La charge de François Ruffin contre Sanofi est-elle justifiée?

tat.— François Ruffin (@Francois_Ruffin) January 19, 2021

1. « Sur les dix dernières années, Sanofi a supprimé la moitié de ses chercheurs »

Vrai mais… Sanofi compte à ce jour 4.100 personnes en France qui concourent à la R&D du groupe. Si le nombre de chercheurs de la branche vaccin (Sanofi Pasteur) est de l’aveu de la direction resté « stable » (environ 700 personnes), les équipes de R&D du domaine pharmaceutique ont elles profondément été revues à la baisse. Représentant 6.350 personnes en 2008, cette branche ne compte plus aujourd’hui que 3.400 salariés. « Et nous serons bientôt moins de 3.000 avec l’application du plan mis sur la table par la direction en juin 2020 », précise Aline Eysseric, membre CFDT du comité social et économique (CSE) central de Sanofi Aventis R&D (SARD). Les dirigeants de la Big Pharma ont en effet annoncé l’an dernier la suppression de 1.700 emplois en Europe dont un millier en France. S’agissant de la R&D, ce plan prévoit le départ de « 750 personnes en Europe, dont 400 en France et 350 en Allemagne », poursuit Aline Eysseric. Ce chiffre de « 400 personnes », révélé lundi 18 janvier par France Inter, a été évoqué le 8 décembre en interne par le patron du groupe Paul Hudson selon les syndicats. Des précisions devraient être données par la direction lors d’un prochain CSE prévu le 28 janvier.

En attendant, le président de Sanofi France a confirmé lundi à l’AFP que ce plan allait déboucher sur « environ 1.000 départs en France, sur un calendrier de trois ans, dans différentes parties de l’organisation, dont la R&D ». Concernant celle-ci, Olivier Bogillot, le président de Sanofi France, n’a pas livré plus de détails, précisant toutefois que « les premiers départs devraient arriver plutôt en deuxième partie de 2021 ». En tout état de cause, la branche R&D « pharma » de Sanofi ne devrait compter qu’environ 3.000 chercheurs après ce plan, soit une baisse des effectifs de 53% depuis 2008. Un chiffre très proche des propos de François Ruffin même si ce dernier semble englober les équipes R&D « vaccin » qui elles n’ont pas bougé.

2. « Il y a dix ans, il y avait onze centres de recherche en France, (…) il en restera trois à la fin de l’année »

Vrai. A ce jour, la R&D (hors vaccin) de Sanofi est répartie sur quatre sites en France: ceux de Montpellier (Hérault), Chilly-Mazarin (Essonne), Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) et Strasbourg (Bas-Rhin). Seulement, comme l’a annoncé la direction en juin dernier, le site strasbourgeois va fermer ses portes. La soixantaine de chercheurs présents en Alsace sera rapatriée à Vitry-sur-Seine. « Il n’y aura bientôt plus que trois sites pour la R&D ‘pharma’, appuie Thierry Bodin, délégué CGT chez Sanofi. En juin, la direction a aussi acté l’arrêt définitif de la recherche sur le système nerveux central. Cela intervient après la fermeture en 2020 du site d’Alfortville (Val-de-Marne) dédié à la sécurité du médicament et à la fin de la R&D du groupe dans le domaine cardio-vasculaire ». En 2015, Sanofi avait aussi cédé au groupe allemand Evotec son centre de R&D de Toulouse. Au total, d’une douzaine en 2009, les sites de R&D « pharma » du géant tricolore ne seront bientôt plus que trois en 2021.

S’agissant de la partie vaccin, Sanofi compte quatre sites à Val-de-Reuil, et dans le Rhône à Lyon, Neuville-sur-Saône et Marcy-l’Étoile. En juin dernier, le groupe a d’ailleurs annoncé qu’il allait investir 610 millions d’euros sur ces deux derniers sites pour accroître ses capacités dans la recherche et la production de vaccins. Un investissement important qui confirme le virage pris par le groupe depuis l’arrivée aux commandes de Paul Hudson en septembre 2019. Deux mois plus tard, le patron britannique avait présenté son plan, « play to win« , dans lequel il annonçait un retrait des champs du diabète ou des maladies cardiovasculaires et un recentrage du groupe sur les vaccins ou l’oncologie. Dans ces derniers domaines, les investissements de R&D du groupe restent très significatifs. « Sanofi investit en France deux milliards par an dans la R&D, et effectivement on est en train de les flécher là où cela a le plus de valeur scientifique pour nous: donc plutôt en cancérologie, plutôt dans les vaccins, dans des aires thérapeutiques importantes pour notre développement », a d’ailleurs déclaré Olivier Bogillot, à l’AFP lundi.

3. « Après une décennie de casse (…), d’absence d’investissements, comment espérer qu’un vaccin surgisse soudain de ce chaos? »

Plus complexe que cela. Expliquer aujourd’hui le retard de Sanofi dans la course au vaccin par son « absence d’investissements » est aller un peu vite en besogne. D’une part, si la partie R&D « pharma » a beaucoup souffert ces dernières années, cela est moins vrai du côté de Sanofi Pasteur, un des navires amiraux du groupe (16% du chiffre d’affaires en 2019). « Côté vaccin, l’emploi et les investissements de R&D ont été sanctuarisés et renforcés » plaide-t-on au sein de la société. D’autre part, le retard de Sanofi revêt plusieurs raisons. Même s’il a noué un partenariat avec la biotech américaine Translate Bio, spécialiste de l’ARN Messager, Sanofi misait surtout sur son vaccin à base de protéine recombinante mis au point avec le mastodonte britannique GSK et dont l’Union européenne a commandé 200 millions de doses. Or, alors qu’il aurait dû être disponible à la fin du printemps, une erreur de sous-dosage de l’antigène du vaccin a fait perdre quatre précieux mois à Sanofi. « C’est regrettable mais si le vaccin avait été disponible en juin, nous n’en ferions pas autant sur le retard de Sanofi, réagit-on à Bercy. Rappelons qu’AstraZeneca, autre Big Pharma mondiale, n’a pas encore reçu l’aval de l’agence européenne du médicament ». Reste que le géant suédo-britannique devrait quand même obtenir le précieux sésame plusieurs mois avant Sanofi.

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Autre explication avancée par les experts: Sanofi n’a pas pris le virage des biotechs contrairement à ses rivaux anglo-saxons. « C’est vrai, mais on peut aussi dire que si Sanofi avait acquis plus de biotechs, il aurait peut-être réduit encore plus ses investissements de R&D, poursuit cette même source. Aujourd’hui, les grandes firmes internalisent de moins en moins la R&D et préfèrent acheter des pépites qui ont développé des molécules prometteuses. » C’est notamment ce que vient de faire Sanofi en rachetant pour 1,1 milliard de dollars Kymab, société qui pourrait lui permettre de développer un médicament pour le traitement de diverses maladies auto-immunes et inflammatoires.

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