Jeremy Rifkin: « Nous avons douze ans pour sauver notre civilisation »

Pour l’économiste américain, auteur de Le New Deal vert mondial (Editions LLL), il est encore temps d’éviter la catastrophe. Grâce à la révolution technologique et aux marchés qui délaissent les industries carbonées. Mais la transition ne peut se faire sans des investissements massifs en faveur d’infrastructures adaptées à la troisième révolution industrielle.

Challenges. Peut-on encore sauver la planète ?

Jeremy Rifkin. Nous vivons une période extrêmement tumultueuse, avec un changement climatique sans précédent. Typhons, ouragans, précipitations, inondations, incendies… Nous entrons dans un autre monde ! La question est : va-t-il y avoir une extinction ou allons-nous survivre ? Toute notre civilisation peut disparaître. Le changement est beaucoup plus rapide que ne l’avaient projeté les modèles.

Donc les « collapsologues » ne sont pas fous ? Si on ne fait rien, on court à la catastrophe…

Absolument. On ne peut pas tout prédire de manière précise, compte tenu des liens complexes entre l’atmosphère, la troposphère, la stratosphère, la thermosphère… Tout cela interagissant. Mais ce qu’on sait, c’est que, depuis la révolution industrielle, l’activité humaine a provoqué une hausse de la température de 1 degré.

Si cette hausse franchit le seuil de 1,5 degré, cela pourrait déclencher une spirale d’événements qui décimeraient notre écosystème. Il faut donc réduire de 45 % les émissions de gaz à effet de serre. Nous avons douze ans pour y parvenir. Le temps de nous adapter, de bâtir une autre économie, dé-carbonée.

Et c’est possible…

Oui, grâce à la révolution technologique et au marché. Apple, Amazon, Microsoft, Intel, Cisco se tournent vers l’éolien ou le solaire, plus fiable et moins cher. Parc immobilier, commercial, industriel ou résidentiel, logistique, télécommunications, énergie… La transition est à l’œuvre. Le prix des nouvelles énergies baisse de manière considérable. Désormais l’éolien est moins cher que le gaz. Les énergies fossiles seront obsolètes dans dix ans. D’ici à 2028, le quart des véhicules dans le monde sera électrique. D’après les études menées par des groupes bancaires, des assurances, ce sont des milliers de milliards de dollars investis dans l’ancienne économie qui risquent de se transformer en « actifs bloqués ». Citigroup parle d’une bulle de 100 000 milliards de dollars, The Economist de 40 000 milliards. Elle devrait exploser d’ici à 2028. Les investisseurs ont déjà retiré 11 000 milliards des énergies fossiles. Le marché est une force très puissante.

Le basculement semble inéluctable, mais est-ce assez rapide ?

La transformation est à l’œuvre. Le problème, c’est que le marché – la main invisible – ne crée pas les infrastructures. Il se branche dessus, mais il ne les construit pas.

Et les gouvernements, à la traîne, invoquent le manque de moyens…

De l’argent, il y en a. Pas besoin de nouvelles taxes. Il suffit d’utiliser les investissements qui se détournent des industries liées aux énergies fossiles. De capter les milliards des fonds de pension. Et d’organiser des partenariats public-privé. Mais les gouvernants doivent mettre en place des projets d’ampleur, avec des objectifs, des régulations, des incitations. Bref des new deal verts. Si l’on veut déployer les infrastructures de la troisième révolution industrielle, il faudra donner plus d’autonomie aux régions. Certains Etats américains sont en pointe. La France est trop centralisée.

Cette économie sera-t-elle plus équitable ?

Actuellement, la fortune totale des huit personnes les plus riches du monde est égale au patrimoine de la moitié des êtres humains vivant sur la planète. La deuxième révolution industrielle était conçue pour être centralisée, verticale. La troisième révolution est conçue pour être distributive, ouverte. Elle est porteuse d’une démocratisation du commerce et des échanges à une échelle jusqu’à présent inimaginable. Chacun va devoir s’engager, virtuellement ou physiquement. C’est déjà le cas. Des millions de gens produisent déjà leur propre énergie, solaire ou éolienne, et ce qu’ils n’utilisent pas est distribué dans un réseau collectif.

Faut-il devenir végétarien ?

Nous avons 1,3 milliard de vaches sur terre. Elles utilisent 27 % des terres cultivables et produisent des gaz à effet de serre beaucoup plus puissants que le dioxyde de carbone. Il va falloir replanter des légumes. Nous n’avons pas le choix.

Vous êtes optimiste ?

On dira que mon scénario optimiste n’est pas forcément le plus probable !

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