « Nous avons annoncé la couleur lors de chaque plan de reprise, rétorque Guillaume Salabert. Pour nous le rachat de sociétés fait partie du développement du groupe et à chaque fois le tribunal de commerce de Marseille a validé nos protocoles ».

En quête de liquidités

Pour les salariés, la situation est d’autant plus difficile à vivre que les dirigeants affichent un train de vie assez éloigné de leur quotidien. En interne, plusieurs d’entre eux pointent les 50.000 euros de salaires mensuels que perçoivent Frédéric Pons et Éric Paumier. Ou le fait que le premier possède une Porsche Cayenne comme véhicule de fonction. « Il y a deux mondes chez Adrexo, commente un syndicaliste CGT du groupe. Celui des distributeurs, des petites gens qui ne bouclent pas les fins de mois, et celui de la direction pour qui tout va très bien ». Celle-ci dénonce toutefois un faux-procès : « c’est un non-sujet, réagit Frédéric Pons. Ces arguments sont pathétiques, je construis un champion français de l’e-logistique et vous me parlez de ça ? »

Reste que le rapport spécial d’alerte des commissaires aux comptes daté du 26 août 2019 est venu conforter les doutes de certains sur les finances de la société. En relevant « l’existence d’une situation et de prévisions de trésorerie tendues au niveau de l’ensemble du groupe à court terme », KPMG et EY ont agité le spectre de la cessation de paiement. Selon nos informations, Hopps a également obtenu de l’État la suspension de ses paiements Urssaf et TVA depuis le mois de février. Dans ce climat, certains verraient bien La Poste voler au secours de son rival malgré un probable refus de l’autorité de la concurrence puisque les deux groupes forment un duopole dans certains secteurs. En attendant, les trois actionnaires de Hopps sont en quête de liquidités. La banque Rothschild a ainsi été mandatée pour trouver des investisseurs et des fonds comme Colony Capital ou le family office de Patrick Drahi ont été sondés. Quant au CIRI, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, il poursuit l’instruction du dossier et réfléchit selon nos informations à des solutions de refinancement. Les limiers de Bercy devraient aussi y voir plus clair dans quelques jours puisqu’ils attendent la remise d’un rapport complet sur Hopps par le cabinet de conseil Eight Advisory.

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